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mardi 10 août 2021

Ils ont dit ... un peu de tout ...à propos des cloches du Graal du Parsifal

Do, sol, la, mi dans le registre grave

Gurnemanz et Parsifal s’approchent du château du Graal. C'est alors qu'ils entendent les fameuses cloches pour lesquelles Wagner voulait un son bien précis,  " deux octaves plus bas que les cloches de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne ". Le problème est que cela aurait nécessité quatre cloches de 280 tonnes pour produire les quatre notes. Wagner fit construire par M. Eduard Steingraeber, le fameux facteur de pianos de Bayreuth, un instrument inhabituel qui parvint à produire le son particulier que désirait le compositeur. (Voir à ce propos le site de la Maison Steingraeber).

Wagner aurait indiqué que le motif du Graal lui avait été inspiré par l'Excelsior que Franz Liszt avait composé à Tivoli, peut-être lui-même inspiré par le carillon du couvent de San Francesco qu'il pouvait entendre depuis son appartement ou dans les célèbres jardins.

Le premier instrument de 1882 :
4 touches, 6 cordes pour chacune, avec une pédale étouffoir.
Photo © Steingraeber & Söhne

Dans les années vingt, Siegfried Wagner et le chef d’orchestre Karl Muck ont repensé l’instrument et le résultat réalisé par les facteurs d’instruments ressemblait à des tonneaux de vin géants sur lesquels étaient tendues des cordes. Ces tonneaux ont été fondus pendant les années de guerre. On peut encore les entendre dans un enregistrement de Muck datant des années 20 et les voir sur une photographie.


Les cloches de Montsalvat ont inspiré journalistes et écrivains qui ont à leur propos réagi en sens divers, tantôt poétique tantôt ludique. Plusieurs maisons d'opéra ont tenté de concevoir des instruments capables de produire les sons qu'avait souhaité le Maître. Voici plusieurs extraits les évoquant, que je vous livre pêle-mêle, en suivant le simple ordre chronologique.

ILS ONT DIT...

Le Sâr Joséphin Péladan, Graal

    Voilà qu'il résonne de nouveau en Bêlit le thème de l'abdication, comme ces cloches du Graal qui sonnent à Parsifal à toute heure des épreuves, le rappel à la vocation. Bêlit entend l'intérieure voix : 
« Divinise ton coeur, en te donnant; ne demande pas, donne; n'espère pas, console; aime pour aimer; aime pour grandir; aime pour souffrir; aime pour mourir à toi-même et renaître en Jésus. » Et voici que le thème de la foi s'affirme ; le rythme du Vendredi-Saint murmure ses douceurs séraphiques semblables aux stances de Polyeucte, et le désir de l'holocauste, le plus sublime des souffles d'Éros agite le coeur de Bêlit; ce n'est pas la lune, c'est l'idéal de charité qui rayonne de nouveau sur ce coeur en peine.
    Sous l'ondulation de l'eau qui rêve et qui les berce, les ondins se couchent alanguis à leur tour.
    Un repos géant monte du bas de la falaise et apaise Bêlit ; l'air tiède l'engourdit presque souriante, et le sommeil baise ses paupières, détend ses bras; sa pose plie, sa tête penche, et voici qu'elle dort et que plus rien ne vit.
    La résolution cherchée, la décision à prendre, ont cédé à force de l'entour apaisant.
    Cette âme et cette mer ont cessé pour un moment de souffrir et de vivre.

in La décadence latine. VII, Coeur en peine de  Joséphin Péladan, Paris, E. Dentu, 1890

Jules Clarétie

[...] Et voulez-vous que je vous dise? La musique aussi, unie au cyclisme, tuera la littérature. On sent en musique, on ne pense pas. Richard Wagner, colosse d'ailleurs — les cloches de Parsifal m'ont fait pleurer tout comme un autre — Wagner a détrôné Hugo, Wagner est le Shakespeare vague et nébuleux des snobs qui n'ont pas lu Shakespeare et qui croient que tout date du géant de Bayreuth. Cet Allemand a conquis la Gaule par une infiltration lente et sûre. Plus de musique française, de la musique wagnérienne. Plus de cafés où l'on cause, des brasseries où l'on fume. [...]

in Le Journal du 22 juin 1896

Albert Lavignac, Les Cloches du Montsalvat

    Les Cloches du Montsalvat, dont le grave et solennel tintement accompagne ou annonce presque toujours les cérémonies religieuses, lequel, par une transformation toute naturelle, devient le rythme de marche sur lequel défilent les Chevaliers du saint Graal.
    En terminant par la sonnerie des cloches du Montsalvat cette brève analyse du style créé par Wagner, je ne puis manquer de placer ici une remarque sur ce qu’on pourrait appeler les racines de la langue musicale wagnérienne. Si on compare entre eux certains motifs bien caractéristiques qui fournissent la marche des chevaliers, L'Amour naissant des « Maîtres Chanteurs », La Bastonnade du 2ème acte du même ouvrage, La Valse des apprentis du 3ème acte, L’Amour de la vie dans « Siegfried », et La Décision d'aimer, également dans « Siegfried », 3ème acte, on est frappé par l’analogie de structure qu’ils présentent, avec leurs descentes régulières par quartes justes successives, comme de la similitude des sentiments exprimés par les uns et par les autres : c’est toujours l’idée du mouvement volontaire et de la décision, d’une résolution prise.

in Le Voyage artistique à Bayreuth, par Albert Lavignac, 1897.

Première représentation de Parsifal à New York en 1903

M. Conried avait fait construire un instrument spécial pour reproduire les quatre sons des cloches du Graal, problème qui n'a jamais été définitivement résolu à Bayreuth.

in Le Gaulois du 29 décembre 1903.
Le propos est repris dans Le Monde Artiste du 10 janvier 1904.

Willy, dans  Confidences d'une ouvreuse, à propos du Parsifal de Bayreuth en 1911

Les cloches du Graal, incertaines jadis, ne sont pas devenues instruments de précision, et à l'instar de Reichmann, premier titulaire de son rôle, parfois l'Amftortas actuel peut avouer tout bas : « Jetzt bin ich noch einmal falsch ! »

in Gil Blas, 27 août 1911

Léon Vallas, Bayreuth et la musique

[...] Çà et là, dans le cours de l'oeuvre, pendant un trop bref moment de répit laissé par les insupportables chanteurs, se déroulent d'adorables tableaux pittoresques et symphoniques : c'est la brève et poignante scène des chevaliers du Graal recueillant pieusement la dépouille sacrée du cygne que tua Parsifal, et formant un cortège funèbre tandis que se développent à l'orchestre les simples accords qui déjà fleurissent délicieusement dans Lohengrin; ou bien c'est la grandiose ascension à Monsalvat présentant à nos yeux le déroulement des paysages variés qui aboutissent au temple d'Amfortas d'abord obscur, puis peu à peu lumineux, pendant que du «gouffre mystique » monte et se déploie, éclatante, majestueuse, sereine, la marche solennelle qu'engendre l'obstiné carillon des cloches du Graal. [...]

in Revue musicale de Lyon du 22 octobre 1911.

Impressions de Bayreuth par Louis Schneider

[...] Mais qu'est-ce que j'aperçois là-haut? Ce sont des tonneaux de bois : c'est une invention de Kranich; ce sont les cloches de Parsifal qui sont reléguées là dedans pour avoir plus de sonorité. C'est encore un secret aujourd'hui, Kranich est en train de le faire breveter. [...]

in Les Annales politiques et littéraires du 15 septembre1912

René Lyr, à propos du Parsifal de Bruxelles

[...] Il semblerait que nous vivons à l'aube d'une foi nouvelle. Wagner entrevit-il ce miracle qui, soudain, arrête la génération dans sa course désordonnée et d'un seul coup, tourne tous ses regards vers la cîme où son orgueil, naguère, alluma l'apothéose suprême de la Beauté ? Le siècle impie a tressailli au glas des cloches du Graal, sonnant le deuil des religions défuntes, le regret d'idéals oubliés. O sublime pouvoir de l'art, pareil à la mystérieuse attirance des cieux semés d'étoiles ! Lumière essentielle, dont la traînée radieuse, se prolongeant par delà les nuits infinies, dément la mort des astres ! [...]

in Revue musicale S.I.M., 1er janvier 1914

Jules Méry, à propos du Parsifal de Monte-Carlo

Pour la première fois, les cloches du Montsalvat ont sonné exactement les notes très graves écrites par Wagner : c'est un musicien, M. Noël Desjoyeaux, qui, après des. études purement techniques, proposa un projet de plaques d'acier donnant l'illusion absolue des bourdons de cathédrale. M. Raoul Gunsbourg n'hésita pas à exécuter ce projet : et, cette fois, à deux octaves plus bas .que les cloches traditionnelles nous avons entendu vibrer les vraies cloches du Graal, ce qui donna, enfin, tout son vrai caractère musical à la scène de la consécration et à celle des funérailles de Titurel : ce simple détail prouve le haut scrupule de représenter « exactement » Parsifal.

in Le Figaro du 24 janvier 1914

Histoire d'un pauvre homme riche 

Dans cette nouvelle publiée en 1921 par les Cahiers d'aujourd'hui, Adolf Loos évoque un pauvre homme riche que la vie avait comblé et qui voulut introduire l'Art dans sa vie et même dans celle des autres. C'est ainsi qu'il " adressa une requête à la Compagnie des Tramways pour que celle-ci remplaça son absurde sonnerie par le motif des cloches de Parsifal. La Compagnie refusa. On n'y acceptait pas assez les idées modernes. "

André Coeuroy

Une critique musicale consacrée par le Temps du 3 mai 1924 au Parsifal que l'Opéra de Paris vient de reprendre cite un article d'André Coeuroy  :

[...] Dans un article où M. André Coeuroy n'a voulu saisir l'œuvre wagnérien que par où il était disposé à la littérature, nous lisons encore : « Tout de même que les jeunes musiciens se sont détachés de Wagner, les jeunes romanciers ne voient plus leurs héros à travers ceux de Bayreuth. S'ils y songent par hasard, c'est pour les persifler. La mystique des générations précédentes a fait place à l'humour. Au son de quelle musique Jean Cocteau fait-il défiler "en esprit de cortège " les Eugène difformes de son Potomak ? Au son des cloches de Parsifal. Et quelle mélodie Jules Romains fait-il fredonner, sur un mirliton, par le Bénin sarcastique des Copains? ̃ Le prélude de Parsifal. Sur la planche où sont rangées les vieilles lunes silencieuses, énorme et pâle, a pris son rang la vieille lune de Wagner. » Et M. André Suarès lui-même, après .un éloge impétueux et brûlant de Parsifal, finit par avouer mélancoliquement « Cette musique est sans doute destinée à vieillir, comme toute musique. » [...]


Louis Valeton sur le Parsifal du Grand Théâtre de Bordeaux

Signalons ensuite les somptueuses cloches du Graal électro-pneumatiques dues à l'ingénieuse invention de M. Lyon, directeur de la Maison Pleyel qui, jouées à l'orchestre, résonnaient au-dessus de la coupole du décor du Graal, emplissant tout le théâtre de leurs magnifiques sonorités.

in Comoedia du 16 janvier 1927

Jules Casadeus sur le même Parsifal de Bordeaux

Les quatre cloches du « Graal », qui pourraient n'être que de très vulgaires accessoires, sont représentées ici par quatre énormes plaques rondes d'acier placées dans les dessus, et que frappent des marteaux feutrés actionnés par un système pneumatique (la soufflerie est dans les dessous) que commande électriquement un clavier installé dans l'orchestre !

in La Presse du 31 janvier 1927.

Esther Walker

Et tant qu'a faire, les Cahiers d'art présentent en 1927 les dernières chansons d'Esther Walker, dont
It Made You Happy When You Made Me Cry, avançant que les quatre premières mesures de la chanson sont inspirées des cloches du Graal. Cette chanson peut s'écouter sur Daily Motion. Les reconnaissez-vous ?

Wolfram Graf

En 2016, le compositeur Wolfram Graf a composé cinq pièces pour l'instrument imaginé par Wagner (Intermezzi, Op. 222). Les pièces ont été créées en 2016 lors du festival "Zeit für Neue Musik" à la Maison Wahnfried. Pour en écouter un extrait, cliquer ici.

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