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mardi 3 février 2015

Diana Damrau triomphe en Lucia Kennedy de Lammermoor-Kelly à l´Opéra de Munich

BALLROOM, AMERICAN HOTEL, 2007 (Marchand / Meffre)
La metteure en scène polonaise Barbara Wysocka et son équipe (Barbara Hanicka pour les décors et Julia Kornacka pour les costumes) situent l´action de leur Lucia di Lammermoor dans l´Amérique des années 50 et 60, ou du moins dans ce qu´il en reste: le décor plante les vestiges dévastés d´un rêve américain de glamour dont il ne reste que des ruines. A peu de détails près, c´est la reconstitution à l´identique d´une salle de bal délabrée d´un grand hôtel à l´abandon dans la ville de Detroit, dont la photographie a été publiée dans  l´ouvrage The Ruins of Detroit (Detroit, vestige du rêve américain pour l´édition française, éditions Steidl) d´Yves Marchand et Romain Meffre, une reconstitution par ailleurs parfaitement réussie.

Pendant l´ouverture, une fillette blonde toute de blanc vêtue assiste au défilé de personnes endeuillées qui traversent la salle d´un palais dévasté ( la salle de bal photographiée par Marchand et Meffre) pour se rendre à un enterrement ou à une veillée funèbre. Sur le mur de fond, un immense graffiti dessine le nom d´Ashton, les propriétaires des lieux. Un piano renversé et cassé annonce que la musique est morte elle aussi. La fillette tient un browning à la main. Un homme se dirige vers le mur du fond, il tient un spray de peinture à la main et biffe le nom d´Ashton d´un trait continu.  Est-ce la petite Lucia un jouet mortifère à la main, soulignant le déterminisme d´un destin cruel et, partant  l´innocence impossible de l´enfance? Barbara Wysocka mêle ainsi d´emblée les plans temporels du récit en commençant la narration par une prolongation du final: les morts sont enterrés. Et si on veut interpréter  la fillette au revolver comme la préfiguration du destin de Lucia, on entrevoit une autre extension de la temporalité du récit: le destin des humains est inscrit dés leur naissance, tout est prédestiné.

Après le défilé, un homme en costume se met à fumer une cigarette qu´il a extraite d´un porte cigarette en métal argenté. L´action commence, Enrico et Normanno vont décider d´un plan pour forcer Lucia à un mariage qui doit servir les intérêts de la famille Ashton.

Edgardo (Pavol Breslik) et Lucia (Diana Damrau). Photo Wilfried Hösl.

Il n´y aura pas de changement de décor. Pour la scène de la fontaine au deuxième tableau, la fillette apporte un tableau représentant une fontaine, aux spectateurs de faire le lien. Edgardo arrive sur scène au volant d´une Cadillac blanche décapotée, que l´on retrouvera plus tard emboutie dans le mur de fond de scène. Des bureaux sont changés de place puis emmenés.  Des chaises recouvertes d´un velours rouge sont amenés pour la scène du mariage. Et, en seconde partie, on constate que le décor s´est délabré encore plus: les plâtras du plafond se sont davantage effondrés, découvrant des poutres de la toiture sur lesquelles se reposent des pigeons. Lucia entre en scène vêtue d´un imperméable blanc, les cheveux retenus en queue de cheval, elle arbore des lunettes noires et une longue écharpe blanche, très Jacky Kennedy, spécialement dans le duo avec Alisa où elle se coiffe de son echarpe. Edgardo en veste de cuir prêt du corps à col de fourrure a la dégaine de James Dean. Les amours impossibles de Jacky Kennedy et de James Dean dans un décor destroy miroir du drame destructeur du diktat de la puissance et de l´argent sur l ´amour.

La ravissante fillette ou son image projetée en vidéo (vidéos d´Andergrand Media + Spektakle) apparaissent à plusieurs reprises, témoin et symbole du drame.  La gamine au browning et le décor dévasté ne laissent de place qu´au voyeurisme et à  la catharsis: le public connaît de toute façon d´avance le déroulement de l´action. La mise en scène y insiste: le peuple veut du glamour et des émotions fortes, la Lucia de Barbara Wysocka pourrait faire la Une de Paris Match, elle a un air de famille avec les Jacky Kennedy et les Grace Kelly, avec ces femmes prises dans l´étau de l´argent, de l´amour et de la puissance. Wysocka dresse le portait d´une femme forte et volontaire, qui défie sa famille et combat les traditions, mais dont la détermination, aussi forte soit-elle,  ne peut contrer les forces de la destinée. La condition de la femme dans un monde soumis au potentat de la gent masculine est au centre de ce spectacle mis en scène par une équipe essentiellement féminine.

Un autre des fils conducteurs du spectacle est l´élément papier: le papier des lettres écrites, attendues et jamais reçues, le papier de la fausse lettre, le plan machiavélique imaginé par Normanno, celui-la même qui a détourné les lettres d´Edgardo, les paperasses et les factures qui témoignent de la ruine des Ashton, le papier du contrat de mariage de Lucia et d´Arturo, que Lucia met en miettes au moment du grand air de la folie, Edgardo qui lui aussi jette en l´air des morceaux de lettres au moment de la confrontation avec Enrico. Et jusqu´au programme qui en page de couverture présente une simple boite aux lettres sur fond blanc.

Photo Wilfried Hösl

La mise en scène  sert la musique et le chant. Wysocka réalise de bonnes mises en place qui dans l´ensemble permettent aux chanteurs de se concentrer sur le chant. Ainsi lors du sextuor tous les chanteurs sont-ils placés face au public, Edgardo étant situé sur la gauche de la scène en bonne distance logique du groupe des Ashton. Kirill Petrenko se livre à l´exercise de l´opéra italien avec la même rigueur et la même précision que dans sa direction d´oeuvres plus contemporaines, il souligne les cotés dramatiques de la partition exécutée sans coupures avec cette maîtrise de l´orchestre mis au service du chant qu´on apprécie tant chez le nouveau directeur musical de l´opéra munichois. Diana Damrau offre à nouveau (-elle a donné assez récemment une Lucia  mémorable en version concertante au Gasteig-) une Lucia sublime avec l´apothéose du Dolce suono que Wysocka lui fait chanter armée du revolver avec lequel elle vient de tuer l´homme qu´elle a été forcée d´épouser, le browning remplacant le poignard du livret. Elle pointe l´arme vers les invités au mariage pris en otages pour la retourner ensuite contre elle-même, semble hésiter sur le parti à prendre, se dirige vers un micro sur pied comme pour le numéro de chant d´une star de music hall, de brusques changements d´attitude qui sont autant de marque de la folie qui s´est soudainement installée. Diana Damrau se sert des coloratures pour exprimer les balbutiements et les errances d´un cerveau gagné par la démence . La perfection mélodieuse des phrasés et de la diction, la délicatesse de l´expression nuancée des émotions, le jeu théâtral, la puissance vocale,  la virtuosité dans les colorature, l´extraordinaire duo avec le verrophone du maître de l´instrument, Sascha Reckert, tout cela fait de la diva bavaroise une des plus grandes interprètes de Lucia, qui lui vaut une standing ovation à la fin du Dolce suono. Pavol Breslik utilise son beau ténor léger, d´un flûté d´une grande pureté, pour camper un Edgardo romantique au lyrisme tendre, avec une montée en force et en intensité dramatique dans les dernières scènes, une interprétation des plus poignantes, et  avec cela un physique d´une grande puissance de séduction. Luca Salsi donne un Enrico de belle tenue, avec un grand volume de voix et des graves magnifiques mais d´une beauté trop monocorde, l´expression de la psychologie du personnage manquant de nuances et restant par trop linéaire. L´Alisa de Rachael Wilson est charmante dans le duo de la fontaine, où elle sert de faire-valoir pour le premier grand air de Lucia, Regnava il silenzio. Georg Zeppenfeld donne une superbe dimension au personnage de Raimondo, c´est un des grands bonheurs de la soirée d´entendre cette belle voix wagnérienne dans le répertoire belcantiste. Dean Power tient fort bien la partie de Normanno avec un ténor aux belles clartés. La qualité de l´orchestre et des choeurs, préparés par Stellario Fagone,  est désormais légendaire.

Une soirée qui consacre Diana Damrau en reine de la colorature dramatique dans un tonnerre d´applaudissements, de bravi et de trépignements, avec également un grand succès d´audience pour  Pavol Breslik et Georg Zeppenfeld, et pour le Maestro Petrenko, l´orchestre et les choeurs.

Le Bayerische Staatsoper diffusera le spectacle du dimanche 8 février en live stream sur son site internet. Le spectacle se joue à guichets fermés, il est encore programmé pour deux soirées, les 22 et 25 juillet 2015, lors du festival d´été de l´opéra munichois.

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