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jeudi 17 juillet 2025

Die Csárdásfürstin d'Emmerich Kálmán au Deutsches Theater de Munich. À Budapest comme si on y était !



Il y a quelques années, le Deutsches Theater de Munich organisait chaque été un festival d'opérettes, une tradition que les amateurs d'opérettes aimeraient certainement voir renaître. Cette année, il accueille deux productions du célèbre Théâtre d'Opérette de Budapest, la Princesse Csárdás d'Emmerich Kálmán et le Pays du sourire de Franz Lehar. Emmerich Kálmán est devenu l'un des compositeurs les plus importants du genre au monde. Nombre de ses œuvres comptent parmi les classiques intemporels de l'opérette. La production de la Princesse Csárdás, qui fut créée à Budapest en 2019 est présentée pour la première fois en Allemagne.

Le titre de l'oeuvre renvoie à la csárdás, une danse de couple hongroise à deux ou quatre temps dont le pas de base est apparenté aux anciens branles. Son nom renvoie au mot « csárda », qui signifie «auberge» en hongrois. L'opérette, aussi appelée La Princesse tzigane, a été créée en novembre 1915 au Théâtre Johann Strauss de Vienne et fut ensuite jouée à Budapest à partir de 1916. À Vienne, l'opérette connut plus de 800 représentations.


Le prince officier et ses deux fiancées

Une opérette sur le thème de la passion amoureuse entre deux amants que les préjugés de classe séparent  : la célèbre chanteuse de music-hall Sylva Varescu est aimée par le prince Edwin, mais la famille de ce dernier ne pourrait jamais consentir à leur mariage. Les parents du prince ont d'ailleurs déjà arrangé son mariage avec la comtesse Stasi. L'opérette utilise les ficelles de la comédie avec sa série de travestissements et de quiproquos et se termine comme il se doit par la consécration de l'amour.


Le prince Edwin Ronald, un bel officier viennois descendant d'une famille richissime de haute noblesse  tombe amoureux de Sylva Varescu, une chansonnette (<un mot aujourd'hui vieilli qui désignait une chanteuse de variétés >) surnommée la princesse Csárdás. Sylva se produit à l'Orpheum Somossy de Budapest ,un bâtiment construit en 1894 selon les plans de Fellner et Helmer, qui accueillait initialement des spectacles de variétés et autres spectacles de divertissement. En 1922, il fut transformé en théâtre et abrita plus tard le Théâtre d'Opérette de la Capitale (en hongrois : Fővárosi Operettszínház), un autre théâtre de divertissement situé à côté du Vígszínház , où furent notamment créées plusieurs opérettes d'Emmerich Kálmán. 

Cet amour pose de sérieux problèmes à Edwin : il doit obéissance non seulement à son supérieur, mais aussi à ses parents. Issu d'une famille royale, il ne peut choisir librement son amour. Mais cela est-il possible ? Que peuvent faire deux cœurs amoureux qui ne peuvent s'oublier ? Qu'arrive-t-il à la comtesse Stasi, censée épouser Edwin ? Et pourquoi Sylva devient-elle l'épouse du comte Boni von Kaujiano ?


L'opérette nous invite à venir nous plonger dans l'atmosphère enivrante des nuits de la capitale hongroise à la fin de l'empire. La production du  Théâtre d'Opérette de Budapest a été élaborée en 2019 par un des meilleurs metteurs en scène hongrois, Attila Vidnyánszky, qui a cherché à recréer la Csárdásfürstin dans l'esprit de l'époque de sa création. Le metteur en scène hongrois a créé un monument de légèreté et a rendu à merveille les soirées de ces nobles bohèmes qui venaient se divertir et s'éclater avec les chanteuses et les danseuses de l'Orpheum de Budapest en versant des flots de Champagne tout en dilapidant leur fortune, alors que loin, fort loin de la salle de spectacle se profilaient les sombres nuages ​​annonçant la dissolution de la vieille Hongrie et de la monarchie austro-hongroise. 

La production est  somptueuse. Toute la troupe de chanteurs et de danseurs du théâtre de Budapest, ainsi que son orchestre et ses choeurs, a débarqué  à Munich emmenant dans ses bagages les décors époustouflants de Balázs Cziegler et les somptueux costumes de Krisztina Berzesenyi pour nous faire revivre l'esprit de la première version hongroise créée en 1916 par Andor Gábor. 


Les décors de Balázs Cziegler rappellent l'architecture fin de siècle et Jugendstil de l'Orpheum de Budapest. L'élément central est l'installation sur le plateau tournant d'un gigantesque pavillon  de gramophone. La corolle du pavillon du gramophone reçoit la scène où viennent se produire les artistes. Lorsque le plateau de scène se met à tourner on voit le cornet du pavillon le long duquel s'élèvent des escaliers courbés dont les rampes en ferronnerie reprennent les motifs végétaux en coups de fouets  typiques de l'art nouveau. Le pavillon est surplombé par une coupole de verre  et de métal comportant des vitraux reproduisant les armes de la royauté hongroise. Tout autour du pavillon se trouve une série de portes et de baies vitrées en arcades, inspirées du rez-de-chaussée de la façade originale de l'Orpheum, qui figureront le palais du Prince Leopold Maria von und zu Lippert-Weylersheim. Au troisième acte, les couleurs de ce magnifique ensemble se ternissent, sans doute pour marquer, alors que les couples amoureux ont fini par se constituer, que loin des capitales de la double monarchie, des salons mondains ou des nuits divertissantes, la première guerre mondiale gronde avec son cortège d'horreurs et de souffrances. Les costumes d'une éclatante élégance sont dus au talent exquis de Krisztina Berzsenyi qui s'est inspirée des costumes traditionnels hongrois, artistes ou militaires, et des parures de l'aristocratie avec les tenues de soirée, fracs et robes longues, scintillement des parures. La mise en scène spectaculaire est complétée par la chorégraphie d'Yvette Bozsik qui fait de la scène un défilé coloré, mêlant danse, prestance et raffinement.


Gyula Pfeiffer, le directeur musical du théâtre d'opérettes de Budapest, a fait le déplacement pour venir charmer les oreilles munichoises avec son splendide orchestre. Il maîtrise à merveille la légèreté divertissante, les rythmes entraînants et les mélodies captivantes typiques des opérettes de Kallmann. Comme tout cela est festif, joyeux, émouvant et charmant ! La qualité des interprètes, qui doivent aussi se montrer excellent acteurs et danseurs, participe du même principe. Le chant rencontre les dialogues parlés, tout cela est exécuté avec une vivacité et une apparence de spontanéité qui sont pourtant minutieusement millimétrées. L'ingénierie électroacoustique rend bien des services aux solistes dont le chant est sonorisé. Les deux couples de jeunes gens sont particulièrement applaudis : Enikő Lévai en Sylva et  Gábor Bakos Kiss en Edwin jouent davantage la corde du romantisme et de l'émotion, alors que Luca Bojtos en Stasi et  Péter Laki en Boni sont plus espiègles et mutins, ce dernier se permettant même une pirouette acrobatique. Gábor Dézsy Szabó et Agota Siménfalvy apportent leur expérience des planches à Léopold Maria et Anhilte. Mais plus encore que l'excellence individuelle c'est surtout le travail d'équipe qui est mis à l'honneur. L'ensemble est d'une qualité et d'une homogénéité remarquables. Et, une fois n'est pas coutume, le fait que l'opérette chez plusieurs des interprètes soit légèrement ou fortement colorée de l'accent hongrois donne un parfum d'exotisme vacancier à la soirée.

Quelle incroyable chance a le public munichois d'avoir l'occasion de venir applaudir cette extraordinaire production du Théâtre d'opérette de Budapest. Il reste des places, À bon entendeur, salut !

L'Orpheum Somossy, gravure d'époque

Conception et distribution le 16 juillet 2025

Mise en scène Attila Vidnyánszky
Direction d'orchestre Gyula Pfeiffer
Chorégraphie Yvette Bozsik
Scénographie Balázs Cziegler
Costumes Berzesenyi Krisztina
Lumières József Dreiszker

Sylva Vereczki, la princesse Csárdás Enikő Lévai
Edwin Ronald, le fils du Prince, Gábor Bakos Kiss
Comtesse Stasi, nièce du prince Luca Bojtos
Comte Boni Kaucsiano Péter Laki
Prince Leopold Maria von und zu Lippert-Weylersheim Gábor Dézsy Szabó
Anhilte, sa femme Agota Siménfalvy
Feri von Kerekes, aussi appelé Feri Bácsi Attila Bardóczy
Miska, maître d'hôtel Patrik Görög
Eugen von Rohnsdorff Soma Langer
Le notaire Kiss Gergely Altsach

Orchestre, choeur et ballet du théâtre d'opérettes de Budapest

Crédit photographique © Gordon Neszter pour Art&Lens Photography

mardi 15 juillet 2025

Bizet fouetté Chantilly au Théâtre de la Gärtnerplatz — Un Docteur Miracle à la crème pâtissière

Jeremy Boulton  (le bourgmestre),  Mina Yu  (Lauretta),  Anna Tetruashvili  (Veronika)

Voici l'omelette 
Pour nous il l'a faite 
Bien élégamment 
Bien soigneusement. 

Elle se compose, 
Notez bien la chose, 
De beurre et puis d'œufs 
Bien battus entr'eux. [bis]

2025 est une année Bizet pendant laquelle est commémoré le 150ème anniversaire du décès de Georges Bizet, mort prématurément à 36 ans le 3 juin 1875 dans sa maison de Bougival, trois mois après la première de Carmen. "Aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. " Georges Bizet, qui n'a pu connaître l'énorme succès que devait connaître son dernier opéra, le rencontra pour la musique de son opérette le Docteur Miracle qui avait remporté alors qu'il n'avait que 18 ans un concours organisé par Jacques Offenbach.

Cette opérette tomba dans l'oubli avant d'être redécouverte dans les années 1950. En cette année Bizet,  l'opérette a retrouvé le chemin des planches à l'initiative du Palazzo Bru Zane – Centre de musique romantique française et a été présentée couplée à L'Arlésienne en co-production à l'Opéra de Tours, au Théâtre du Châtelet, à l'Opéra de Rouen et à l'Opéra de Lausanne. 

En Allemagne et en Autriche des représentations en langue allemande dans la traduction de Klaus Jossa eurent lieu à Nuremberg et à Linz en 1963, à Berlin en 1991, à Francfort-sur-l'Oder en 1993 et ​​à Hanovre en 2006. Le théâtre munichois de la Gärtnerplatz la joue actuellement dans la même traduction. 

On ne fait pas d'omelette...euh, de gâteau...sans casser d'oeufs
Silvio/Pasquin, Jacob Romero Kressin

Traduttore, tradittore ! Une question vient tout de suite à l'esprit. Pourquoi l'équipe du théâtre de la Gärtnerplatz a-t-il programmé le Docteur Miracle en allemand alors que les opéras italiens ou en langue anglaise,  comme récemment avec The Old Maid and the Thief , y sont joués dans la langue originale ? La traduction de Klaus Jossa paraît bien fade au regard de l'original français de Léon Battu  et Ludovic Halévy. Le fameux quatuor de l'omelette si amusant en français et qui est le numéro le plus connu de devient chez Jossa le quatuor du gâteau, un gâteau réalisé en trois minutes mais qui a servi de ligne directrice à la mise en scène très pâtissière du Theater-am-Gärtnerplatz.


Un concours de composition pour une opérette

Jacques Offenbach, après avoir fondé, d'abord aux Champs-Élysées, puis passage Choiseul, les Bouffes-Parisiens, un nouveau petit théâtre lyrique tout exprès pour y donner ses propres œuvres, s’était avisé de donner, par le concours, accès aux compositeurs qui aspireraient à varier son répertoire. Après une épreuve éliminatoire en règle (mélodie, morceau d’orchestre, instrumentation improvisée d’une mélodie donnée...), 6 musiciens furent choisis par un jury solennel parmi les 78 qui s’étaient présentés, et reçurent ensuite un livret d’opérette, œuvre de Léon Battu (cela ne s'invente pas !) et Ludovic Halévy, le Docteur Miracle, sur lequel ils eurent quelques mois pour s’escrimer. Charles Lecocq et Bizet furent déclarés vainqueurs ex aequo du tournoi. Leurs oeuvres furent représentées alternativement par les mêmes chanteurs sur la scène des Bouffes-Parisiens, celle de Lecoq le 8 avril 1857, celle de Bizet le 9, chacune pour onze représentations. Il est curieux de relire les jugements portés alors par les critiques : la partition de Bizet fut jugée plus bouffe, plus théâtrale, et celle de Lecocq plus musicale et plus serrée d’écriture. Ni l’une ni l’autre ne fit d’ailleurs long feu (ce qui aurait nui à l'omelette...). Aussi bien, Offenbach ne tenait précisément qu’au geste qu’il venait de faire, non aux œuvres.

Pour revivre l'ambiance ce ce concours que Jacques Offenbach nommait un tournoi, on dispose du discours que tint Offenbach après la désignation  des vainqueurs par le jury, et que publia le magazine Le Ménestrel :

THÉÂTRE DES BOUFFES-PARISIENS
Concours pour une opérette.

Le jury d'examen a tenu sa dernière séance lundi 29 décembre 1856 dans la salle du théâtre des Bouffes-Parisiens, sous la présidence de M. Auber. Tous les membres étaient présents : MM. Halévy, Scribe, Mélesville, Saint-Georges, Ambroise Thomas, Leborne, Gounod, Razin, Victor Massé et Gevaërt. Il avait à juger, comme on sait, les compositions des six candidats admis à l'épreuye définitive, MM. Bizet, Demersmann, Erlanger, Lecocq, Limagné et Maniquet. Le même livret avait été remis à chacun d'eux. La séance, commencée à midi, s'est prolongée jusqu'à cinq heures. À l'ouverture de la séance, M. Offenbach a prononcé les paroles suivantes :

Messieurs,
    Au moment où votre arrêt va clore ce concours, objet de tant d'espérances, permettez-moi de vous offrir l'expression de toute ma gratitude. L'initiative que j'ai prise a reçu de votre adhésion une valeur qui l'honore. Le nombre des concurrents dit assez qu'elle répond à un besoin véritable.
    Ce n'est pas, croyez le bien, Messieurs, un sentiment de vanité personnelle qui me fait parler ainsi. J'ai voulu servir l'art auquel ma vie tout entière est consacrée, j'espère y avoir réussi. Voilà toute ma prétention ; votre approbation est mon orgueil en même temps que ma récompense.
    Ce concours a révélé des talents ignorés. Votre jugement définitif va proclamer celui qui aura le mieux atteint le but indiqué, en composant, ainsi que l'a dit votre honorable rapporteur, la musique la plus appropriée au théâtre pour lequel elle est écrite.
    Votre arrêt sera pour le vainqueur un grand sujet de joie ; mais il ne doit pas devenir pour les autres un motif de découragement. Ce sera toujours pour eux une distinction flatteuse d'avoir été honorés de vos premiers suffrages. Ces suffrages d'ailleurs ne seront pas sans profit. Je me réserve d'appeler à moi leurs jeunes talents, et de leur ouvrir aussi la carrière du succès.
   Messieurs, il y a un an à pareil jour, le 29 décembre, nous inaugurions cette salle qui a l'honneur de vous recevoir. Cette date, votre présence la consacre et nous la rend à jamais précieuse. Les Bouffes-Parisiens sont, pour ainsi dire, aujourd'hui adoptés et protégés par vous. Vous êtes désormais nos patrons et nos maîtres. Pouvions-nous en désirer de plus chers et de plus illustres?
    Merci donc, Messieurs, mille fois merci, de votre bonne grâce et de votre bienveillance. Croyez que nous en sommes bien touchés, et que ces souvenirs vivront éternellement dans notre reconnaissance et dans notre affection.
 
Après cette petite allocution, l'audition a commencé dans l'ordre fixé par un tirage au sort préalable. Le jury, à la suite d'une longue délibération, a cru devoir partager le prix ex aequo entre deux candidats dont les qualités ont été remarquées à divers titres. On a voté au scrutin secret et proclamé à l'unanimité MM. Bizet (Georges) et Lecocq (Charles). La direction ayant été consultée sur le mode d'attribution, il a été décidé : 
    Que chacun des lauréats recevrait une somme de 600 fr. et une médaille d'or de 150 fr.
    Que les deux partitions seraient jouées alternativement sur le théâtre des Bouffes-Parisiens.

Le jury motiva sa décision de la manière suivante : "La partition de M. Bizet a paru plus savante, celle de M. Lecoq plus vivante."

 

Le Docteur Miracle

Le Docteur Miracle est une opérette ou un opéra-bouffe en un acte, une sorte de pastiche de la comédie italienne, une pièce fort gaie semée de mots heureux qui convenait parfaitement à la bonbonnière qu'était le petit théâtre du passage Choiseul, qui pouvait accueillir jusqu'à 600 spectateurs.  

L'histoire se passe à Padoue, une ville dirigée par un podestat, qui dans la traduction de Klaus Jossa devient un bourgmestre. Le bourgmestre a une fille unique, Laurette, qu'il entoure de soins méfiants. Un capitaine nommé Sylvio, prend tous les prétextes et tous les déguisements pour en conter à Laurette. Fatigué des visites clandestines de Sylvio, le podestat prend à son service un bon et solide campagnard, Pasquin, qu'il charge de veiller sur sa fille. Le domestique sert à son maître, à Véronique et à Lauretta, une omelette d'un goût douteux, un gâteau dans la traduction Jossa. Aussitôt ils éprouvent d'affreux déchirements d'entrailles, qui leur font pousser des cris de détresse. Le domestique sort un instant avec Laurette et se fait reconnaître ; c'est Sylvio lui-même qui a pris ce costume pour tromper le père méfiant. Il se pâme aux pieds de sa belle, lorsque rentre le podestat, dont on peut deviner la colère; il chasse honteusement le valet déguisé. Mais à peine s'est-il débarrassé du capitaine Sylvio, que les douleurs d'entrailles redoublent, une lettre anonyme lui annonce qu'il est empoisonné et qu'il ne lui reste plus qu'à faire son testament. On entend sous les fenêtres la trompette et la grosse caisse d'un charlatan qui vend ses drogues ; on l'appelle en toute hâte ; le charlatan consulté déclare que la maladie est mortelle. Le podestat, de plus en plus effrayé, promet de donner tout ce qu'on lui demandera, si on lui ôte ce vilain mal qui le torture.— Eh bien ! répond le charlatan, donnez-moi en mariage votre fille Laurette et j'assure votre guérison immédiate. L'offre est acceptée, on signe de part et d'autre un engagement en bonne forme ; mais, on le devine, le charlatan n'est autre que le capitaine Sylvio, et le podestat, qui ne peut plus retirer sa signature, prononce le conjungo ; d'ailleurs il est guéri, il n'avait eu d'autre mal que le mal de la peur.

Le texte de Battu et Halévy s'inspire d’une joyeuse pièce du dramaturge irlandais Sheridan, Saint Patrick’s Day ou le Lieutenant intrigant. Les personnages semblent issus de la Commedia dell'arte, des théâtres forains, d'une comédie de Molière (comme Le Malade imaginaire, l'Avare ou les Fourberies de Scapin), de Don Pasquale de Donizetti ou du Barbier de Séville de Rossini.  Le thème du barbon méfiant, — que ce soit un père ou un tuteur, — du déguisement à répétition et du serviteur ingénieux. 

Le combat des chefs

Va pour le gâteau ! Une soirée au Studio du Theater-am-Gärtnerplatz

Oublions l'omelette... La mise en scène de Florian Hackspiel est totalement pâtissière, tout comme le sont le décor et les costumes de Rainer Sinell. Le bourgmestre de Padoue est extrêmement gourmand et par conséquent bedonnant, on le remarque à son embonpoint, à sa consommation de smarties et de barbe à papa et à l'ameublement de sa salle de séjour composé de sièges en forme de cupcakes et d'une longue table de salon rectangulaire qui ressemble à un grand gâteau et s'ouvrira en cercueil après l'annonce de l'empoisonnement. Veronika, la femme du bourgmestre, porte une coiffure qui évoque la crème Chantilly et une robe et des souliers blancs dont elle entretient la blancheur au moyen d'un saupoudreur à sucre glace. À gauche de la scène des étagères présentent un assortiment de gâteaux. Lauretta, la fille du bourgmestre, vêtue de rose bonbon et armée d'un téléphone portable de la même couleur, passe le plus clair de son temps à faire des selfies. Se présente un jeune ramoneur qui propose ses services d'homme à tout faire, c'est Silvio déguisé en Pasquin qui prétend aussi savoir faire des gâteaux.

La direction d'acteurs s'inspire de l'exagération de la gestuelle typique de la Commedia dell'arte : les personnages se comportent comme des marionnettes ou des pantins articulés à la manière de la poupée automate Olympia des Contes d'Hoffmann, avec des arrêts sur image, les amoureux s'envoient des petits cœurs, le bourgmestre accumule les maladresses, sa femme est la caricature de la marâtre intéressée qui accumule les mariages et songe à l'héritage. La représentation rend bien compte de l'esprit du livret qui pastiche spirituellement le vieux genre italien.

La direction d'orchestre a été confiée à Peter Foggit, depuis deux ans dans la maison en tant que répétiteur solo. L'orchestre rend fort bien le caractère très enjoué, les couleurs et la pétulante vivacité de la musique de Bizet chantée par les jeunes chanteurs de l'Opéra Studio avec beaucoup de verve et d'esprit. La romance de Lauretta, " Ne me grondez pas trop " est fort joliment interprétée par la jeune chanteuse coréenne Mina Yu dont le soprano lyrique étincelant, les beautés de la ligne vocale et le jeu mutin promettent bien des lendemains enchanteurs. Autre figure émergente, la mezzo-soprano lyrique israélienne Anna Tetruashvili compose avec un talent scénique affirmé une délicieuse marâtre roublarde et profiteuse qui se laisse volontiers peloter les épaules  par les mains expertes du faux Pasquin. Le baryton australien Jeremy Boulton est d'un comique inénarrable en bourgmestre glouton bougonnant. Le Californien Jacob Romero Kressin prête sa belle jeunesse et son profil athlétique au capitaine Silvio avec un ténor au timbre chaleureux. En faux Pasquin, il déguise sa voix en tentant d'imiter le dialecte bavarois.

Tout cela donne une soirée des plus amusantes qui, tout en rendant honneur à la virtuosité instrumentale toute légère du jeune Bizet, a remporté un grand succès fort bien mérité. 

Tableau final

Distribution 

Direction d'orchestre Peter Foggitt
Mise en scène Florian Hackspiel
Scène et costumes Rainer Sinell
Lumières Peter Hörtner
Dramaturgie Karin Bohnert

Le bourgmestre Jeremy Boulton
Veronika, sa femme Anna Tetruashvili
Lauretta, sa fille Mina Yu
Silvio, un capitaine Jacob Romero Kressin

Orchestre du Théâtre d'État am Gärtnerplatz

Crédit photographique © Anna Schnauss

mardi 8 juillet 2025

Don Giovanni à l'Opéra de Munich, une distribution et un orchestre hors pair dans une mise en scène non aboutie

Resti dunque quel birbon 
con Proserpina e Pluton.   
E noi tutti, o buona gente, 
ripetiam allegramente       
l’antichissima canzon.       

Nominé  pour le prix du meilleur metteur en scène aux International Opera Awards 2018 à Londres et vainqueur du prix du théâtre allemand Der Faust en 2023, David Hermann fait ses débuts à l'Opéra de Munich où il a monté la nouvelle production du Don Giovanni de Mozart avec son équipe : la scénographe Jo Schramm et la costumière Sibylle Wallum, dont les costumes pour Maria Stuart de Schiller ont été élus « Création de costumes de l'année » par le magazine Theater Heute

Scène finale -Don Giovanni (Constantin  Krimmel) et Pluton (Andrea Scarfi)

David Hermann donne une relecture de Don Giovanni au départ de la moralité qui clôture la scène finale: 

ZERLINA, MASETTO ET LEPORELLO

Mais qu'il reste dans l'enfer,
Avec Proserpine et Pluton
Et nous tous, braves gens,
Redisons dans l'allégresse,
Le proverbe fort ancien:

TOUS 

Telle est la fin, quand on fait le mal! 
Et pour le perfide, la mort 
Est toujours conforme à sa vie.

Proserpine (Erica d'Amico) , Zerlina (Avery Amereau) et Don Giovanni (Constantin Krimmel)

Dans le livret, Proserpine et Pluton ne sont pas des personnages, mais leur mention nous apporte une indication sur la nature des Enfers. L'au-delà mozartien n'est ici pas chrétien mais relève de la mythologie antique : à la fin de l'opéra le Commandeur entraîne Don Giovanni dans le Tartare, la partie des Enfers réservée aux méchants, une région aride, brumeuse et monotone avec des étangs glacés, des lacs de soufre ou de poix bouillante entourés d'une rivière de feu. C'est là que s'élevait le palais de Pluton et de Proserpine. Proserpine est aussi la déesse créatrice des saisons. Cette fille de Cérès et de Jupiter fut enlevée par Pluton alors qu'elle ramassait des violettes. Malgré son statut de  la reine des Enfers, elle est aussi la déesse du printemps. Cérès, déesse des moissons, désespérée par l'enlèvement de sa fille, négocia un accord avec Pluton et obtint le retour de sa fille sur terre pendant les six mois de l'année qui correspondent au printemps et à l'été. À noter que le noir est traditionnellement la couleur de Pluton tandis que Proserpine est associée à la couleur des violettes qu'elle aimait tant,

Dans la relecture de David Hermann, Proserpine et Pluton deviennent des personnages à part entière et des principes actifs de l'action. Ils sont tous deux de rouge vêtus. Le synopsis du programme nous livre les clés de lecture nécessaires à la compréhension de l'action revisitée :

OUVERTURE Proserpine attendait ce jour avec impatience : l'épouse de Pluton, maître des Enfers, est enfin autorisée à retourner dans le monde d'en haut pour six mois. Pluton l'avait autrefois enlevée et épousée contre son gré. Bien que Proserpine soit depuis devenue la déesse des Enfers, la vie en bas est monotone, et Pluton, le dieu des morts, est extrêmement désagréable en raison de sa stupidité et de sa jalousie. Proserpine compte bien profiter pleinement des six mois de liberté qui lui sont concédés et les passer entre bals, musique et festins.

Au bureau d'état civil
Leporello (Kyle Ketelsen) et Donna Elvira (Samantha Hankey)

ACTE 1 Dans le monde d'en haut. Proserpine se retrouve dans un appartement luxueux et rencontre un homme séduisant : Don Giovanni. D'humeur aventureuse, elle décide de prendre son apparence. Une femme sort de la salle de bains : Donna Anna, qui presse Don Giovanni de poursuivre leurs ébats amoureux, ignorant que Proserpine a désormais pris le corps de son amant. Le père de Donna Anna, le Commandeur, les surprend tous deux. Le Commandeur meurt lors d'une dispute avec « Don Giovanni » (Les guillemets indiquent que Don Giovanni est possédé par Proserpine). Donna Anna, qui est déterminée à ne pas révéler sa liaison à son fiancé, Don Ottavio, le supplie de venger son père. Donna Elvira, l'épouse de Don Giovanni, veut demander le divorce. Impassible, Leporello lui présente la liste des femmes que son maître, Don Giovanni, a séduites. Zerlina et Masetto célèbrent leur mariage. Don Giovanni arrive et manifeste un vif intérêt pour Zerlina. Leporello emmène le cortège nuptial au château de Don Giovanni. Don Giovanni parvient à faire douter Zerlina que Masetto soit l'homme idéal pour elle. Donna Elvira intervient, accusant Don Giovanni d'infidélité persistante. Une nouvelle situation désagréable se profile : Donna Anna et Don Ottavio demandent à « Don Giovanni » de les aider à restaurer l'honneur de la famille. Lorsque Donna Elvira les rejoint, complètement perturbée, elle suscite la pitié du couple. Restée seule avec Don Ottavio, Donna Anna affirme avoir reconnu Don Giovanni comme l'homme qui lui voulait du mal. Don Ottavio n'est pas convaincu par son récit. Zerlina et Masetto se réconcilient provisoirement. Tous deux acceptent l'invitation de Don Giovanni au festin. Lors d'un grand bal masqué, « Don Giovanni » veut profiter au maximum de son temps limité dans le monde d'en haut et de sa liberté. Donna Anna, Donna Elvira et Don Ottavio sont parmi les invités : le trio compte bien mettre un terme aux plans de Don Giovanni. Zerlina se sent attirée par « Don Giovanni ». Lorsqu'elle pousse un cri de terreur, les invités la croient violée et attaquent « Don Giovanni ». Cependant, le maître et le serviteur parviennent à s'échapper. 

ACTE 2 Leporello renonce à son allégeance à « Don Giovanni », mais se laisse convaincre par l'argent que lui propose son maître. « Don Giovanni » déclare avoir des vues sur la servante de Donna Elvira. Pour l'approcher sans hésitation, « il » échange son manteau avec celui de Leporello. Surprise par les déclarations d'amour de « Don Giovanni », Donna Elvira se laisse séduire par Leporello, qu'elle prend pour le véritable Don Giovanni. Masetto informe le prétendu Leporello de son plan pour vaincre Don Giovanni. Zerlina calme Masetto, violemment attaqué par « Don Giovanni ». Leporello tente désespérément de se débarrasser de Donna Elvira. Donna Anna, Don Ottavio, Masetto et Zerlina leur barrent la route. Donna Elvira défend son mari, ignorant qu'elle se tient devant Leporello. Un procès s'ensuit : Don Ottavio porte l'accusation. Leporello, le faux Don Giovanni, est condamné. Plus tard, tandis qu'il raconte ses expériences à « Don Giovanni », la voix du Commandeur se fait entendre. « Don Giovanni » l'invite avec exubérance à dîner, sachant pertinemment que Pluton apparaîtra bientôt pour exiger le retour de Proserpine aux Enfers. La relation entre Don Ottavio et Donna Anna semble irréparable. Don Giovanni s'offre un dernier festin, agrémenté de musique et de mets savoureux. Donna Elvira tente en vain de convertir Don Giovanni au repentir. Puis, Pluton apparaît, car le temps de Proserpine est à nouveau écoulé. Don Giovanni descend aux enfers. Ceux qui sont restés dans le monde d'en haut comprennent qu'ils sont sur le point de prendre un nouveau départ.

En introduisant deux personnages supplémentaires, David Hermann modifie sensiblement les données de l'action déjà extraordinairement complexe du dramma giocoso de Mozart qui met en scène une multitude de personnages qui se rencontrent dans un nombre important de situations. Tous ces personnages se mentent à eux-mêmes comme aux autres. Le metteur en scène ajoute une dimension supplémentaire aux motifs comiques bien connus de l'inversion des rôles et du travestissement et s'aventure sur le terrain glissant de la confusion des genres. Proserpine, s'étant coulée dans le corps du  Don Giovanni, flirte avec Masetto. La déesse expérimente-t-elle des frissons lesbiens lorsque Don Giovanni accumule ses conquêtes ? Par ricochet la possession proserpinienne donne une dimension homosexuelle au déjà très polyamoureux Don Juan qui n'en demandait pas tant. Ensuite cette possession soulève des questions morales d'importance : un possédé est-il encore responsable de ses actes et punissable ? La mise en scène ouvre la question sans y répondre. La scène finale s'inscrit à présent dans la logique de l'histoire de Proserpine qui est bien forcée de rentrer aux Enfers. 

Donna Anna (Vera-Lotte Boecker)

La scénographie de Jo Schramm propose de beaux volumes de design contemporain en créant des décors en béton architectural. L'appartement de Donna Anna est conçu selon une esthétique minimaliste et ne comporte qu'un large lit et une lampe aux lignes épurées. On assiste aux changements de décors qui se pratiquent en direct par d'ingénieux systèmes d'élévation, de bascules ou de modifications d'angles qui ne manquent pas d'humour. Le mariage de Masetto et de Zerlina se déroule dans des bureaux d'état civil qui ici opèrent à l'enregistrement d'un divorce, là à celui d'un mariage. Les intéressés doivent se munir d'un numéro fourni par un distributeur. Un panneau d'affichage lumineux indique l'ordre d'entrée. Pour le grand air de Leporello "Madamina, il catalogo è questo", Leporello déroule une longue série de tickets du distributeur alors que le panneau affiche le pays et le nombre de conquêtes qu'y a réalisées Don Giovanni, une jolie trouvaille de la mise en scène. Plus avant, une simple mezzanine recevra les nombreux invités à la fête des noces de Masetto et Zerlina, dont les costumes baroques colorés, qui semblent d'inspiration arcimboldesque, sont dus au talent de Sibylle Wallum. Le décor se modifie ensuite en tribunal pour la scène du procès où Don Ottavio armé d'un maillet tient le rôle d'un juge maladroit. La scène de la statue du Commandeur est d'une belle originalité : la statue est absente, mais le Commandeur bien présent est introduit sur un chariot de morgue portant son corps recouvert d'un drap, on ne voit qu'un pied dont le gros orteil porte le numéro d'identification du corps. Le drap se soulève à diverses reprises.  Le Commandeur finit par apparaître. La dernière scène voit Don Giovanni / Proserpine entraîné dans les flammes des Enfers par le Commandeur / Pluton.

Le directeur musical général de l'Opéra d'État de Bavière Vladimir Jurowski a inséré quelques fragments d'oeuvres de Mozart dans la musique de Don Giovanni, qu'il a lui-même arrangés pour la nouvelle production, dont un fragment pour piano que Mozart écrivit à Salzbourg à l’âge de huit ans, utilisé comme transition vers le dernier air de « Don Giovanni », l’air « Mi tradì » de 1788. Un autre fragment est  plusieurs fois utilisé: l’Adagio pour pianoforte, que Mozart a composé à Vienne en 1788. Vladimir Jurowski a en outre composé quelques mélodies de transition, notamment lors des changements de décor. Pour les apparitions sur scène du dieu des Enfers, il s'est rappelé des tambours rituels japonais taiko et a ajouté un de ces tambours aux percussions de l'orchestre. Dynamisé par la belle énergie de son chef, l'orchestre, fidèle à sa glorieuse réputation, a déployé toute la magnificence de la partition.

La distribution est somptueuse. Le baryton Konstantin Krimmel fait des débuts réussis dans le rôle titre. Il  compose son personnage que la mise en scène a rendu ambigu et complexe en le féminisant par moments sans forcer le trait. Il est particulièrement brillant dans les arias « Fin ch'han dal vino »  et « Deh ! Vieni Alla Finestra ». La soprano Vera-Lotte Boecker incarne avec un talent d'actrice consommé et une expressivité impressionnante les diverses facettes de Donna Anna, une séductrice au désir enflammé, menaçant même, qui se mue en menteuse effrontée puis en accusatrice. La voix est d'une justesse, d'une précision et d'une force magnifiques même dans les moments les plus expressifs et les plus exaltés. En Donna Elvira, la mezzo-soprano Samanta Hankey incarne son septième rôle mozartien. Elle brûle littéralement les planches dans son interprétation furieuse, à la limite de l'hystérie, d'une femme amoureuse blessée au plus profond d'elle-même par les infidélités du séducteur invétéré, mais dont la flamme renaît et finit par se muer en pardon. Sa présence scénique, sa puissance vocale et la beauté de ses coloratures parfaitement maîtrisés laissent pantois d'admiration. Avery Amereau dessine avec un passion décidée les contours du personnage de Zerlina pour lequel elle déploie les beautés de son mezzo-soprano, une prise de rôle des plus séduisantes. Kyle Ketelsen compose un Leporello puissant et déterminé, avec une gestuelle virile au design épuré en harmonie avec le décor, sans aucune pitrerie. Christoph Fischesser joue le double rôle du Commandeur et du Pluton de la fin de l'opéra. Le Masetto férocement jaloux de Michael Mofidian et le  Don Ottavio plus réservé de Giovanni Sala complètent cette excellente distribution, ovationnée par un public enchanté.

Représentation du 6 juillet 2025

Direction musicale Vladimir Jurowski
Mise en scène David Hermann
Scénographie Jo Schramm
Costumes Sibylle Wallum
LumièreFelice Ross
Chorégraphie Jean-Philippe Guilois
Dramaturgie Olaf Roth 
Chœur Christoph Heil 

Don Giovanni Constantin Krimmel 
Le Commandeur Christof Fischesser
Donna Anna Vera-Lotte Boecker
Don Ottavio Giovanni Sala
Donna Elvira Samantha Hankey
Leporello Kyle Ketelsen
Zerlina Avery Amereau
Masetto Michael Mofidian
Pluton, dieu des enfers Andrea Scarfi
Proserpine, épouse de Pluton Erica D'Amico

Orchestre d'État de Bavière 
Chœur de l'Opéra d'État de Bavière

Crédit photographique @ Geoffroy Schied

vendredi 4 juillet 2025

Diffusion en direct gratuite du nouveau Don Giovanni de Munich ce dimanche à 19 H (CET)

Ce dimanche 6 juillet à partir de 19 heures, l'Opéra d'État de Bavière diffuse gratuitement sur sa Staatsoper.tv la nouvelle production du Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart dans une mise en scène de David Hermann. 

L'orchestre est placé sous la direction musicale de Vladimir Jurowski. Konstantin Krimmel interprète le rôle-titre. Dans les rôles principaux on retrouvera Avery Amereau (Zerlina), Vera-Lotte Boecker (Donna Anna), Christof Fischesser (Le Commandeur), Samantha Hankey (Donna Elvira), Kyle Ketelsen (Leporello) et Giovanni Sala (Don Ottavio). 

Don Giovanni de Mozart est plus que l'histoire d'un séducteur : c'est un jeu de tromperie, de désir et de damnation. Personne n'y échappe, pas même la vérité. Dans sa mise en scène, David Hermann s'inspire des deux divinités auxquelles le librettiste de Don Giovanni, Lorenzo Da Ponte, rend une justice particulière dans la célèbre finale de l'opéra : Proserpine et Pluton, les maîtres des Enfers. Hermann offre un nouveau regard sur Don Giovanni, un personnage qui, en tant que figure machiste, a depuis longtemps survécu à sa place sur la scène lyrique. Première création du Festival d'opéra de Munich, ce Don Giovanni complète le nouveau cycle Da Ponte. Sous la direction musicale de Vladimir Jurowski, la musique de Mozart déploie toute sa puissance, démontrant pourquoi cet opéra nous captive.


« Chi è morto, voi o il vecchio ? » plaisante sournoisement le serviteur Leporello après que son maître Don Giovanni a assassiné le Commandeur. L'histoire du débauché puni est depuis longtemps devenue un mythe. Don Giovanni évolue sur le terrain de la tension entre un supérieur et un inférieur. Comme dans ce dramma giocoso, les contraires s'affrontent entre le désir d'amour et la chute aux enfers. Dans ce kaléidoscope de situations et de personnages, l'opacité est omniprésente, comme en témoigne le fait que tous les personnages mentent – ​​aux autres comme à eux-mêmes. Les motifs comiques bien connus de l'inversion des rôles et des échanges de vêtements prennent une ambiguïté oppressante. Don Giovanni, cet artiste aux multiples transformations, cet homme polyérotique et assoiffé de plaisir, est difficile à cerner. Dans d'interminables métamorphoses, il apparaît aussi soudainement qu'il disparaît aussitôt après. Les autres personnages le savent : ils ont besoin de lui, comme d'un miroir d'eux-mêmes. Ainsi, à la question de Leporello sur la mort de son maître, on ne peut répondre qu'en disant que Don Giovanni vit une vie éternelle et continuera à nous occuper.

Ce Don Giovanni complète le nouveau cycle Da Ponte. David Hermann, lauréat du prix « Faust », donne sa première mise en scène à l'Opéra d'État de Bavière avec laquelle Wolfgang Amadeus Mozart a ouvert les portes d'un monde nouveau et sans retour.

#BSOdongiovanni

Pour accéder à la diffusion en ligne cliquer ici.

Photos © Geoffroy Schied
Source du texte : traduction de textes de la Bayerische Staatsoper

mercredi 2 juillet 2025

Sphären.03. — Cinq chorégraphies innovantes en ouverture du Festival de Munich

Shutters Shut

Le mot « sphères » (Sphären en allemand) vient de la science céleste pré-moderne, où il désigne ce qui se regroupe en cercle autour d'un centre, en couches et suivant un ordre supérieur. Autour de l'étoile fixe de l'art chorégraphique, des danseurs évoluent dans différentes sphères. Ils disposent d'expériences différentes et pratiquent des styles différents que le public est invité à découvrir.

Sur invitation de Laurent Hilaire, qui préside aux destinées du Ballet d'État de Bavière depuis mai 2022, des chorégraphes confirmés font office de curateurs dans Sphères : ils choisissent des danseurs de la jeune génération qui doivent répéter ou créer un travail à Munich. De plus, au moins une de leurs chorégraphies est présentée dans le même programme. Après Marco Goecke et Angelin Preljocaj, Laurent Hilaire a désigné le duo Sol León & Paul Lightfoot comme curateurs du programme Sphères.03. de cette année, qui vient de connaître sa première. Avec la double chorégraphie Schmetterling (Papillon) l'Espagnole et le Britannique ont réussi à conquérir le public munichois. Avec Shutters Shut et Subject to Change, tous deux créés en mars 2003 à La Haye, deux nouvelles œuvres des deux chorégraphes font leur entrée au répertoire du Bayerisches Staatsballett. 

Sol León et Paul Lightfoot ont invité quatre chorégraphes novateurs à Munich : Pau Aran Gimeno, Dimo Milev, Eliana Stragapede et Borna Babić. Les trois derniers ont chacun créé une nouvelle pièce avec des danseurs du Staatsballett, tandis que Pau Aran Gimeno a travaillé sur une œuvre existante, Seeking the truth.

Seeking the Truth, au coeur du mal de vivre

Seeking the Truth est une pièce de danse qui semble narrative mais dont le décodage nous a paru difficile. À l'origine cette pièce était conçue comme un solo, Pau Aran Gimeno l'a ensuite recomposée pour un ensemble. Un groupe de sept danseurs et danseuses procède avec des gestes lents et précis à ce qui paraît un auto-examen qui porte aussi sur le vestimentaire, et donc sur l'apparence, sur le souci de paraître et de paraître identique. Vêtus de tuniques et de pantalons blancs, ils enfilent une jupe au-dessus du pantalon, cela peut faire penser à une fustanelle. Ils vont ensuite un à un déposer deux cailloux sur deux tas différents. Ils appartiennent visiblement à un même groupe, ou alors ils sont la multiplication d'une seule personne en sept exemplaires. Il s'agit peut-être d'une pratique rituelle. La danse semble interroger l'identité de chaque danseur au sein du groupe et questionner l'appartenance au groupe ou encore l'acceptation au sein du groupe au regard de l'identité individuelle. Les réponses à ce type de questions s'impriment dans les corps en mouvement qui semblent exprimer la difficulté existentielle, le malaise et la frustration s'installent. La recherche de la vérité qu'indique le titre de la pièce est nécessairement douloureuse. La chorégraphie s'inscrit dans la lignée du solo d'Aran Gimeno Un cadavre exquis II. Alors qu'il y était question de la gratitude qu'on peut avoir vis-à-vis de nos ancêtres, Seeking the truth se concentre sur la gestion du rejet et de l'hostilité. 

Still After, Marina Mata Gomez et Pablo Martínez

La création d'Eliana Stragapede & Borna Babić Still After est également basée sur du contenu. Le duo s'est laissé guider par la question de savoir comment nous traitons la mémoire, et notamment par le fait que, selon le contexte, le souvenir est plus ou moins tangible. Cette idée se reflète dans la scénographie de la pièce qui installe deux rochers érodés par le vent ou la mer desquels se détachent lentement un homme et une femme. Les rochers symbolisent à la fois la manière dont la nature transmet la constance, mais  ils sont également exposés à l'érosion par l'eau et l'air. Les traces que nous y imprimons peuvent être effacées : l'homme imprime toute l'empreinte de son corps sur son rocher, mais cette empreinte disparaîtra. Stragpede & Babić ont créé un duo pour lequel, outre le contraste entre la rigidité ou la fluidité des mouvements, l'intimité est particulièrement importante. Les deux protagonistes explorent à la fois leur relation personnelle à la nature et leur relation interpersonnelle. C'est d'une beauté poétique confondante.

Le travail créatif de la chorégraphie de Dimo Milev In fragments est exécutée par deux couples qui semblent tous deux rechercher l'intimité, mais leur approche est différente, un couple semble d'emblée plus harmonieux et synchrone alors que l'autre procède par tâtonnements, avec des temps de rupture et des temps de rapprochement. Milev travaille sur un principe de répétition évolutive. Il met particulièrement en valeur le rapport entre l'intention et le mouvement exécuté. Son langage chorégraphique explore toutes les dimensions de l'espace, le principe d'expansion joue un rôle prépondérant et contraste de manière passionnante avec l'intimité recherchée. Une phrase prononcée par Dimo Milev lors des répétitions est emblématique non seulement d'In fragments, mais aussi de tout le processus de création de Sphären.03 : " Votre imagination est la limite. Vous serez surpris de voir jusqu'où vous pouvez aller ! "

Shutters Shut de Sol León & Paul Lightfoot ne dure que 4 minutes mais cette pièce si courte est une  chorégraphie pantomime d'une créativité, d'une originalité et d'une densité telles qu'elle mérite de figurer au panthéon de l'histoire du ballet contemporain. La pièce a été conçue au départ d'un extraordinaire poème que Gertrud Stein composa en 1923 : If I Told Him : A Completed Portrait of Picasso. Il s'agit d'une réponse à un portrait que Pablo Picasso a peint d'elle vingt ans auparavant. La poétesse avait enregistré sa propre lecture de son poème et c'est sur la voix de Gertrud Stein qu'évoluent deux personnages dansés et mimés par Carollina Bastos et Ariel Merkuri costumés et grimés de blanc et de noir, un travail chorégraphique d'une intensité exceptionnelle qui semble jouer sur l'imbrication du yin et du yang et sur l'ambiguïté du genre. La pièce composée de 1001 mouvements et de 1001 regards est d'une extrême rapidité d'exécution et ne peut être exécutée que par des danseurs au faîte de leurs carrières. Un travail " nanométré " qui a suscité des hurlements enthousiastes !

Laurretta Summerscales et Jakob Feyferlik
Subject to Change (Sous réserve de modification), la seconde pièce des curateurs de la soirée, met en scène une relation amoureuse dansée par deux premiers danseurs du Ballet bavarois, Laurretta Summerscales et Jakob Feyferlik, encadrés par un quatuor masculin, six officiants qui évoluent sur une musique éminemment poétique:  l'arrangement orchestral que donna Gustav Mahler  de La Jeune Fille et la Mort de Schubert. Au départ Sol León & Paul Lightfoot voulaient réaliser une pièce chorégraphique comportant un pas de deux et un grand tapis rouge pour la danse. Le titre lui-même reflète l'essence du processus créatif qui peut avoir tendance à s'écarter des attentes et est sujet au changement, un thème que ce ballet explore. Le ballet utilise de manière innovante un grand tapis rouge qui se présente d'abord roulé pour être ensuite déployé de façon spectaculaire sur la scène, symbolisant le déroulement des émotions et des expériences. Le quatuor masculin fait ici tournoyer le tapis et se glisse là sous les coins du tapis pour s'y enrouler. L'œuvre d'une grande puissance d'évocation émotionnelle explore les thèmes du changement, des relations et de la condition humaine, avec un accent particulier sur les complexités de l'amour et de l'intimité. 

Des applaudissements  et des rappels des plus enthousiastes ont longuement salué cette soirée de ballet exceptionnelle.

Distribution de la représentation du 30 juin

Seeking the Truth

Chorégraphie, mise en scène Pau Aran Gimeno
Musique Flavien Berger
Dramaturgie José Troncoso
Costumes Isabelle Peña
Lumières Christian Kass
Danseurs Elvina Ibraimova Ana Gonçalves Jasmine Henry Phoebe Schembri Severin Brunhuber Matteo Dilaghi Alfie Pearce

Still After

Chorégraphie, concept et costumes Eliana Stragapede Borna Babić
Musique Nenad Kovačić
Scénographie RV réalisée par Hajek
Lumières Christian Kass
Danseurs  Marina Mata Gomez Pablo Martínez

In fragments

Chorégraphie, costumes Dimo Milev
Musique Brambles
Lumières Christian Kass
Danseurs Sabrina Yap Dani Gibson Clark Eselgroth Nikita Kirbitov

Shutters Shut

Chorégraphie, costumes Sol León Paul Lightfoot
Texte Gertrude Stein
Lumières Tom Bevoort
Coordination technique Éric Blom
Costumes Joker Visser
Répétition Chloé Albaret
Danseurs Carollina Bastos Ariel Merkuri

Subject to Change

Chorégraphie, scène, costumes
Sol León Paul Lightfoot
Musique Franz Schubert
Lumières Tom Bevoort
Coordination technique Éric Blom
Costumes Joker Visser
Répétiteurs Chloé Albaret Menghan Lou Roger Van der Poel
Premiers danseurs Laurretta Summerscales Jakob Feyferlik
4 danseurs Florian Ulrich Sollfrank Tommaso Beneventi Konstantin Ivkin Robin Strona

Crédit photographique © Katja Lotter

mardi 1 juillet 2025

Waldmeister de Johann Strauss, une opérette coquine et pleine de bonne humeur au Theater-am-Gärtnerplatz

" L'orage a fait tomber sur nous toute la pluie du ciel..."


Waldmeister est l'avant-dernière opérette que composa Johann Strauss II. La première eut lieu au Theater an der Wien de Vienne en décembre 1895, vingt ans après La Chauve-souris. Le journaliste et écrivain Gustav Davis (1856-1951) avait soumis le livret au compositeur en 1894, et celui-ci s'était d'emblée montré très enthousiaste.  Strauss avait déjà 70 ans lorsqu'il composa la musique de l'opérette. Gustav Davis situe l'action à l'époque de la création dans une province saxonne. Bien que moins populaire que certaines autres opérettes de Strauss, telles que Der Zigeunerbaron et Die Fledermaus, elle fut donnée quatre-vingt-huit fois. Le soir du 4 décembre 1895, Johann Strauss dirigea lui-même l'ouverture de sa nouvelle opérette lors de la première représentation. Johannes Brahms, ami de Strauss, exprima sa grande admiration pour l'oeuvre, dont il aurait dit : " Depuis Mozart, on n'a rien écrit de plus parfait, de plus charmant, de plus harmonieux. " 


Daniel Prohaska en professeur Erasmus

2025 est une année jubilaire pour Johann Strauss II : à Vienne, dans toute l'Autriche et sans doute un peu partout dans le monde, on célèbre le 200ème anniversaire du compositeur né à Vienne en octobre 1825. Le théâtre de la Gärtnerplatz se devait d'honorer lui aussi cet anniversaire et c'est son DG, Josef E. Köpplinger, qui s'est lui-même chargé de la mise en scène et de la réécriture d'un livret qui avait bien besoin d'être dépoussiéré, d'autant qu'en dehors de l'ouverture et de quelques airs fameux, l'opérette était quasi tombée dans l'oubli. Le metteur en scène a déplacé le lieu de l'action en Autriche, dans le Wienerwald, une région proche de la capitale, et le temps de l'action dans les années 1960, une période qui convient bien à la thématique du livret du Waldmeister, qui questionne les valeurs de la morale bourgeoise et son hypocrisie. 

Le titre de l'opérette

Le mot  " Waldmeister " désigne une plante herbacée appelée en français " gaillet odorant " (en latin "Galium Odoratum ") ou encore aspérule odorante. Ses floraisons blanches sont utilisées pour parfumer des  boissons alcoolisées, notamment  certains vins apéritifs. Ainsi du " vin de mai ", récolté de mi-avril à début mai : on  laisse macérer l'aspérule dans du vin blanc de Moselle, notamment au Grand-Duché du Luxembourg ou dans la province belge du Luxembourg. Dans ces régions on l'appelle « Maibowle » ou « Waldmeisterbowle » ou encore « Maitrank ».

Le nouveau monde en conversation avec l'ancien

Quelques mots sur l'action dans sa nouvelle version (1)

On n'imagine pas qu'une sortie au grand air puisse être aussi scandaleuse que cela : un groupe de jeunes gens pleins de vie, entraînés  par la célèbre chanteuse Pauline Garlandt, est surpris par une averse torrentielle et trouve refuge dans un hôtel dénommé " Waldmühle " (Le moulin de la forêt), alors fermé pour rénovation.  Les participants de l'escapade, trempés jusqu'aux os, demandent au gardien de l'hôtel s'il peut leur prêter des vêtements de rechange et lui promettent de le dédommager. On leur fournit alors les tenues de service du personnel de l'hôtel, déjà préparées pour la prochaine réouverture. Sur ces entrefaites survient le sévère conseiller forestier en chef Tymoleon qui veut surprendre ses élèves dans cette  excursion non autorisée.  Tymoleon prend Pauline pour la meunière et se laisse volontiers charmer par elle. Pourtant, Tymoleon est fiancé à la belle Freda ! Le jeune Botho est lui aussi tombé éperdument amoureux de Freda, c'est pourquoi il saisit l'occasion de démasquer Tymoleon. Il y parvient avec l'aide d'Erasmus Müller, un professeur de botanique venu pour examiner l'« aspérule noire » prétendument découverte par Malvine, la mère de Freda. Erasmus reconnaît immédiatement qu'il ne s'agit que d'aspérule colorée à l'encre. On sert des rafraîchissements à toute la troupe. Les effets de la plante, transformée en un punch bien arrosé avec beaucoup d'alcool, font tomber toutes les barrières morales traditionnelles et tout ce beau monde se mélange, tous âges confondus, dans une orgie d'opérette. Et c'est ainsi qu'après quelques péripéties, les couples adéquats se forment.

Les effets aphrodisiaques du punch à l'aspérule

La mise en scène est charmante, amusante, sautillante, trépidante, pétillante, surprenante... Après l'ouverture, un générique de présentation est projeté comme pour une séance de cinéma des années soixante. La scène donne constamment l'impression d'être grouillante d'une multitude de personnages dont la disposition et les mouvements sont magistralement orchestrés par Ricarda Regina Ludigkeit, co-responsable de la mise en scène. Tout ce petit monde se mêle et s'entremêle au rythme trépidant de l'action et de la musique. Une chatte y perdrait ses petits, et, surtout pendant le premier acte, le public aussi, mais les situations emberlificotées se clarifient progressivement et on finit par s'y retrouver.  Les années soixante sont rappelées aussi par les décors de l'hôtel, dont les murs portent des affiches publicitaires touristiques typiques de l'époque. Des panneaux indicateurs donnent des directions, on lit que le chalet de chasse de Mayerling est à deux kilomètres, ce qui précise le lieu de l'action. La mise en scène renforce la satire d'une bourgeoisie normée, représentée par des hommes âgés engoncés dans des manteaux et des costumes, portant cols et cravates, et par des femmes mûres aux vêtements tristes qui, la bouche pincée et le regard coléreux, tiennent au respect des conventions et des apparences, jusqu'au moment où tout ce monde coincé déguste le thé à l'aspérule noire dont les effets hallucinogènes entraînent le relâchement complet des attitudes et des mœurs si bien codifiées. 

Johann Strauss a écrit une partition jouissive et totalement libératrice, avec une vraie musique viennoise pleine de mélodies entraînantes qui ravissent autant le cœur qu'elles plaisent à l'oreille, une musique chaleureuse qui parle une langue chargée d'émotions. L'ouverture est une merveille d'invention joyeuse et d'instrumentation délicieuse que rendent magnifiquement le chef Oleg Ptashnikov et l'orchestre du théâtre. Au deuxième acte, on est séduit par le délicieux tableau musical du tercet de la chanteuse Pauline avec les deux fonctionnaires rigides et moroses qui va s'amplifiant en sextuor pour aboutir à un final choral. Au troisième acte les numéros se succèdent, avec entre autres la chanson mélodieuse de Tymoleon ou le couplet pétillant de Müller. Les airs de valse donnent envie de danser, la polka de marche du troisième acte de se lancer dans un galop. 

Andreja Zidaric  (Freda),  Matteo Ivan Rašić  (Botho von Wendt)

L'excellente troupe du théâtre de la Gärtnerplatz livre à nouveau un remarquable travail d'équipe. Au tableau d'honneur il convient d'épingler la prestation du ténor de charme Matteo Ivan Rašić qui de sa voix merveilleusement bien timbrée semble se jouer des difficultés du rôle (qui enfile les si bémols) de l'étudiant Botho. Sophia Keiler tient le rôle de la chanteuse Pauline à laquelle elle confère une présence scénique pleine d'allant, déployant les beautés de son soprano lyrique. On comprend sans peine que sa belle prestance et les séductions de son chant aient hypnotisé le forestier en chef, fort bien campé par Ludwig Mittelhammer. Avec un bel aplomb, Regina Schörg incarne Malvine, la femme de l'administrateur Heffele qui se pique de botanique et croit avoir découvert l'aspérule noire, rarissime parce qu'inconnue des scientifiques. La charmante soprano slovène Andreja Zidaric chante avec une touchante émotion le rôle de l'étudiante Freda, la fille mal promise des époux Heffele. Anna Overbeck donne une forte personnalité à Jeanne, la secrétaire particulière de Pauline. Deux invités prestigieux viennent compléter la troupe : l'acteur Robert Meyer, 71 ans, membre du Theater in der Josefstadt et jusqu'il  y a peu directeur de la Volksoper de Vienne, tient le rôle de Christof Heffele auquel il fait même pousser la chansonnette ; le ténor Daniel Prohaska, célèbre pour ses rôles d'opérette, compose avec le grand talent qu'on lui connaît le rôle ébouriffé du professeur de botanique Müller.

La partition exprime tout le génie voluptueux, exubérant de jeunesse et de gaieté, original et souple de l'auteur du Danube bleu. On admire le charme, la poésie, le sentiment extraordinaire du rythme, l'infatigable don d'invention mélodique, la lumière intense, la joie de vivre et d'aimer, le souffle d'enthousiasme de cette opérette quelque peu oubliée, que nous a fait redécouvrir le Theater-am-Gärtnerplatz. Une soirée d'une légèreté divertissante grandement ovationnée par un public ravi de tant d'inventivité et d'entrain !

Ludwig Mittelhammer ( Tymoleon von Gerius ), Sophia Keiler  (Pauline Garlandt)

(1) L'action dans le livret original

Acte 1 : Dans le moulin de la forêt, près d'une petite ville de province saxonne, vers la fin du 19ème siècle.

Un groupe de chasseurs très fiers, composé de Forsteleven, de la chanteuse Pauline et de leurs amies, est surpris par un orage et trouve refuge dans le moulin de la forêt. Là, tous échangent leurs vêtements de chasse mouillés contre des vêtements de meunier secs. Le professeur de botanique Erasmus Friedrich Müller vient lui aussi au moulin à vent et échange ses vêtements mouillés. Soudain, le redoutable conseiller forestier en chef Tymoleon von Gerius, directeur de l'Académie forestière, fait son apparition. Il recherche ses élèves qui se sont éloignés sans autorisation du service forestier. Pauline, habillée en meunière, tente de séduire Tymoléon en l'embrassant. C'est alors qu'Érasme apparaît et, à cause de ses vêtements, est pris par Tymoléon pour l'époux de la belle meunière. Le scandale est parfait, car Tymoléon est fiancé à Freda, la fille du gouverneur Hefele.

Acte 2 : Dans la maison de campagne de Pauline

Le capitaine Hefele et le maire Danner se rendent chez Pauline pour lui demander des comptes sur son mode de vie immoral. Mais Pauline et ses amies ne peuvent qu'en rire. Botho est éperdument amoureux de Freda. Alors qu'il embrasse Freda, ils sont surpris par Tymoleon et le prochain scandale est parfait. C'est alors qu'apparaît Pauline, à nouveau déguisée en meunière, qui met le conseiller forestier dans l'embarras. Le professeur Müller doit rédiger une expertise botanique pour Malvine, la mère de Freda, sur l'aspérule "noire" qu'elle a découverte. Mais le savant voit immédiatement que Malvine n'a fait que tremper dans l'encre noire la fleur d'une aspérule blanche ordinaire. Botho, Freda et Erasmus préparent alors un punch avec l'aspérule " noire " et beaucoup d'alcool, dont toutes les personnes présentes boivent. Toute la compagnie est prise d'un fort coup de barre après avoir bu ce puissant punch à l'aspérule.

Acte 3 : Chambre dans la maison de l'intendant Hefele. Peu à peu, tout le monde se réveille avec la gueule de bois et tout s'éclaircit. Botho retrouve sa Freda et l'énigme de l'aspérule "noire" trouve également son explication.

Représentation du 29 juin 2025

Directeur musical Oleg Ptashnikov
Réalisé par Josef E. Köpplinger
Chorégraphie et co-mise en scène Ricarda Regina Ludigkeit
Scène Walter Vogelweider
Costumes par Uta Meenen
Lumière Peter Hörtner / Josef E. Köpplinger
Dramaturgie Karin Bohnert

Christof Heffele, administrateur de district Robert Meyer
Malvine, sa femme Regina Schörg
Freda, sa fille, l'étudiante Andreja Zidaric
Tymoleon Gerius, forestier en chef, fiancé à Freda Ludwig Mittelhammer
Botho Wendt, étudiant en foresterie Matteo Ivan Rašić
Pauline Garlandt, la chanteuse Sophia Keiler
Erasmus Friedrich Müller, professeur de botanique Daniel Prohaska
Jeanne, secrétaire particulière de Pauline Anna Overbeck
Danner, conseiller municipal Caspar Krieger
Martin, gardien / Sebastian, serviteur - frères jumeaux Erwin Windegger
Erich, étudiant en foresterie, ami de Botho Alexander Paul Findewirth
Regina, une collègue de Pauline Riccarda Schönerstedt

Chœur et figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Crédit photographique © Marie-Laure Briane