En septembre 1933, René Dumesnil signait dans le Mercure de France un article s'intéressant à la propagande allemande au moment du cinquantenaire du décès de Richard Wagner.
Affiche américaine de l'office allemand du tourisme, hors article Buste de Wagner par Gedon (hors article) |
À propos du Cinquantenaire de Wagner.
Auprès des affiches représentant des paysages, des monuments, des scènes de plage, on a pu voir cette année, aux murs des gares et des agences de voyage, un grand portrait de Richard Wagner d'après le buste de Lorenz Gedon [sur ce sculpteur, voir notre article]. La légende, dans toutes les langues, disait ceci: L'année Richard Wagner, Allemagne, 1933. Ainsi, fort intelligemment, les touristes étaient sollicités de se rendre en Allemagne à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Richard Wagner, en Allemagne où, de Leipzig à Bayreuth et de Munich à Berlin, des représentations théâtrales, des concerts, des expositions et des fêtes, combinés avec des excursions, permettaient de goûter toutes sortes de plaisirs. En même temps, d'innombrables brochures distribuées, elles aussi, dans tous les pays et rédigées dans toutes les langues, attiraient l'attention sur l'agrément du voyage. De l'une d'elles, je détache ceci:
À côté de Bayreuth, les villes qui seront au premier rang dans cette apothéose du grand musicien, seront Berlin, la capitale du Reich, avec ses deux opéras permanents, Leipsig [sic], la ville natale de Richard Wagner, la cité où il a pendant sept ans exercé son activité de chef d'orchestre et Munich, célèbre par les festivals traditionnels qu'il consacre à Wagner et à Mozart dans les beaux mois de l'été. Les étrangers pourront se rendre compte avec admiration du niveau élevé auquel l'Allemagne a maintenu sa culture musicale malgré la rigueur des temps. Ils pourront se rendre compte que, dans ce pays, ce ne sont point seulement les villes d'art et de musique internationalement connues qui entretiennent le culte séculaire de leur musique théâtrale, mais que ce sont aussi les cités commerciales et industrielles, les grandes villes de bain qui s'enorgueillissent de pouvoir offrir sur leurs théâtres particuliers, grâce à un ensemble leur appartenant en propre, les traditions d'un art sérieux et de bon aloi. Tout (sic) qui veut s'imprégner des œuvres de Wagner, les revivre dans leur forme la plus pure, doit faire en 1933 un pèlerinage au pays de Wagner.
Le prospectus dont je viens de citer le texte (en respectant scrupuleusement la forme) est luxueusement édité par la Reichsbahnzentrale für den deuschen Reiseverkehr. Il a été préparé soigneusement. On y a joint, en l'expédiant, d'autres brochures donnant tous les renseignements pratiques sur les festivals de Bayreuth et de Munich, sur les moyens de transport et les excursions, le tout orné de photographies, de cartes et de plans.
Comment ne point admirer une propagande aussi méthodiquement menée, aussi intelligemment conçue? Mais ce n'est pas tout: voyez encore comme cette propagande a su tirer parti des livres sur Wagner récemment parus, du Cosima Wagner, du comte du Moulin Eckart, par exemple (dont M. Maurice Rémon vient de donner une excellente traduction française chez Stock), un livre plein de faits, de documents, et qui éclaire d'une si vive lumière le souvenir de celle qui fut la compagne du maître. Un moment, quand elle mourut, précédant de quatre mois son fils Siegfried dans la tombe (1930), on put craindre que ce double deuil marquât le crépuscule de Bayreuth. Mais point : la veuve du grand homme et son fils avaient si bien, si vaillamment servi la mémoire de Wagner que d'autres mains se tendaient aussitôt pour recueillir le flambeau abandonné par leurs mains défaillantes. M. Henri Rebois un fidèle ami de Bayreuth vient de le montrer dans un petit volume (chez Fischbacher), c'est à une véritable Renaissance de Bayreuth que nous avons assisté depuis la guerre. La tradition demeure. Certes, Siegfried Wagner, tout en restant fidèle aux idées paternelles, a su modifier ce qui devait l'être : une institution comme celle des Festspiele wagnériens ne saurait se cristalliser dans une immobilité qui serait un signe de mort. Mais avec quelle prudence l'évolution nécessaire, le rajeunissement ne sont-ils pas accomplis ?
Ce respect du passé, cet amour de la tradition se concilient fort bien, on vient de le voir, avec l'esprit d'initiative et le sentiment le plus moderne de la propagande et de la publicité. Ce qui nous étonne, nous autres, Français, et nous paraît le plus admirable c'est la méthode et la coordination de tous ces efforts, c'est l'entr'aide si opportune de toutes ces entreprises disséminées à travers un vaste pays. Chacune d'elles, qui semble indépendante quand on la considère, apparaît comme un rouage d'un grand système national dès qu'on saisit les rapports qui l'unissent, et si étroitement, à ses voisines.
Bayreuth et Munich ne se jalousent pas, mais se joignent, au contraire, pour une propagande commune ; cette année 1933 l'année de Wagner est aussi l'année de Brahms, qui est né le 7 mai 1833 à Hambourg. L'ignoreriez-vous que le prospectus des chemins de fer allemands, envoyé à l'occasion des Festspiele wagnériens, vous l'apprendrait. Une page est réservée aux programmes de concerts et de semaines organisés à Baden-Baden, Berlin, Dresde, Essen, Francfort, Hambourg, Hanovre, Karlsruhe, Leipzig, Mannheim, Munster, Stettin, Wurzburg, en l'honneur du compositeur du Requiem allemand. Une autre page donne le programme du Festival Mozart au Residenztheater de Munich, de l'exécution de la Création, de Haydn, au château principal de l'ordre teutonique, à Marienbourg, en souvenir de la première fête musicale prussienne, célébrée en 1833.
Tout est prétexte à commémorations, à célébrations, à festivals, à propagande. On admire et l'on compare. On compare et on est humilié. Il n'entre dans ce sentiment rien d'hostile, rien qui ressemble à du chauvinisme. Simplement, on se dit que si cette admirable propagande, et si intelligente, est efficace (et elle l'est), si même elle est possible, c'est parce que, au delà du Rhin, la musique n'est pas regardée avec cette indifférence méprisante que lui témoignent, ici, depuis plus d'un siècle, les pouvoirs publics.
René Dumesnil
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