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jeudi 3 février 2011

Carmen au Théâtre National de Munich: d'excellents interprètes dans une mise en scène décevante et dépassée

Le Théâtre National reprend pour quelques soirées une production du Carmen de Bizet qui date de juillet 1992. Tels sont les heurs et malheurs du théâtre de répertoire: une fois qu'un pièce a été produite, il faut la rentabiliser en la reproduisant pendant des années, et tant pis pour le public si elle est médiocre.


La mise en scène de Lina Wertmüller fait une lecture linéaire et sans relief du livret de Meilhac et Halévy en réduisant le texte à sa seule première dimension: une histoire d'amours passionnelles entre un jeune militaire et une gitane dans une Andalousie des plus stéréotypées. Lina Wertmüller enfile les clichés comme les perles d'un collier: troupiers adeptes de la gaudriole, drapelets espagnols agités à tous vents, robes andalouses, poses de flamenco et autres tenues de corrida. Bien sûr, on sait que l'action s'inscrit dans ce cadre, mais le drame de la séduction, de la jalousie et du meurtre, la folie des amours passionnelles appartiennent aussi à des catégories plus universelles de l'histoire des relations humaines. Wertmüller n'accède que fort peu à cet universel et loupe ainsi l'effet cathartique pourtant si puissant de l'histoire de Carmen. A force de nous confiner dans l' Andalousie kitch des publicités pour circuits touristiques des années 50, Lina Wertmüller rate l'occasion de nous inviter à participer au drame qui se joue sous nos yeux. Ses personnages participent du stéréotype jusqu'à la caricature: Carmen est tellement gitane qu'on en oublierait qu'elle est femme, José est réduit au rôle d'un troufion niais, Michaela à celui de la villageoise vertueuse. Il y a beaucoup plus que cela dans Carmen!


Les décors et les lumières sont hélas à l'avenant: Enrico Job abuse d'un carton pâte qui ne peut se faire oublier au point qu'on peine à imaginer les collines du maquis andalou et que l'on voit surtout le papier maché qui est supposé faire illusion. Franco Marri a la main lourde sur le dimmer qu'il manipule si rapidement qu'on n'a jamais le temps de s'accoutumer à aucune de ses 'créations' lumineuses qui sont tout sauf naturelles. Tout au plus a-t-on à de rares moments des atmosphères à la Murillo.


Le cadre étant posé, les choeurs et les chanteurs ont bien du mal de faire prendre la sauce. D'autant plus que la diction et l'élocution françaises ne sont pas au rendez-vous. Même en tendant bien l'oreille, on peine à entendre le texte français, et les accents des chanteurs sont parfois tellement prononcés que cela en devient bouffon. Le plus triste exemple m'en a semblé le Zuniga de Steven Humes, une fort belle basse pourtant, avec de la puissance, mais qui traine un accent américain des plus comiques dans cette Andalousie de pacotille fin 19ème. Les choeurs, dont on souligne généralement et à juste titre l'excellence, déçoivent dans cette Carmen. Il n'est vraiment que Jonas Kaufmann qui excelle à la diction française. Anita Rachvelishvili tire elle aussi parfaitement son épingle du jeu car si sa prononciation n'est pas parfaite, elle parvient à donner la couleur d'une voix andalouse.


Imaginez un moment le tohu-bohu que créerait à Munich un Wagner chanté par des acteurs qui prononceraient l'allemand avec un accent franchouillard...


Aussi passe-t-on la soirée à se concentrer sur la musique, à étudier l'interprétation très personnelle que donne Dan Ettinger de Carmen. Le chef d'orchestre a emporté l'adhésion d'un public conquis par sa direction musicale. La mezzo géorgienne Anita Rachvelishvilli, qui avait fait récemment une prise de rôle remarquée à la Scala, fait ici aussi une prestation étourdissante: elle incarne une Carmen enflammée avec de grands talents d'actrice et tant sa puissance vocale que l'émotionnalité de son chant donnent tout sa densité au personnage, ce qui est d'autant plus remarquable que la mise en scène fait défaut. On vit des moments intenses dans les duets avec l'excellent José de Kaufmann, soutenu par un public partisan. On est séduit par les couleurs sombres et chaudes de la voix de Jonas Kaufmann, dans lesquelles s'élèvent des aigus lumineux, une grande voix de ténor dramatique. Avec cela, un physique de beau ténébreux qui convient parfaitement au rôle. La Michaela de la polonaise Aga Mikolaj, qui a soulevé l'enthousiasme du public et reçut une large ovation, me convint moins lorsqu'elle me semble confondre le cri et l'émotion. Kyle Ketelsen est un Escamillo recherché (-il a incarné ce rôle entre autres à Londres, Washington, Madrid ou Amsterdam) avec une présence scénique remarquable. Un beau moment de la soirée est aussi la scène des cartomanciennes où Frasquita et Mercédès (délicieuses Eri Nakamura et Julia Feylenbogen) interprètent l'avenir dans un duo que vient bientôt compléter Carmen.
Une soirée en demi-teinte, que vient sauver l'interprétation musicale et vocale.

Au Théâtre National les 5, 10, 13, 18 et 21 février 2011. Le rôle de Don José sera interprété par Massimo Giordano les 18 et 21 février. Il reste quelques places debout pour les deux dernières représentations.




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