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mardi 28 février 2023

La mort de Catherine Schratt en avril 1940. L'éloge funèbre de Maurice Verne.

Katharina Schratt (née à Baden le 11 septembre 1853 et morte à Vienne le 17 avril 1940) survécut 41 années à l'impératrice Elisabeth d'Autriche et 24 années à l'empereur François-Joseph. Le quotidien L'Intransigeant confia son éloge funèbre à Maurice Verne, un des rares journalistes qui avait eu l'occasion d'être reçu par celle qu'il surnomma l'impératrice sans couronne.

Si vous n'avez pas lu les trois articles qu'il lui consacra en décembre 1934, en voici les chemins d'accès :

Photo hors article

LA MORT DE CATHERINE SCHRATT
Les secrets de l’Impératrice SANS COURONNE d’Autriche ne sont pas perdus |
Par Maurice VERNE|
in L'Intransigeant du 27 avril 1940

Catherine Schratt vient de mourir à près de quatre-vingt-dix ans. J’ai attendu les détails de sa délivrance pour en parler, car tout n'est pas rompu des rapports avec Vienne. Voici ce qu’on m’écrit. Elle s’endormit pieusement, la survivante. Ses derniers mots de connaissance furent : " Enfin, je vais les retrouver... " Elles, les ombres chères et invengées, pour lesquelles elle acheva sa vie en prières — Elisabeth assassinée, Rodolphe tué à Mayerling, Jean-Salvator disparu sous l’état-civil de l'aventurier Jean Orth, François-Ferdinand abattu à Sarajevo, le dernier empereur d’Autriche, le généreux Charles, mort dans la misère sur la terre d’exil...  Rien que des ombres sanglantes autour d’elle. Catherine Schratt avait troqué sa vie insouciante et brillante de comédienne au Burg-Théâtre pour devenir l’amie et la confidente de François-Joseph. Par la volonté d’Elisabeth, qui rejetait le poids fatal de sa souveraineté, elle était devenue l'impératrice sans couronne d’Autriche ; elle sortait du peuple et son père dirigeait un des derniers postes de diligences à Baden. À Catherine Schratt revint pourtant la part affreuse de voir tomber autour d’elle les derniers Habsbourg-Lorraine. Elle assista à l’écroulement de l’empire, elle entendit résonner l'Internationale dans les rues de Vienne, et elle savait que la fille de Rodolphe, le héros tragique de Mayerling, devenue la compagne d’un tribun révolutionnaire, faisait partie des bandes échevelées et furieuses qui parlaient de mettre le feu aux vieux palais vides. Il lui fallut encore assister au triomphe d’Adolf Hitler qui effaça d’un trait de plume le pays auquel il devait le jour. Elle seule, au nom des maîtres disparus — et de ce qu’elle savait de vérité sur la suite des drames et des crimes de l’Europe centrale — pouvait lui demander des comptes.
— Qu’as-tu fait, malheureux, de notre vieille Autriche ? Étrange volonté du destin qui mettait face à face la fille du maître de poste de Baden qu’on avait pu faire l’impératrice sans couronne et le fils du douanier de Braunau devenu le maître des fiefs des Habsbourg-Lorraine et des Hohenzollern. Sortis, l’un et l’autre, du peuple autrichien, ils dominaient les ruines... 

Le gardien des secrets 

Au lendemain, de l’assassinat du chancelier Dollfuss par les agents d’Hitler, je débarquai à Vienne. Je fus reçu par Mme Schratt qui pourtant condamnait sa porte aussi bien à l’historien qu’aux journalistes Notre entrevue, sur son désir formel, eut lieu officiellement devant le chef des légitimistes, le chevalier Frédéric de Wiesner, aujourd’hui prisonnier des nazis. Le fils de Mme Schratt, le baron de Kiss-Schratt et sa charmante femme, d’origine russe, étaient également présents. Nos lecteurs retrouveront ce que je pus dire de cette entrevue dans les numéros de l'Intran du 16 et 17 décembre 1934. Le baron de Kiss-Schratt a rempli une belle carrière de diplomate au Ballplatz. Il eut entre les mains les documents secrets de la tragédie autrichienne, il fait partie des initiés qui savent les vraies origines de la guerre de 1914 et pourquoi François-Joseph se vit acculer à attaquer la Serbie. Adolf Hitler ne recula pas de faire emprisonner les Habsbourg-Lorraine demeurés en Autriche. Le fils aîné de François-Ferdinand, le duc Max de Hohenberg, à qui j’ai dû le récit authentique du drame de Sarajevo, fut condamné aux travaux forcés sous la surveillance des S.S. Mais on ne put rien contre Mme Schratt, devenue hongroise par son mariage, ni contre ses enfants. Ainsi les secrets de la survivante ne sont pas perdus. Ils demeurent vraisemblablement en sécurité. Us reviendront à l’Histoire quand le moment sera venu.

La supplique de Bismarck

Catherine Schratt, c’était, l’esprit, la spontanéité, la gaîté du peuple de Vienne. Elle se gardait de toute politique. Vous imaginez une très vieille dame parcheminée ? Jusqu’aux derniers jours. Catherine Schratt garda au contraire sa coquetterie d'antan. Elle ignora même les cheveux blancs. Une coiffure d’un roux brun encadrait son visage qui, en dépit du temps, exprimait quelque chose de piquant et de léger qui repoussait l’extrême vieillesse. Le regard malicieux, d'un bleu de ciel, semblait celui d’une jeune femme cousue dans un corps courbé, si las. Elle demeurait, selon la tradition du prince de Ligne, une grande européenne et passait dans la conversation, sans effort, d’une langue à l’autre. Son français étonnait par sa pureté. Elle avait connu tous les empereurs, les rois, les princes qui vinrent à Vienne. Elle aimait le charme d’Edouard VII et se moquait par des nuances de Guillaume II qui exigeait pour ses séjours à Schoenbrunn la chambre de Napoléon où le duc de Reichstadt mourut. Elle se souvenait de la fin désenchantée de Bismarck qui, renvoyé par son nouveau maître Guillaume II, avait envoyé une supplique à François-Joseph pour lui demander de le recevoir. Quelles révélations voulait faire Bismarck à celui qu’il avait vaincu à Sadowa ? 
Pour voyager, à plus de quatre-vingts ans, Catherine Schratt n’entendait employer que l’avion. — Sa vitesse me grise i avouait- elle, il me semble que par l’avion on va se dégager de cette terre où il n’est plus de bonheur... Elle revint notamment à Paris. — J’adorais Paris, me confia- t-elle, mais ce n’était plus Paris, là aussi la guerre de 1914 avait tout changé... Elle voulut revoir l’Italie avant de mourir — toujours grisée dans les courriers volants. Ce fut son dernier geste de vivante. Désormais retirée dans sa maison, elle n’appartenait plus à notre monde. 
Une fois, elle retourna à Schoenbrunn, mêlée aux touristes. Le cœur lui manqua, elle s’enfuit en sanglotant... Elle avait conservé la clef de la petite porte secrète qui, aménagée dans les murs jaunes de Schœnbrunn, servait à François-Joseph pour se rendre chez sa vieille amie. Elle me montra cette porte. La rouille rongeait la serrure et les gonds — qu’était devenue la clef que possédait François-Joseph ?... 

La Cour en plein vent 

Dans sa maison. encombrée de meubles anciens, de porcelaines rares, de soieries épaisses, de beaux tableaux, le passé demeurait vivant. On y était entouré de présences invisibles. Derrière le logis central, une cour d’opéra-comique montre un puits de la renaissance italienne qu’un rosier né avec l’amitié de François-Joseph et de l’ancienne comédienne enlaçait et fleurissait l’été. Nouvelle et étrange coïncidence, le rosier se dessécha à jamais après l’assassinat du chancelier Dollfuss. Sur la droite de la cour, dans une aile basse des bâtiments, se trouve la salle à manger d’été. Elle avait imaginé de la recouvrir d’une voûte de bois précieux où étaient incrustées des assiettes anciennes. On eût dit d’une grotte de fée, dans le miroitement ailé des paysages, des bonshommes chimériques de la porcelaine et de larges panneaux de plâtre sur les murs enferment d’autres assiettes, en rocaille. Là, François-Joseph mangeait la bonne, simple, populaire cuisine d’Autriche qu’il affectionnait — le porc rôti au genièvre et le paprika-huhn, le poulet épicé de ses sujets hongrois. Catherine Schratt préparait elle-même le café à la viennoise, recouvert de sa crème mousseuse. Et le jardin commence, en fouillis grimpeur, sur un monticule. Un jardin-appartement. Il jouait un grand rôle. Au premier palier, se trouve le kiosque où goûtait l’empereur. Au deuxième palier, se creuse la piscine d’eau vive. Et voici le jeu de boules, bien paysan, où semblable au dernier des petits bourgeois d'Autriche, l’empereur faisait sa partie... Ah ! on se riait bien de l’Étiquette dans la maison de Catherine Schratt ! Au sommet du monticule, on soupait les nuits de fête dans le troisième pavillon, et des lampions s'allumaient dans les arbres. C’était la Cour eu plein vent qui se moquait de l’autre. Johann Strauss, l’auteur du Beau Danube bleu, y vint jouer les valses caressantes ! — quand les yeux vifs de la vieille impératrice sans couronne se posaient sur le vieux pavillon, la fête de Vienne recommençait pour elle et le vent qui passait faisait lever l’archet fantôme de l’oubli sur le passé de sang et d’horreur. Comme elle, Johann Strauss était devenu un héros de cinéma. Mais, jusqu’à la fin, elle protesta contre ceux qui la mettaient en scène ou la faisaient parler malgré elle et le dernier message que je reçus d’elle, par l’intermédiaire du baron de Kiss, data de juillet dernier et contenait une nouvelle protestation à ce propos. Son fils défendra sa grande mémoire. 

MAURICE VERNE.

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