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mardi 5 décembre 2017

La légende de Saint Nicolas en Allemagne à la fin du 19e siècle

Saint Nicolas et sa femme dans le Berchtersgadener Land, une photo de Gamsjaga 


Voici une lettre qu'adressait en 1888 le Dr Heinrich Kuhne, professeur de l'Université de Berlin, á la revue parisienne La Tradition (revue générale des contes, légendes, chants, usages, traditions et arts populaires), qui enquêtait sur la légende de Saint Nicolas. La Tradition publia cette lettre dans sa publication du 15 mars 1888, éditée par la Librairie générale et internationale Gustave Ficker (Paris)

"Mon cher ami,

[...]

Nos enfants connaissent, comme en France, le grand Saint Nicolas, évêque de Myre. Mais il me paraît, [...],que le rôle du Saint diffère notablement de celui qu'il joue chez vous.

Voyons d'abord l'image de Saint-Nicolas dans l'un de ces livres illustrés qui réjouissent nos enfants en Allemagne. Là, le saint — il se nomme aussi le grand Nicolas — est représenté portant sur le dos ou sous le bras une sorte de hotte d'où sortent les têtes de quelques enfants qui geignent et qui se débattent d'un air de déception fort touchant et fort réjouissant.

Voyez le rapport maintenant avec le baquet à anses. Quel est le texte de cette image ?

Le saint est devenu chez nous une sorte de Croquemitaine pour les enfants qui ne veulent pas être sages. Il les emporte dans sa hotte, tandis que les enfants sages n'ont rien à craindre de lui. Pour ces derniers, il se fait débonnaire. Il les récompense de leur docilité en leur apportant des pâtisseries, des pommes, des noix. Maintenant, que la hotte se transforme souvent en un grand bissac pour y mettre les méchants enfants aussi bien que les présents destinés aux enfants sages, rien n'est plus naturel ni plus commun.

C'est dans ce sens que se célèbre la fête du saint, le 6 décembre, comme en France. Cette fête est des plus curieuses en Hesse.

La veille, il me souvient que nous recommandions à grand'mère de ne pas oublier d'offrir du café noir au grand Klaus (Nicolas) et de mettre des assiettes pour ses présents. Quelquefois les assiettes restaient vides ; mais, tandis que nous prenions le café noir, grand Klaus apparaissait soudain vêtu d'une longue robe, le visage recouvert d'une longue barbe blanche, bienveillant presque toujours, parfois grondeur et roulant furieusement ses gros yeux gris aux sourcils embroussaillés. Il venait aux renseignements le brave homme ! Il nous faisait réciter nos prières, demandait si nous n'avions pas été paresseux en classe, et nous faisait même des questions compliquées sur les quatre règles !...

Le matin, parfois, le soir, le plus souvent, le grand Klaus revenait au logis. J'en ai vu même plusieurs de grand Klaus, à la fois. Peut-être l'évêque de Myre jouit-il du pouvoir de se dédoubler, comme Bouddha, qui sait!.. .Les Klaus véritables apportaient toujours quelques présents dissimulés dans leur gibecière. Mais tandis que pleuvaient pommes et noix et que nous nous précipitions pour les ramasser, les coups de baguette tombaient en grêle sur nos épaules ! Bah ! après tout !...

Peu à peu, la fêle est devenue une occasion de se présenter chez ses amis en costume masqué n'ayant plus aucun rapport avec le grand Klaus. Saint-Nicolas devint un prétexte à Carnaval !  Remarquez maintenant que la fêle du saint n'est pas éloignée de Noël. Nous avons chez nous le Weihnachtsmann — l'Homme de Noël — appelé aussi Knecht Ruprecht, dans le nom duquel, aussi bien que dans ses attributs, on a cru reconnaître les traits de Wotan dont Noël a remplacé le Julfest (fête de Yul)-

Eh bien ! Knecht Ruprecht apporte les cadeaux de Noël pour les enfants sages, mais il emporte les enfants méchants. A-t-il pris ce dernier trait à Saint Nicolas? Je pense que oui. En tout cas,ces deux personnages sont souvent confondus en Allemagne,et d'après ce que je viens de dire, cela se comprend facilement.

Je pense que ces quelques notes intéresseront les lecteurs de la Tradition et pourront servir utilement à votre enquête sur la Légende de Saint-Nicolas

Lichterfelde, Berlin, 24 janvier 1888."


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