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jeudi 10 juin 2021

Singularity de Miroslav Srenka au théâtre Cuvilliés — Compte-rendu

Crédit des photographies © Wilfried Hösl

Voir le post de présentation : https://munichandco.blogspot.com/2021/06/singularity-space-opera-for-young.html


Compte-rendu du 9 juin 

La singularité  réside déjà dans le fait que le théâtre Cuvilliés de Munich, — un des fleurons de l'art rococo bavarois édifié à la moitié du 18ème siècle, qui a par bonheur échappé aux destructions massives de la deuxième guerre mondiale et qui nous charme aujourd'hui avec l'abondance de ses boiseries dorées et chantournées, — que cet écrin destiné à la musique baroque et aux oeuvres de Mozart accueille la création mondiale du  space opera futuriste du compositeur tchèque Miroslav Srenka, dont c'est la troisième création munichoise, après son Make no noise de 2011  et le South Pole de 2016. 

Back to future pour cette composition qui nous projette dans un avenir virtuel lointain. Mis en scène par Nicolas brieger, l'opéra de Mirsolav Srenka et et de son librettiste Tom Holloway nous entraîne dans un futur peut-être pas si éloigné que cela d'ailleurs, au départ d'un lieu qui venait de nous ramener deux siècles  et demi en arrière. Prendre un billet pour Singularity, c'est faire le choix d'un voyage temporel de trois cents ans au moins, ce qui, en ces temps de confinement et de fermetures des frontières, offre une opportunité unique d'évasion et d'exotisme au moins temporel. C'est aussi faire le choix d'un choc émotionnel sonore, tant Miroslav Srenka nous désarçonne ici par une composition inconfortable avec des sons en rafales et un chant qui soumet les jeunes chanteurs de l'Opera Studio à la rude épreuve de devoir produire des sons reproduisant la cacophonie des jeux vidéos et les bégaiements discordants de la technologie informatique, épreuve dont ils relèvent tous le défi avec brio. 

En futorologie la singularité désigne un point hypothétique de l'évolution technologique. L'action de Singularity se passe dans un futur  non défini dans lequel la science informatique a fait de tels progrès que les êtres humains sont désormais pucés et ces implants électroniques sont supposés permettre une communication non verbale donnant un accès immédiat aux pensées d'autrui. La robotique a elle aussi évolué, les robots ont acquis un certain degré de conscience et d'autonomie. Ces avancées sont cependant bien moins prometteuses qu'on aurait pu l'espérer. Les problèmes de la communication humaine auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés de nos jours se voient amplifiés dans le space opera de Srenka : humains obnubilés par les jeux vidéos, le regard rivé sur leur téléphone portable, dépendance maladive aux réseaux sociaux, problèmes de communication tous azimuts, isolement, solitude, impossibilité de se rencontrer dans une relation épanouie... ces problèmes sont encore décuplés par le cafouillage de la technique: les fruits de la révolution technologique n'ont pas passé la promesse des fleurs. Les innovation scientifiques n'apporteront pas la fin de tant d’ennuis dont nous fûmes la proie et ne  nous ravira pas les sens de merveille et de joie...La communication moderne nous conduit tout droit dans le mur. 

Andrew Hamilton et Theodore Platt
L'opéra a été écrit pour huit chanteurs interprétant deux couples dysfonctionnels doublés de leurs alter ego robotiques, figures sans visages vêtues de pied en cap de collants noirs : les couples sont désignés par de simples lettres initiales et leurs doubles des mêmes lettres précédées d'un e indiquant leur virtualité : (Andrew Hamilton), accro aux jeux vidéo, a pour alter ego  virtuel eB (Theodore Platt), sa petite copine S (Eliza Boom), une fanatique des réseaux sociaux est accompagnée de son double eS (Juliana Zara), (George Virban), promène sa névrose amoureuse en compagnie eT (Andres Agudelo) et prétend vivre un amour avec (Daria Proszek), accompagnée de eM (Yajie Zhang) qui affirme ne rien savoir de ce prétendu amour tout en tirant les ficelles de leur (non) relation.  Les doubles paraissent en cours d'opéra développer un semblant d'autonomie, tout au moins sur le plan de l'expression. À tout cela il faut ajouter un drone-consolateur, nouvelle version de l'oiseau chanteur encagé, qui insulte copieusement en le traitant de Resol, qui n'est autre que l'inversion du mot Loser ( mot anglais qui désigne le raté toujours perdant). À noter encore, que les initiales désignant les protagonistes évoquent sans doute leurs voix correspondantes, ainsi du B de baryton

L'opéra commence fort, avec un qui s'énerve copieusement sur son jeu vidéo en lançant des bordées de gros mots que la décence nous interdit de reproduire ici, même s'ils sont en anglais, la langue de l'opéra. Le rôle de B est confié au très prometteur Andrew Hamilton, un grand jeune homme de belle prestance absolument génial dans la production d'onomatopées reproduisant les bruitages d'un jeu vidéo. Une des belles découvertes de la soirée qui n'en fut pas avare quant à la qualité des chanteurs. Joueur invétéré, possédé par son addiction compulsive, il reste insensible aux appels tant électroniques que vocaux de sa compagne (la puissante soprano Eliza Boom) qui est obsédée par la manie des updates (mises à jour). Dans ce monde hyper-connecté règne une hyper-incommunicabilité, les couples vont à vau-l'eau, les machines se déréglent et s’affolent. Tout l'opéra fera ensuite la démonstration in absurdo de l'impasse relationnelle à laquelle mène le monde en réseau. Il le fait avec beaucoup d'humour et d'ironie, le sourire, le sarcasme et le comique de scène sont heureusement souvent présents.

Les décors résultat de la synergie entre le décorateur Michael Bauer et des lumières de Benedikt Zehm  et de son équipe d'éclairagistes ingénieux  m'ont fait penser au futurisme des années soixante. De grands cercles sont découpés dans les parois du caisson de scène, formant piscine au plancher. Le jeu des lumières peut donner l'illusion de la projection dans les couloirs du temps ou, comme au final, après que la salle ait été plongée dans le noir, pailleter toute la salle, public compris, de myriades d'étincelles lumineuses qui semblent confirmer le happy end de cette tragi-comédie : l'amour finit par triompher des addictions, des progrès de l'informatique et de la robotique, et des dégâts relationnels qu'il occasionnent. Les couples finissent pas se reformer.

Video-on-demand : https://operlive.de/singularity/ (disponible 30 jours)

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