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mardi 5 décembre 2017

Tannhäuser à Wiesbaden dans une nouvelle mise en scène d'Uwe Eric Laufenberg

Sabona Cvilak (de dos), Lance Ryan
Crédit photographique: Hessisches Staatstheater Wiesbaden

Le Tannhäuser a une longue et brillante tradition à Wiesbaden. C'est là qu'en 1857 l'écrivain et critique d'art Théophile Gautier en fit la découverte enchantée qu'il convoya au public français dans un article resté célèbre, devenant, avant même sa fille Judith, un des premiers grands wagnériens parisiens. Il y a 160 années de cela, Théophile Gautier plaidait, à la fin de son article, pour que Tannhäuser fût joué à Paris.

Grand wagnérien lui aussi, Uwe Eric Laufenberg, le directeur du Théâtre d'Etat du Land de Hesse, continue sur sa lancée de mises en scènes wagnériennes, en ouvrant la saison avec une nouvelle production de Tannhäuser que dirige Patrick Lange, le nouveau directeur de la musique à Wiesbaden. Ce nouveau Tannhäuser fait suite au Ring monté ici-même l'an dernier et à son célèbre Parsifal de Bayreuth. Laufenberg avait déjà il y a quelques années  monté les Maîtres chanteurs à Cologne et un cycle complet du Ring à Linz.

Pour son Tannhäuser, le metteur en scène et son décorateur Rolf Glittenberg placent l'action dans une grande salle lambrissée parée sur sa paroi gauche de nombreux trophées de cerfs, un animal à la symbolique hybride fort opportune puisqu'il peut symboliser tant la virilité triomphante que la rédemption christique. La salle est meublée de grands canapés de cuir noir sans accoudoirs qui connaîtront diverses dispositions: fauteuils alignés en rangées frontales ou vues de dos, fauteuils regroupés dos à dos en disposition aussi désordonnée que les moeurs dans la grotte de Vénus.

Laufenberg donne le ton dès l'ouverture en faisant à nouveau appel au cinéma. Le rideau se lève sur une salle dans laquelle des pèlerins en parkas et bonnets de laine contemporains assistent silencieux à la projection muette du Pape François bénissant la foule amassée sur la place Saint-Pierre. Mais bientôt l'on voit les pèlerins se lever et pour certains tomber leurs grosses vestes qui ne recouvraient que leurs corps nus. Aux scènes religieuses se mêlent des scènes lascives et des images orgiaques  côtoient sans pudeur aucune celles de la ferveur catholique. Une femme nue à la peau dorée est portée en triomphe par deux hommes nus eux aussi. Les images se colorent, vitraux d'église ou couleurs psychédéliques. La séance de cinéma se termine par des scènes explosives, combats d'animaux en rut ou éruptions volcaniques. Les sens et la nature sont déchaînés. La mise en scène de l'ouverture annonce la dichotomie du sexe et de la vertu qui jalonnera tout l'opéra.

La grotte de Vénus ressemble à un club échangiste aux perversions polymorphes, dans lequel Tannhäuser fait l'amour à Vénus (Jordanka Milkova) ou à ses avatars. Le couple est entouré et frôlé d'êtres épuisés par le sexe qui n'échangent bientôt plus que des caresses incertaines. Lance Ryan campe avec un grand talent d'acteur un Tannhäuser veule et vulgaire, un zombie sans consistance ni relief qui peine à se libérer des entraves sensuelles de la déesse: la séparation est traitée comme une scène de ménage qui n'en finit pas, avec des tentatives répétées d'incertaines réconciliations.

Au sortir de la grotte, il se retrouve devant une toile de fond de scène qui figure la forêt de Thuringe, au centre de laquelle se trouve le corps couché d'une sainte au linceul bleu marial, endormie ou comme défunte, dans une cage de verre. Les pèlerins chantent en off puis entrent en scène portant bonnets, parkas et sacs à dos. La prière chorale remplace la moiteur stuprée et bientôt s'élève la voix claire de Wolfram von Eschenbach, délicieusement interprété par Christopher Bolduc.

Les sages alignements de la Wartburg. Les chanteurs, le landgrave et Elisabeth.

Dans la grande salle de la Wartburg, les canapés sont sagement alignés contre les parois de part et d'autre de la scène. Une grande sculpture d'aigle, emblème de pouvoir, se découpe les ailes déployées sur le fond de scène représentant un ciel bleu avec quelques nuages. Elisabeth (Sabina Cvikak) en élégante robe noire, le cheveux blonds en chignon, arbore une grande croix pectorale. Le concours est annoncé par les trompettes placées dans les loges d'avant-scène. L'entrée en scène de  la cour du Landgrave de Thuringe donne lieu à un long défilé où des couples répètent un cérémonial d'ennuyeuses salutations au formalisme compassé. Les hommes portent des capes médiévales sur leurs costumes de ville et les femmes sont parées de longues robes gothiques dans une scène qui devient vite trop encombrée. Les maîtres chanteurs font à leur tout leur entrée et s'installent en fond de scène de part et d'autre du landgrave. Pendant le tournoi, les interventions de Tannhäuser bouleversent les codes de l'amour courtois et sont illustrées par l'apparition de Vénus et d'êtres nus qui courent dans la salle de la Wartburg. A la fin de l'acte, les canapés sont rangés faisant face au public, exactement à l'inverse de leur position lors de l'ouverture.

Lance Ryan

L'hiver s'est installé au troisième acte avec un décor blanc et noir. Un sol enneigé reçoit une immense croix blanche posée en oblique et sous laquelle on aperçoit un amas de feuilles pourrissantes. Elisabeth porte une simple robe en cotonnade légère sur con corps nu et prie au pied de la croix en attendant le retour des pèlerins. A son arrivée, elle y cherche en vain Tannhäuser. Avant de s'offrir en victime expiatoire, elle se débarrasse de sa robe dont elle recouvre le pied de la grande croix et se dirige nue et pudique vers les lueurs théophaniques du fond de scène. A son retour, Tannhäuser fera le récit torturé de son pèlerinage infortuné et du refus de l'absolution papale juché sur la croix, puis en appellera une nouvelle fois à Vénus qui apparaît nue et porteuse d'un masque en forme de tête de mort. Wolfram se servira alors de la robe d'Elisabeth comme d'un ultime talisman et Tannhäuser, sauvé malgré lui par le sacrifice d'Elisabeth, se dirige lui aussi vers les lueurs rédemptrices du fond de scène, dans lesquelles il disparaît. L'orchestre joue le final pour la scène vide où repose la croix.

L'excellente performance théâtrale de Lance Ryan qui exprime très physiquement la déchéance de Tannhäuser ne trouve pas sa correspondance dans le chant qui ne convainc que rarement pendant les deux premiers actes, avec un registre médiant par trop terne et manquant de relief et des problèmes de justesse.  Le chanteur canadien réussit par contre un troisième acte avec un art de la déclamation dramatique et du pathos poignants dans la progression du récit du pèlerinage. Young Doo Park, annoncé souffrant, donne cependant le meilleur possible campant un Hermann puissant et crédible et faisant preuve d'un grand professionnalisme. Le jeune baryton américain Christopher Bolduc donne un excellent Wofram von Eschenbach, d'une voix merveilleusement claire, bien articulée et tout aussi bien projetée, qui pourrait encore gagner en émotion et en profondeur d'expression, notamment dans le O du mein holde Abendstern.


La voix sensuelle et chaude de Jordanka Milkova se prête bien aux voluptés vénusiennes, mais la chanteuse est le plus souvent incompréhensible, avec des problèmes d'articulation manifestes d'un texte qui part en bouillie. La mezzo séduit par l'érotisme de son jeu et une forte présence en scène davantage qu'elle ne convie un contenu que l'on connaît fort heureusement.  La slovène Sabina Cvilak campe une Elisabeth souveraine et élégante qu'elle convoie avec un soprano dramatique d'une clarté remarquable, doté d'un beau métal, avec de l'aisance dans l'aigu, de la puissance, une excellente articulation et une belle projection. Une prise de rôle réussie.  

A la direction d'orchestre, Patrick Lange fait montre d'un bel entrain mais ne maîtrise pas toujours des instrumentistes auxquels il sembler laisser trop souvent l'initiative, ce qui conduit parfois à un manque de définition et de précision. Il reçoit cependant un accueil des plus enthousiastes du public de la capitale hessoise qui lui réserve des applaudissements nourris, comme toute la production, chaleureusement accueillie.

Prochaines représentations les 17.12.2017, 10.01, 28.01, 30.03, 27.05 et 30.06.2018 au Hessisches Staatstheater de Wiesbaden

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