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lundi 9 mai 2011

Immo Karaman met en scène L'amour des trois oranges de Prokofiev au regard de la Nouvelle Objectivité.



A la fin tu es là de ce monde ancien!

C'est par ce vers que s'ouvre un des plus beaux recueils d'Apollinaire. Et si nous avons aujourd'hui l'occasion d'applaudir Die Liebe zu den drei Orangen (L'amour des trois oranges, Любовь к трём апельсинам) au Theater-am-Gärtnerplatz, c'est à Guillaume Apollinaire que nous le devons. C'est qu'en effet le poète de la modernité, proche des cubistes et père d'une progéniture nombreuse, des dadaïstes aux surréalistes, adorait Carlo Gozzi et l'avait fait découvrir à au metteur en scène Meyerhold qui en avait fait le titre de sa revue d'avant-garde. Meyerhold fit découvrir la pièce du rival de Goldoni à Prokofiev , qui en tira le livret de son opéra, créé à Chicago, en français, en 1921, puis en russe à Léningrad, en 1927.

Portrait of the Journalist Sylvia von Harden PosterA cette époque Otto Dix a déjà dénoncé les horreurs de la guerre et vient de participer à la première exposition internationale dadaïste. Otto Dix, un peintre qui fait scandale et à qui on intente des procès, s'installe à Berlin en 1925 et travaille dans une ligne semblable à celle du peintre Georg Grosz avec lequel il développe l'esthétique de la Nouvelle Objectivité (die Neue Sachlichleit). C'est à cette époque qu'il peint de grands portraits de la danseuse Anita Berber, du poète Iwar von Lücken, du marchand Alfred Flechtheim ou de la journaliste Sylvia von Harden  (ci-contre). Cette nouvelle esthétique tient d'un réalisme expresionniste qui se caractérise par une volonté de représenter le réel sans compromis ni faux-semblants, « entre jugement et constat ». La Nouvelle Objectivité se veut le miroir de la décadence de la société malsaine et corrompue de l'après-guerre. Cette société qui a produit aussi ce Berlin homosexuel nocturne des années 20 que Christopher Isherwood a si bien saisi dans Cabaret. Une société qui présente aussi une palette d'aspects bouffons, grotesques et caricaturaux.


Fichier:Anita Berber Briefmarke 1991.jpgPour sa nouvelle production au Theater-am-Gärtnerplatz, Immo Karaman a   développé l'idée d'inscrire l'univers perturbé de L'amour des trois oranges dans le Berlin des années 20, dans cet l'univers complètement timbré qu'Otto Dix ou Georg Grosz ont représenté avec une objectivité minutieuse qui confine à la cruauté. Karaman restitue l'esthétique du Berlin des années 20 dans des tableaux vivants qui s'inscrivent dans l'encadrement compressé d'une mise en abyme: le décor, bien dans l'esprit de Gozzi,  présente comme un théâtre dans le théâtre où s'entassent en s'y écrasant la multitude grouillante des personnages.  Les décors et les costumes de Tino Dentler et Okarina Peter reproduisent à l'identique les tableaux d'Otto Dix, ainsi par exemple de la très masculine  journaliste Sylvia von Harden en avant-plan gauche de la scène. Karaman créé des tableaux vivants, aussitôt rendus mobiles par les choréographies de son ami et compagnon Fabian Posca. Lorsque s'ouvre le rideau, on contemple le tableau d'une société déjantée qui farde la perte de sens dans l'excitation d'une existence toute en représentation.

Dans les milieux branchés munichois, certains n'hésitent pas à la qualifier de mise en scène de l'année, la meilleure mise en scène que l'on ait jusqu'ici vue dans les theâtres d'opéra munichois, tous opéras confondus.

Loin de nous l'envie de trancher dans ce genre de polémique, qui suppose  au moins une émulation positive entre les théâtres d'opéra munichois. Mais c'est bien une tranche de vie que met en scène Karaman, qui a tranché dans le vif d'un immeuble. L'haletante société en  déperdition des années 20 évolue dans et autour une section d'immeuble. On ne sait quel cataclysme, quel bombardement, quel tremblement de terre, quel promoteur immobilier a tronçonné l'immeuble dans lequel Karaman situe l'inquiétante Cour d'un roi malade inquiet de son unique héritier, un Prince hypocondriaque qu'il est urgent de guérir car le Royaume court à sa perte, de même que la société des années 20 que viendra bientôt balayer le nazisme, comme il balayera l'oeuvre d'Otto Dix qui fut qualifié d'artiste dégénéré.


Tranche de vie d'une complexité étourdissante, on se perd dans le scénario complexe de Gozzi-Prokofiev tant il y a de personnages et d'intérêts divergents, mais on se laisse prendre par la cacophonie bouffone de ces multiples dessins croisés. Les effets d'ensemble et la complexité mouvante des tableaux vivants sont surprenants. A l'image d'une société qui se cherche sans se trouver, et dans laquelle  l'on se perd aussi dans l'identité des genres. Ainsi du ballet des bonniches dansé par des hommes travestis et qui rend bien l'atmosphère interlope des bars et des cabarets berlinois d'après guerre. Une société qui tue aussi sans vergogne et laisse sur le plateau quelques  cadavres malheureux. Tout cela est présenté avec une ironie cruelle et décapante. Pourtant sous le grotesque et les bouffoneries se joue le combat de forces obscures : Truffaldino,  un spécialiste en farces et attrapes, s'efforce de sauver le prince et le royaume, en guérissant le prince par le rire, il est épaulé par le mage Tchélio, aux pouvoirs limités et inefficaces; les forces du mal sont incarnées par horrible sorcière, Fata Morgana, associée à Léandre et Clarice qui souhaitent la mort du prince pour régner à sa place. Fata Morgana impose au Prince la conquête de l’amour des trois oranges, confiées à la garde d'horrible cuisinière. Le Prince y parviendra après de multiples péripéties.

C'est Anthony Brammal , un chef d'orchestre  apprécié du Theater-am-Gärtnerplatz qui est au pupitre. Il reviendra bientôt pour la nouvelle production des Pirates of Penzance de  Gilbert et Sullivan. Les choeurs et les ballets sont omniprésents et jouent un rôle primordial dans cette production, qu'ils interprètent avec bonheur et enthousiasme. On appréciera le prince névrotique et tourmenté de Tilmann Unger, qui livre notammen un beau rire en staccato,  les gouailleries de Cornel Frey en Truffaldino, la qualité  passionnée du du mezzo de Rita Kapfhammer, coqueluche du public, en  Fata Morgana  (photo ci-dessus) et Franziska Rabl en  Princesse Clarisse. Stephan Klemm, en artiste invité, interprète avec talent le rôle du Roi et récolte des applaudissements nourris. Sibylla Duffe incarne la Princesse Ninetta, Holger Ohlmann celui de la cuisinère et Gary Martin le rôle du premier ministre Leandre.

Crédit photographique: Lioba Schönek

Agenda

Les 12, 18 et 27 mai
Les 7 et 19 juin
Les 9, 17 et 24 juillet

Pour réserver, cliquer ici, sélectionner la date et suivre la procédure.

Voir aussi le post d'annonce.

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