Un dénommé comte Paul Vasili, qui se dit vieux diplomate, a rédigé plusieurs ouvrages sur les capitales européennes. Mais on ne trouve pas trace du comte en question ...Il s'agit semble-t-il d'un des pseudonymes de l'écrivaine Juliette Adam qui en serait l'autrice, à moins qu'il ne s'agisse d'ouvrages collectifs auxquels elle aurait largement contribué. La société de Vienne fut publié à Paris en 1885 par La Nouvelle Revue. En voici l'introduction.
Mon jeune ami,
Non, certes, je ne vous en veux plus d'avoir insisté pour me faire publier les lettres sur la Société de Berlin.
Je me rappelle, et j'en souris, ma grande indignation, lors de votre première ouverture à ce sujet, puis vos habiletés, par une suite d'idées dont vous fûtes le promoteur, pour me débarrasser de mes scrupules, un à un. Vous n'avez plus à déployer vos talents de persuasion. Me voilà bien convaincu de l'intérêt que trouve le public à mes indiscrétions. Je me prends au sérieux comme écrivain, et c'est vous bientôt qui serez forcé de m'arrêter, car, plein d'ardeur, je me dispose, après ce volume sur la société de Vienne, à en faire d'autres.
J'ai déjà fouillé mes correspondances, mes rapports, mes souvenirs, et classé des notes sur la société de Londres, de Madrid , etc. Comme je n'ai cessé nulle part aucune de mes relations, il m'est facile de me tenir au courant de la physionomie nouvelle que revêtent les hommes et les choses.
Je sais toute l'Europe et je veux la conter ainsi par le menu . Sans doute mes livres n'auront qu'un intérêt d'actualité . Ce ne sont point des œuvres qui dominent un temps ; mais j'esquisse des formes , je colore des perspectives , je détaille des faits qui permettront un jour aux peintres de l'histoire de trouver groupés des documents pour leurs tableaux .
J'avoue que le secret gardé , le succès recueilli, les colères soulevées à Berlin par ma plume , la joie donnée aux ennemis de la société allemande, les questions auxquelles j'ai répondu, les soupçons que j'ai détournés, enfin le tout ensemble, ont diverti ma solitude au point de transformer mon innocente passion pour la chasse en la dangereuse passion d'écrire .
On a beaucoup dit que j'avais été méchant pour la société de Berlin . Je ne le serai pas pour la société de Vienne .
En ma qualité de diplomate vieilli , j'ai le droit d'être un peu démodé. Quoique le dernier genre soit d'admirer, de louer Berlin, j'ai toujours eu plus de goût pour l'Autriche que pour l'Allemagne. Le génie de M. de Bismarck , la puissance dominante , envahissante, absorbante de la Prusse, l'écrasement de la politique européenne au profit d'un seul, l'état de soumission craintive des petits États, la passivité de l'Autriche , la résignation triste de la France , les « soupe au lait » de l'Angleterre, la condescendance respectueuse de notre pauvre Russie , ne sont point faits pour apaiser mes griefs, changer mes préférences ou intervertir l'ordre de mes sentiments .
N'ayant plus l'intention d'être «persona grata», je puis, même en écrivant, cesser d'être diplomate .
S'il est difficile d'aimer Berlin , il est aisé d'aimer Vienne. La ville est grande, elle a de larges percées, elle s'offre aux clartés du ciel, elle attire les sourires de la lumière. On peut dire de Vienne que jamais elle n'est une ville sombre. Le Danube bleu – il est bleu à Vienne – la traverse et y soulève parfois des bouffées d'air de l'Orient. Elle n'a de lourd, d'étranger à son ciel que son architecture moderne. Les quartiers neufs, les monuments bâtis ces dernières années sont bien allemands. Elle possède , en revanche , à Saint-Étienne, d'admirables guipures de pierre, qu'on n'a point blanchies, auxquelles le temps a donné des reliefs merveilleux.
Les paysages qui entourent Vienne sont incomparables. Il faut voir la capitale de l'Autriche à la fin d'un beau jour, sur le Kahlenberg. Des plans successifs de montagnes s'infléchissent, s'espacent pour permettre au regard de les embrasser tous. Les rayons du soleil se répandent sur un espace infini : il dore et rougit d'innombrables sommets dont les cimes boivent la lumière d'une façon différente. Les nuances de tons varient dans le paysage avec une rapidité qui fait d'un coucher de soleil au Kahlenberg un spectacle unique au monde .
Vienne s'étend superbe dans la plaine un peu basse , mais assainie par les courants qu'un fleuve et des montagnes y échangent. Le Danube, au cours détourné par la main des hommes, s'il est moins puissant qu'à Pest, a, dans ses courbes, une grâce un peu composée qui a son charme .
À Vienne, les femmes sont belles et charmantes à la fois. Comme dans les capitales où elles sont très recherchées, très aimées, toutes ne sont pas cruelles. Je ne leur ai jamais fait qu'un reproche : celui d'avoir la taille trop fine. Je ne m'explique, chez les Viennoises, cette passion du corselet de guêpe que par la préoccupation de se distinguer des Orientales. Le ton des femmes de la haute société à Vienne est parfait comme élégance de manières, comme goût des toilettes, comme recherche d'esprit dans les conversations. Elles n'ont rien de commun avec les femmes de la société de Berlin , excepté quand elles sont Allemandes.
Les hommes du monde, à Vienne, ont le jugement un peu compliqué, surtout lorsqu'ils parlent de politique. Cela tient sans doute à la complexité des problèmes qu'importent dans le gouvernement les besoins divers, et souvent contradictoires, des différentes races dont l'Austro-Hongrie se compose.
En Autriche, on possède les qualités et les défauts réunis de l'Orient et de l'Occident. Lorsque le courant est aux qualités, la société viennoise est la première d'Europe par ses vertus ; mais quand vient le tour des défauts, il leur arrive d'être doubles.
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