Un texte de Emile HINZELIN
in La Lorraine artiste du 4 décembre 1898
Saint- Sébald. La vieille église, d'un gothique grave et un peu triste, arche superbe aux mystérieuses colonnades, possède, comme il sied à sa dignité, le trésor le plus rare, celui que vous devriez sauver tout d'abord si l'on vous disait : « Vous n'emporterez de Nuremberg qu'un trésor », et que, par défaut de perspicacité, vous ne songiez pas que Nuremberg en son ensemble peut être considéré comme un trésor unique.
Le tombeau de saint Sébald est un miracle dans une merveille. Avec ses cinq fils, le maître sculpteur Pierre Fischer, pendant treize ans, a construit, sculpté, coulé, ciselé ce chef-d'œuvre, vibrante relique de l'art allemand. Châsse de métal pur, toute pénétrée de fête discrète et rustique, ce tombeau présente autour du Saint un cortège de figures qui le pressent avec candeur. Au-dessus des douze apôtres, quinze prophètes. Sont-ce bien là des prophètes ? Ce sont surtout des symboles modestes de cordialité. Moins importantes, les autres figures, extraites de la mythologie ou de la Bible, qui augmentent l'assemblée. 1l s'agissait de consacrer et d'enrichir la gloire de Sébald : tout le talent de Fischer s'y est ingénié. Comme un jouet d'honneur et de piété, la chasse semble avoir été sans cesse accrue, grâce à cette formule : «Qu'allons-nous y mettre encore maintenant ? » C'est le « jamais assez » de l'artiste à l'âme ardente et délicieusement enfantine. Le tombeau s'arrondit en forme de chapelle. Il se termine par quarante-cinq tourelles et plates-formes. Une statue du tout petit Jésus lui sert de faîte. Plus bas, renfermant les os de saint Sébald, un cercueil qui, au temps de Fischer, avait plus d'un siècle de date. Avec ses plaques d'argent et d'or, il était déjà noblement suranné. Rien ne vieillit plus vite qu'un cercueil. Au-dessous, des bas-reliefs disent la vie du saint. Un incrédule est englouti par la terre. Saint Sébald change les pierres en pain et l'eau en vin. Saint Sébald guérit un aveugle. Saint Sébald — ah ! ceci, charmant d'ingénuité et de sens, — se chauffe à des glaçons ardents.
[Le miracle des glaçons ardents]
Sébald tombait, recru de fatigue et de froid.
Sous un ciel gris et bas, à l'horizon étroit,
Le Saint marchait, foulant la neige dès l'aurore,
Et ses deux pauvres mains ne pouvaient plus se clore.
À chaque pas, son pied gelé se dérobait.
La matière accablait l'esprit : l'homme tombait !
Sur un ordre de Dieu qu'il crut soudain entendre,
Sébald prit des glaçons qu'il put briser et fendre,
Et, les mettant en croix pour mieux les rapprocher,
Il en fit un monceau qui fût comme un bûcher.
Comme auprès d'un feu clair aux brusques clartés jaunes,
Qui crépite, nourri de fins bouleaux et d'aulnes,
Sébald était assis sur la neige, rêvant...
Mais rien de ce qu'emplit la foi n'est décevant.
Dans l'étrange bûcher, dans la glace enchantée,
Une flamme courut, blanche et diamantée ;
La chaleur s'épandit et pénétra bientôt
Aux veines du vieillard comme un lait pur et chaud.
Ô Saint Sébald, à ces foyers construits en glace
J'ai tendu comme toi ma main roidie et lasse :
Qu'étaient-ils ? Lueurs d'astre, âtres sans bois, carreaux
Bleus de lune où le gel tressait de longs coraux !
Mais j'ai goûté (c'était l'amour, c'était la gloire),
Un peu de chaleur vraie à la flamme illusoire.
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