Si l'on se met dans la peau d'un touriste moyen qui vient passer quelques heures à Herrenchiemsee et parcourt les salles fraîchement rénovées de l'aile nord du château qui accueillent la grande exposition de la saison estivale bavaroise, intulée Gotterdämmerung, König Ludwig II, il y a fort à parier que ce touriste, s'il n'en est préalablement informé, ne prendra pas conscience des tendances homoérotiques du plus célèbre des rois bavarois. Le touriste moyen va réagir normalement aux incitants mis en place par les curateurs de l'exposition, il va en quelque sorte lire les gros titres et se laisser guider dans le parcours voulu par les organisateurs. Nulle part dans la présentation l'homosexualité de Louis II n'est mise en évidence, les organisateurs n'ayant pas pris le parti de la souligner. Elle est présente, mais davantage comme un des éléments constitutifs du mythe Louis II. C'est au détour des réactions de la presse et de la perception de plus en plus négative de la fin de son règne , ou encore de l'action de la censure sur les productions cinématographiques qui l'ont pris pour sujet, que l'homosexualité du Roi est évoquée. L'expo se penche dans ce cas plus sur la constitution du mythe que sur les faits qui en sont l'origine.
Quelles sont les pièces à conviction disséminées dans cette très belle exposition?
- L'exposition évoque les fiançailles avortées de Louis II: le souverain s'était en effet fiancé avec sa cousine la duchesse Sophie-Charlotte de Bavière (1847-1897), fille du duc Maximilien en Bavière, chef de la branche cadette de la Maison Royale de Bavière et de la duchesse Ludovica de Bavière, fille du roi de Bavière Maximilien Ier, l'arrière-grand-père de Louis. Sophie-Charlotte est également la sœur de Charles-Théodore en Bavière, ami d'enfance de Louis et d'Élisabeth, dite « Sissi », impératrice d'Autriche et reine de Hongrie et de Bohême. Les fiançailles avaient été officialisées le 22 janvier 1867 mais le mariage reporté à plusieurs reprises. Le roi appellait sa fiancée Elsa du nom de l'héroïne de Lohengrin, l'opéra du compositeur Richard Wagner, dont Sophie-Charlotte apprécie elle aussi la musique. Mais Sophie-Charlotte se rend compte que son fiancé n'a pas suffisamment d'empressement. Elle aurait dit à sa famille : « Ne voyez-vous donc pas qu'il ne m'aime pas ». En octobre 1867, le duc Max, exige que le mariage soit célébré avant la fin de l'année. Louis en profite pour rompre ses fiançailles. Sophie-Charlotte se mariera dès l'année suivante avec Ferdinand Philippe Marie d'Orléans, duc d'Alençon.
- L'exposition évoque les nombreux films consacrés à Louis II et qui ont contribué à organiser le mythe qui s'est construit autour du Roi. Certains de ces films font croire que Louis II aurait vécu un flirt avec Sissi, ce que les historiens réfutent. Un montage video présente des scènes extraites de la filmographie et qui ont contribué à la légende. Un texte explique clairement que pour deux des films évoqués, la censure a joué un rôle en refusant l'évocation de l'homosexualité de Louis, au point qu'un des metteurs en scène a dû transformer son scénario: Helmut Kaütner, alors qu'il tournait en 1955 Ludwig II-Glanz und Elend eines Königs (Louis II- Grandeur et misère d'un Roi) , a dû faire l'économie du thème de l'homosexualité pour pouvoir filmer dans les châteaux du souverain, en site propre. C'est le premier réalisateur à en avoir reçu l'autorisation , mais le prix de cette autorisation a été le silence. Quelque vingt ans plus tard, en 1973, Visconti évoque clairement l'homosexualité de Louis II, quoique avec décence, et a lui aussi maille à partir avec la censure.
- Un montage video présente de façon théâtrale la relation de Louis II avec Richard Wagner. L'acteur qui joue Louis II développe une gestuelle qui peut donner à penser que Louis II était une grande dame... A vous de voir.
- Les dernières sections de l'exposition sont consacrées aux processus qui ont conduit le Parlement bavarois à déclarer l'incapacité du souverain à gouverner par une médicalisation de la situation, ce qui conduira à sa séquestration. On sait que Louis II, criblé de dettes, refusait tout contact avec son gouvernement et s'était retranché dans le monde imaginaire de ses châteaux. La presse nationale et internationale faisait ses choux gras de la situation et ne manquait pas de mentionner tant les préférences homoérotiques du roi que son comportement dispendieux qui mettait ses finances propres et celles du pays à mal. Les services du gouvernement bavarois avient collectionné des coupures de presse, sans doute dans le but de constituer un dossier à charge contre le souverain. L'exposition présente notamment une coupure de presse française extraite du Gil Blas.
- Les relations privilégiées de Louis avec des acteurs ou des serviteurs, notamment des écuyers ou des palefreniers, sont alors évoquées. On peut voir voir des photographies que Louis avait fait réaliser, notamment deux photos où il s'était fait photographier en compagnie d'un acteur pour lequel il s'était passionné, Joseph Kainz, et avec lequel il avait effectué un court voyage en Suisse (1881). Cette photo avait fait l'objet de retouches, tant elle est choquante: le bas de Kainz est posé sur l'épaule du souverain. Ici, on présente un des rares originaux, avant que les soigneuses retouches n'aient été effectuées....
- On voit aussi les cadeaux somptueux, notamment des bijoux, que Louis faisait à ses favoris. Et par exemple un précieux pendentif en or émaillé représentant un paon, offert à Max Sedlmayer. Ici, le texte du catalogue énonce clairement les penchants homoérotiques du Roi, connus dès avant ses fiançailles avec Sophie-Charlotte. Vu le contexte de l'époque, et la stricte condamnation morale de même que la pénalisation des comportements homosexuels après la fondation du Reich, on imagine que le roi avait dû développer de forts sentiments de culpabilité qui se conciliaient mal avec ses désirs. cela conduisait à des relations au schéma répété: engouement soudain pour un serviteur, un écuyer ou un comédien, l'engouement n'est qu'un feu de paille qui brûle d'autant plus rapidement que le remords s'en mêle, ce qui conduit à la fin rapide et abrupte du rapport. (Cfr les page 242 à 246 du catalogue de l'exposition.)
- La dernière salle de l'exposition est consacrée à l'énigme de la mort par noyade du roi, et donne des éléments d'enquête sans prendre position: suicide, bagarre ou meurtre politique. L'énigme reste entière. Aucun élement homoérotique n'est ici évoqué.
Tout ceci rend la visite de l'exposition au château d'Herenchiemsee passionnante et fascinante. On le voit, les rapports de la politique de la culture avec la thématique de l'homosexualité ont évolué positivement, il n'y a apparemment plus de censure, et une exposition peut se permettre de présenter l'évidence. Mais on sent néanmoins une certaine retenue. On aurait pu insiter sur les combats incessants que le Roi menait contre ses penchants, son recours à la prière pour combattre ses envies de baisers ou de masturbation, ou pour s'en repentir une fois le péché accompli. On aurait pu présenter des pages des Carnets secrets de Louis II, un texte publié depuis 1923. Une certaine discrétion,, une prudence certaine restent de mise dans la Bavière encore dominée par les Chrétiens-démocrates qui sont de facto les bailleurs de fonds de la politique culturelle. Et la CSU, la petite soeur bavaroise de la CDU de la Chancelière Merkel, freine des quatre fers quant il s'agit des droits fondamentaux des gays et des lesbiennes. Bien sûr on est en cette matière en progrès constant: l'Allemagne avance à petits pas vers le chemin de l'égalité, parfois contrainte et forcée par des jugements rendus par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe quand ce n'est pas par la Cour européenne de justice à Luxembourg. Mais la discrimination sur base de l'orientation sexuelle n'est toujours pas inscrite dans la Constitution, les gays et les lesbiennes ne bénéficient pas, lorsqu'ils ont conclu un partenariat enregistré, des mêmes droits fiscaux que les couples mariés, et les employeurs religieux (écoles confessionnelles, Caritas, Diakonie, etc.), très puissants, peuvent congédier sur-le-champ (Tendenzschutz) un employé qui vivrait en contradiction avec la morale qu'ils préconisent... La politique de la culture est-elle le miroir mis en abyme de la politique en général?
Les Ministres bavarois qui ont inauguré en grandes pompes cette somptueuse exposition reconnaissent aujourd'hui des vertus à Louis II, car la Bavière profite pleinement des folies du Roi Bâtisseur, ses châteaux constituent la première attraction touristique du Land. Les énormes profits que cela génère rendent l'homoérotisme du souverain tolérable, mais pas au point d'en faire un de thèmes centraux d'une exposition. (Photo du Ministre-Président Seehofer, inauguration de l'exposition Götterdämmerung)
En matière de reconnaissance des droits ou de simple reconnaissance de la réalité de l'homosexualité, patience et longueur de temps font-ils plus que force ni que rage?
Pour un descriptif en français de l'exposition, cliquer ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire