Rechercher dans ce blog

vendredi 27 juin 2025

Theater-am-Gärtnerplatz - La Tosca de Stefano Poda brille comme un diamant noir

Acte I - Scène du Te Deum

Stefano Poda est un metteur en scène visionnaire en quête d'unité esthétique et conceptuelle qui combine toujours mise en scène, chorégraphie, décors, costumes et éclairage. Il participe de cette idée wagnérienne de créer une Ouvre d'art totale (Gesamtkunstwerk), une oeuvre qui fusionne toutes les disciplines artistiques, — le design, l'architecture, la sculpture, la peinture et la musique, —   et s'exprime dans un langage qui lui est propre. C'est à cette expérience holistique qu'est convié le public du théâtre de la Gärtnerplatz qui reprend actuellement la Tosca de Puccini, dont la première munichoise eut lieu en 2019. 

L'histoire de cette mise en scène remonte cependant à 2012. En ce temps là, Josef Ernst Köpplinger termine son mandat de directeur artistique du Théâtre municipal de Klagenfurt avant de venir présider aux destinées du Theater-am-Gärtnerplatz, pour le plus grand bonheur du public munichois. C'est à cette époque que Stefano Poda conçut pour Klagenfurt l'imposante mise en scène de Tosca qui fut importée à Munich en 2019. Depuis Stefano Poda est revenu à Munich pour y monter en 2022 les Contes d'HoffmannÀ noter que sa fascination pour la Tosca le conduisit à monter cet opéra dans une nouvelle mise en scène au Bolchoï en 2021.

L'action — Rome. Après la chute de la République, la ville est soumise à la botte tyrannique du préfet Scarpia. Toute l'action répond à l'unité de temps, elle se déroule dans la nuit du 17 au 18 juin 1800. Le peintre Mario Cavaradossi accueille dans sa villa l'ancien consul républicain Angelotti, qui a réussi à s'évader du Château Saint-Ange, mais Caravadossi laisse des indices qui n'échappent pas à la sagacité de Scarpia, qui lance un mandat d'arrêt contre lui. Scarpia fait torturer l'artiste pour découvrir la cachette de l'ennemi public Angelotti. L'amante de Cavaradossi, la chanteuse Floria Tosca, tente de lui sauver la vie en promettant de se soumettre aux avances du préfet. Scarpia ordonne alors un simulacre d'exécution du peintre, mais lorsqu'il réclame son salaire, la chanteuse le poignarde… Angelotti se suicide, Caravadossi est exécuté et Tosca le suit dans la mort. Une nuit noire, au propre comme au figuré.

Les circonstances de la création. — En 1889, Giacomo Puccini assiste à une représentation de La Tosca, nouveau drame à sensation de Victorien Sardou, à Milan. Il est tellement captivé par les événements qu'il décide de mettre l'histoire en musique. Lors de sa création le 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi de Rome, la musique hautement dramatique de Puccini reçut un accueil enthousiaste de la part du public qui se montra meilleur juge que la critique, rebutée par sa nouveauté. Avec Tosca, Puccini créa non seulement une œuvre scénique extrêmement efficace, mais aussi l'un des derniers grands opéras vocaux italiens.

Munich, 24 juin 2025

Stefano Poda est un magicien de la lumière, il crée tout au long de l'opéra des effets lumineux qui suivent le cours de la musique et qui l'illustrent, mais ici, dans la logique nocturne de l'action,  ce sont des lumières sombres et ténébreuses. Le premier acte est plongé dans des nuages d'un brouillard dense  dont les contours illuminés traversent la pénombre de la basilique Sant'Andrea della Valle où Caravadossi peint un retable. La scène est architecturée par une immense croix tombée soutenue par de lourds étais. On pense à la crucifixion de Saint Pierre, la tête en bas : la croix renversée, c'est la religion martyrisée. À la fin du premier acte, lors de la scène du Te Deum destiné à célébrer l’annonce d’une défaite de Bonaparte, Stefano Podo emplit la scène d'une foule d'évêques sans âmes, engoncés dans des chapes rigides qui semblent taillées dans des bois noueux, aux tons d'un camaïeu brun noirâtre. Ces religieux sinistres à souhait sont au service de Scarpia. Les enfants de choeur, tout de noirs vêtus, ont les yeux bandés, terrible symbole.

Au deuxième acte, la pièce se joue sur une longue table inquisitoriale où s'amoncellent des documents parcheminés dont on se doute qu'ils contiennent les sentences de mort proférées par l'immonde Scarpia. Une grande sphère éclatée, dont un morceau gît de l'autre côté de la scène, évoque la ruine d'un monde. Elle est peut-être inspirée par la « Grande Cariatide Sphérique » que le sculpteur Fritz König réalisa en 1971, que les New Yorkais appellent simplement la " Sphère " et qui fut gravement endommagée  lors de l'attentat du World Trade Center en 2001. C'est en tout cas le symbole d'un monde en déshérence. Le sol se soulève pour laisser apparaître la salle où les sbires de Scarpia torturent Cavaradossi. À la fin du deuxième acte, Tosca se saisit d'un couteau se trouvant sur la longue table, mais, assez curieusement, on la voit ensuite armée d'un pistolet, elle tue Scarpia par balle.

Acte III 
Au troisième acte, des lances entrecroisées forment un ciel menaçant où apparaît une immense aile d'aigle, dont on peut supposer qu'elle n'est pas l'aile d'un ange mais plutôt l'inquiétante image de la domination, de la force impériale romaine, que récupérera le fascisme. Avant d'être exécuté, Mario Caravadossi demande au nom de  la faveur du condamné de pouvoir écrire un billet à Tosca, mais son geôlier, après avoir consenti à la requête, lui brandit une feuille de papier sous le nez sans la lui remettre. Un détail ajouté que ne mentionne pas le livret et qui ne réussit d'ailleurs pas à accroître la tension dramatique. L'amant de Tosca est exécuté. Stefano Poda a opté pour une finale mystique, un mur occupant tout le fond de scène s'abat, écrasant à la fois les sbires de Scarpia et Tosca meurt emportée dans la lumière, blanche cette fois. L'amour triomphe dans un au-delà incertain. Le seul bémol de la soirée est le long intermède à rideau fermé pour un changement de décor non annoncé, ce qui a quelque peu inquiété le public et interrompu la dynamique du troisième acte.

Michael Balke, premier chef invité du Theater-am-Gärtnerplatz a conduit l'orchestre dans la musique captivante de Puccini, lui donnant des qualités quasi cinématographiques, entraînant le public envoûté dans des torrents et des tourbillons sonores, avec une force telle qu'elle couvrait parfois les voix pourtant puissantes des chanteurs. L'orchestre rend l'univers sonore de Puccini avec une clarté et une dynamique certes exceptionnelles, mais  l'on aurait souhaité un meilleur équilibre entre la fosse et la scène.

La soprano arménienne Liana Aleksanyan est une chanteuse puccinienne très acclamée : pour la seule saison en cours, elle a chanté Tosca sur quatre scènes allemandes, Elle livre une Tosca  proche de la perfection sur le plan de la technique de chant, avec de brillants aigus et des piani extrêmement bien composés, et une puissante présence scénique.  Alexandros Tsilogiannis donne un Cavaradossi plein de fougue et d'ardeur, nuancé dans la scène de la jalousie, remarquable dans la scène de la torture. Matija Meić compose avec une puissance d'expression tant vocale que scénique un baron Scarpia répugnant à souhait, il incarne le prédateur sexuel ignoble et écœurant, ce type de personnage qui use de son pouvoir et de sa position pour arriver à ses fins, un contre-rôle difficile parfaitement maîtrisé. Pour le rôle du sacristain, Levente Páll a fait la démonstration de ses qualités athlétiques, il lui est demandé de chanter tout en faisant des pompes, une pratique curieuse qui ne répond pas exactement à la définition d'un préposé à l'entretien d'une église. Le rôle du berger du dernier acte a été confié à Oscar Zhekai Liang (né en 2012 à Munich), membre de la chorale d'enfants du théâtre depuis deux ans, une prestation émouvante et de toute beauté. Stefano Poda le met en pleine lumière, une sorte d'apparition mystique qui chante sa pastourelle dans une ligne très pure.

Une grande soirée d'opéra ovationnée par un public enthousiaste.

Conception et distribution
Représentation du 24 juin 2025

Direction musicale  Michael Balke
Mise en scène, scénographie, costumes et lumières Stefano Poda
Dramaturgie Michael Alexander Rinz

Floria Tosca Liana Aleksanyan
Mario Cavaradossi Alexandros Tsilogiannis
Baron Vitellio Scarpia Matija Meić
Cesare Angelotti Timos Sirlantzis
Sacristain Levente Páll
Spoletta Juan Carlos Falcón
Sciarrone Holger Ohlmann
Le gardien de prison Lukas Enoch Lemcke
Le berger Oscar Zhekai Liang

Chœur, Chœur supplémentaire, Chœur d'enfants et Extras du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Crédit photographique © Christian POGO Zach

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire