 |
" L'orage a fait tomber sur nous toute la pluie du ciel..." |
Waldmeister est l'avant-dernière opérette que composa Johann Strauss II. La première eut lieu au Theater an der Wien de Vienne en décembre 1895, vingt ans après La Chauve-souris. Le journaliste et écrivain Gustav Davis (1856-1951) avait soumis le livret au compositeur en 1894, et celui-ci s'était d'emblée montré très enthousiaste. Strauss avait déjà 70 ans lorsqu'il composa la musique de l'opérette. Gustav Davis situe l'action à l'époque de la création dans une province saxonne. Bien que moins populaire que certaines autres opérettes de Strauss, telles que Der Zigeunerbaron et Die Fledermaus, elle fut donnée quatre-vingt-huit fois. Le soir du 4 décembre 1895, Johann Strauss dirigea lui-même l'ouverture de sa nouvelle opérette lors de la première représentation. Johannes Brahms, ami de Strauss, exprima sa grande admiration pour l'oeuvre, dont il aurait dit : " Depuis Mozart, on n'a rien écrit de plus parfait, de plus charmant, de plus harmonieux. "
 |
Daniel Prohaska en professeur Erasmus |
2025 est une année jubilaire pour Johann Strauss II : à Vienne, dans toute l'Autriche et sans doute un peu partout dans le monde, on célèbre le 200ème anniversaire du compositeur né à Vienne en octobre 1825. Le théâtre de la Gärtnerplatz se devait d'honorer lui aussi cet anniversaire et c'est son DG, Josef E. Köpplinger, qui s'est lui-même chargé de la mise en scène et de la réécriture d'un livret qui avait bien besoin d'être dépoussiéré, d'autant qu'en dehors de l'ouverture et de quelques airs fameux, l'opérette était quasi tombée dans l'oubli. Le metteur en scène a déplacé le lieu de l'action en Autriche, dans le Wienerwald, une région proche de la capitale, et le temps de l'action dans les années 1960, une période qui convient bien à la thématique du livret du Waldmeister, qui questionne les valeurs de la morale bourgeoise et son hypocrisie.
Le titre de l'opérette
Le mot " Waldmeister " désigne une plante herbacée appelée en français " gaillet odorant " (en latin "Galium Odoratum ") ou encore aspérule odorante. Ses floraisons blanches sont utilisées pour parfumer des boissons alcoolisées, notamment certains vins apéritifs. Ainsi du " vin de mai ", récolté de mi-avril à début mai : on laisse macérer l'aspérule dans du vin blanc de Moselle, notamment au Grand-Duché du Luxembourg ou dans la province belge du Luxembourg. Dans ces régions on l'appelle « Maibowle » ou « Waldmeisterbowle » ou encore « Maitrank ».
 |
Le nouveau monde en conversation avec l'ancien |
Quelques mots sur l'action dans sa nouvelle version (1)
On n'imagine pas qu'une sortie au grand air puisse être aussi scandaleuse que cela : un groupe de jeunes gens pleins de vie, entraînés par la célèbre chanteuse Pauline Garlandt, est surpris par une averse torrentielle et trouve refuge dans un hôtel dénommé " Waldmühle " (Le moulin de la forêt), alors fermé pour rénovation. Les participants de l'escapade, trempés jusqu'aux os, demandent au gardien de l'hôtel s'il peut leur prêter des vêtements de rechange et lui promettent de le dédommager. On leur fournit alors les tenues de service du personnel de l'hôtel, déjà préparées pour la prochaine réouverture. Sur ces entrefaites survient le sévère conseiller forestier en chef Tymoleon qui veut surprendre ses élèves dans cette excursion non autorisée. Tymoleon prend Pauline pour la meunière et se laisse volontiers charmer par elle. Pourtant, Tymoleon est fiancé à la belle Freda ! Le jeune Botho est lui aussi tombé éperdument amoureux de Freda, c'est pourquoi il saisit l'occasion de démasquer Tymoleon. Il y parvient avec l'aide d'Erasmus Müller, un professeur de botanique venu pour examiner l'« aspérule noire » prétendument découverte par Malvine, la mère de Freda. Erasmus reconnaît immédiatement qu'il ne s'agit que d'aspérule colorée à l'encre. On sert des rafraîchissements à toute la troupe. Les effets de la plante, transformée en un punch bien arrosé avec beaucoup d'alcool, font tomber toutes les barrières morales traditionnelles et tout ce beau monde se mélange, tous âges confondus, dans une orgie d'opérette. Et c'est ainsi qu'après quelques péripéties, les couples adéquats se forment.
 |
Les effets aphrodisiaques du punch à l'aspérule |
La mise en scène est charmante, amusante, sautillante, trépidante, pétillante, surprenante... Après l'ouverture, un générique de présentation est projeté comme pour une séance de cinéma des années soixante. La scène donne constamment l'impression d'être grouillante d'une multitude de personnages dont la disposition et les mouvements sont magistralement orchestrés par Ricarda Regina Ludigkeit, co-responsable de la mise en scène. Tout ce petit monde se mêle et s'entremêle au rythme trépidant de l'action et de la musique. Une chatte y perdrait ses petits, et, surtout pendant le premier acte, le public aussi, mais les situations emberlificotées se clarifient progressivement et on finit par s'y retrouver. Les années soixante sont rappelées aussi par les décors de l'hôtel, dont les murs portent des affiches publicitaires touristiques typiques de l'époque. Des panneaux indicateurs donnent des directions, on lit que le chalet de chasse de Mayerling est à deux kilomètres, ce qui précise le lieu de l'action. La mise en scène renforce la satire d'une bourgeoisie normée, représentée par des hommes âgés engoncés dans des manteaux et des costumes, portant cols et cravates, et par des femmes mûres aux vêtements tristes qui, la bouche pincée et le regard coléreux, tiennent au respect des conventions et des apparences, jusqu'au moment où tout ce monde coincé déguste le thé à l'aspérule noire dont les effets hallucinogènes entraînent le relâchement complet des attitudes et des mœurs si bien codifiées.
Johann Strauss a écrit une partition jouissive et totalement libératrice, avec une vraie musique viennoise pleine de mélodies entraînantes qui ravissent autant le cœur qu'elles plaisent à l'oreille, une musique chaleureuse qui parle une langue chargée d'émotions. L'ouverture est une merveille d'invention joyeuse et d'instrumentation délicieuse que rendent magnifiquement le chef Oleg Ptashnikov et l'orchestre du théâtre. Au deuxième acte, on est séduit par le délicieux tableau musical du tercet de la chanteuse Pauline avec les deux fonctionnaires rigides et moroses qui va s'amplifiant en sextuor pour aboutir à un final choral. Au troisième acte les numéros se succèdent, avec entre autres la chanson mélodieuse de Tymoleon ou le couplet pétillant de Müller. Les airs de valse donnent envie de danser, la polka de marche du troisième acte de se lancer dans un galop.
 |
Andreja Zidaric (Freda), Matteo Ivan Rašić (Botho von Wendt) |
L'excellente troupe du théâtre de la Gärtnerplatz livre à nouveau un remarquable travail d'équipe. Au tableau d'honneur il convient d'épingler la prestation du ténor de charme Matteo Ivan Rašić qui de sa voix merveilleusement bien timbrée semble se jouer des difficultés du rôle (qui enfile les si bémols) de l'étudiant Botho. Sophia Keiler tient le rôle de la chanteuse Pauline à laquelle elle confère une présence scénique pleine d'allant, déployant les beautés de son soprano lyrique. On comprend sans peine que sa belle prestance et les séductions de son chant aient hypnotisé le forestier en chef, fort bien campé par Ludwig Mittelhammer. Avec un bel aplomb, Regina Schörg incarne Malvine, la femme de l'administrateur Heffele qui se pique de botanique et croit avoir découvert l'aspérule noire, rarissime parce qu'inconnue des scientifiques. La charmante soprano slovène Andreja Zidaric chante avec une touchante émotion le rôle de l'étudiante Freda, la fille mal promise des époux Heffele. Anna Overbeck donne une forte personnalité à Jeanne, la secrétaire particulière de Pauline. Deux invités prestigieux viennent compléter la troupe : l'acteur Robert Meyer, 71 ans, membre du Theater in der Josefstadt et jusqu'il y a peu directeur de la Volksoper de Vienne, tient le rôle de Christof Heffele auquel il fait même pousser la chansonnette ; le ténor Daniel Prohaska, célèbre pour ses rôles d'opérette, compose avec le grand talent qu'on lui connaît le rôle ébouriffé du professeur de botanique Müller.
La partition exprime tout le génie voluptueux, exubérant de jeunesse et de gaieté, original et souple de l'auteur du Danube bleu. On admire le charme, la poésie, le sentiment extraordinaire du rythme, l'infatigable don d'invention mélodique, la lumière intense, la joie de vivre et d'aimer, le souffle d'enthousiasme de cette opérette quelque peu oubliée, que nous a fait redécouvrir le Theater-am-Gärtnerplatz. Une soirée d'une légèreté divertissante grandement ovationnée par un public ravi de tant d'inventivité et d'entrain !
 |
Ludwig Mittelhammer ( Tymoleon von Gerius ), Sophia Keiler (Pauline Garlandt) |
(1) L'action dans le livret original
Acte 1 : Dans le moulin de la forêt, près d'une petite ville de province saxonne, vers la fin du 19ème siècle.
Un groupe de chasseurs très fiers, composé de Forsteleven, de la chanteuse Pauline et de leurs amies, est surpris par un orage et trouve refuge dans le moulin de la forêt. Là, tous échangent leurs vêtements de chasse mouillés contre des vêtements de meunier secs. Le professeur de botanique Erasmus Friedrich Müller vient lui aussi au moulin à vent et échange ses vêtements mouillés. Soudain, le redoutable conseiller forestier en chef Tymoleon von Gerius, directeur de l'Académie forestière, fait son apparition. Il recherche ses élèves qui se sont éloignés sans autorisation du service forestier. Pauline, habillée en meunière, tente de séduire Tymoléon en l'embrassant. C'est alors qu'Érasme apparaît et, à cause de ses vêtements, est pris par Tymoléon pour l'époux de la belle meunière. Le scandale est parfait, car Tymoléon est fiancé à Freda, la fille du gouverneur Hefele.
Acte 2 : Dans la maison de campagne de Pauline
Le capitaine Hefele et le maire Danner se rendent chez Pauline pour lui demander des comptes sur son mode de vie immoral. Mais Pauline et ses amies ne peuvent qu'en rire. Botho est éperdument amoureux de Freda. Alors qu'il embrasse Freda, ils sont surpris par Tymoleon et le prochain scandale est parfait. C'est alors qu'apparaît Pauline, à nouveau déguisée en meunière, qui met le conseiller forestier dans l'embarras. Le professeur Müller doit rédiger une expertise botanique pour Malvine, la mère de Freda, sur l'aspérule "noire" qu'elle a découverte. Mais le savant voit immédiatement que Malvine n'a fait que tremper dans l'encre noire la fleur d'une aspérule blanche ordinaire. Botho, Freda et Erasmus préparent alors un punch avec l'aspérule " noire " et beaucoup d'alcool, dont toutes les personnes présentes boivent. Toute la compagnie est prise d'un fort coup de barre après avoir bu ce puissant punch à l'aspérule.
Acte 3 : Chambre dans la maison de l'intendant Hefele. Peu à peu, tout le monde se réveille avec la gueule de bois et tout s'éclaircit. Botho retrouve sa Freda et l'énigme de l'aspérule "noire" trouve également son explication.
Représentation du 29 juin 2025
Directeur musical Oleg Ptashnikov
Réalisé par Josef E. Köpplinger
Chorégraphie et co-mise en scène Ricarda Regina Ludigkeit
Scène Walter Vogelweider
Costumes par Uta Meenen
Lumière Peter Hörtner / Josef E. Köpplinger
Dramaturgie Karin Bohnert
Christof Heffele, administrateur de district Robert Meyer
Malvine, sa femme Regina Schörg
Freda, sa fille, l'étudiante Andreja Zidaric
Tymoleon Gerius, forestier en chef, fiancé à Freda Ludwig Mittelhammer
Botho Wendt, étudiant en foresterie Matteo Ivan Rašić
Pauline Garlandt, la chanteuse Sophia Keiler
Erasmus Friedrich Müller, professeur de botanique Daniel Prohaska
Jeanne, secrétaire particulière de Pauline Anna Overbeck
Danner, conseiller municipal Caspar Krieger
Martin, gardien / Sebastian, serviteur - frères jumeaux Erwin Windegger
Erich, étudiant en foresterie, ami de Botho Alexander Paul Findewirth
Regina, une collègue de Pauline Riccarda Schönerstedt
Chœur et figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz
Crédit photographique © Marie-Laure Briane
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire