S. M. L'IMPÉRATRICE D'AUTRICHE (1)
Quoique ne montant plus à cheval depuis quelque temps, l'Impératrice d'Autriche n'en restera pas moins pour tout le monde équestre la première écuyère de ce temps. Douée d'une tenue exceptionnelle, d'une témérité invraisemblable, l'arrière-petite-nièce de Marie-Thérèse s'en allait à travers tout, sans se soucier de ce qui pouvait en advenir. C'était une des plus hardies horsewomen qu'il soit donné de voir; cependant, il n'en manquait pas dans ses États, où on ne se faisait pas une réputation à bon marché. Mais l'Impératrice ne se contenta pas longtemps de cette manière de faire.
Quand on a le sentiment inné du cheval, le dehors est plutôt un exercice qu'une équitation proprement dite. Il faut le connaître et le pratiquer, sans cela vous n'êtes jamais une véritable femme de cheval, et vous vous trouvez toujours enfermé dans un cercle limité, dont vous ne sortez jamais.
Toute l'équitation peut se résumer dans un mot : équilibre. En dehors de cette loi, il n'y a pas de salut ; vous tombez d'un côté dans le bourreaudage, de l'autre, dans les chiens savants. Seulement l'équilibre est différent suivant ce que vous désirez faire, et, pour connaître ses diverses variations, il faut pouvoir les pratiquer, sinon vous retombez dans des appréciations dont la naïveté fait sourire les gens d'expérience. Ce fut, je crois, je lui en demande pardon, si je me trompe, l'exemple d'Elisa Pezold qui donna à S. M. l'Impératrice l'idée d'étudier le cheval à un autre point de vue que la pratique usuelle du dehors et de fouiller dans les replis les plus subtils cette science si ardue et si attrayante du manège ; elle ne tarda pas à y retrouver la même supériorité transcendante. Après avoir tout expérimenté, elle en arriva promptement, comme les êtres naturellement doués d'une intuition particulière, à ne procéder de personne et à se faire une manière à elle.
Avant son mariage, l'Impératrice était déjà une femme de cheval accomplie ; ses poupées furent des poneys, ses bibelots de jeune princesse furent des pur-sang, des chiens et des fusils. Elle était de la race de Marie-Thérèse, de la race virile de cette souveraine que ses sujets, enthousiasmés par son courage au milieu des désastres, acclamèrent du titre de Roi, se serrant autour de cette femme admirable devant l'invasion ennemie, comme autour d'un homme, non pour la protéger, mais pour être commandés par Elle, immense témoignage d'amour et d'admiration !
La manière de procéder de l'Impératrice était la bonne et la vraie, en ce sens qu'elle comprenait tout et n'était exclusive de rien. Ses chevaux étaient toujours équilibrés et d'aplomb, jamais écrasés à l'arrière-main, l'Impératrice pouvait faire faire à un cheval un travail de cirque et chasser avec lui le lendemain. L'animal s'allongeait et se raccourcissait à son gré, parce qu'il était dans un équilibre naturel.
Certes il est donné à peu, pour ne pas dire à personne, de posséder l'instruction équestre au même degré que l'Impératrice, aussi montait-elle à cheval dans la perfection. Son travail était une œuvre de haut goût pour les dilettanti d'équitation. L'Impératrice était dans sa selle fine et souple, élégante, le cheval équilibré naturellement. Tout mouvement était obtenu sans effort appréciable chez l'écuyère comme chez l'animal ; on ne pouvait se lasser de la regarder tant elle était savante et harmonieuse.
Être en selle, que ce fût au Prater, dans la plaine ou au manège, tel avait été toujours le seul et vrai plaisir de la souveraine. Il lui a donc fallu un vrai courage pour que, sur les conseils des médecins du Burg, elle échangeât sa triomphante cravache contre le pavillon d'un yacht.
Tout en étant une écuyère de grand style, Sa Majesté, qui avait été élevée dans les sites montagneux de la Bavière, était une hunts woman ayant une préférence marquée pour les chasses d'Angleterre et d'Irlande, qu'elle mettait au-dessus même de ses chasses impériales de Hongrie.
Lorsque l'Impératrice avait suivi quarante chasses, avec son équipage de Mégyer, et essayé un à un ses hunters, jeunement dressés, de Godollo, elle avait coutume d'aller chercher un sport un peu plus ardu, en Angleterre. Son premier déplacement date de 1876 ; elle chassa en mars avec l'équipage du duc de Grafton, mort, il y a quelques années, en laissant un grand vide dans le monde du sport ; elle occupait avec sa sœur, la reine de Naples, le pavillon d'Easton, près Towcester.
Le 7 mars, après le premier run auquel l'Impératrice Élisabeth assista sur la terre étrangère, les honneurs du brush lui furent faits par Frank Beers, le vieux piqueur du duc. L'Impératrice était rayonnante ; tous les sportsmen, lord Grafton à leur tête, s'étaient découverts pour rendre hommage autant à l'impériale visiteuse qu'à l'intrépide huntress, arrivée à la prise avant le maître d'équipage.
Son second déplacement eut lieu en décembre 1877, lorsqu'elle occupa, dans le même district, Cottes Brooke-Lodge ; chaque fois que la meute chassa, de décembre à mars,. Sa Majesté fut présente, escortée des veneurs de sa suite et du capitaine Middleton, qu'elle avait prié de diriger son écurie de seize chevaux, amenés d'Autriche.
Depuis lors, l'Impératrice a chassé en Irlande, où elle a occupé le pavillon de Summerhill, qu'avait mis à sa disposition lord Langford; en 1879 et en 1880, elle n'a guère manqué de rendez-vous des équipages fameux de Kildare, Ward et Meath.
En 1882, cédant aux sollicitations de l'Empereur, justement ému par les infâmes agissements des, Landleaguers, qui. comme on le sait, sont les citoyens les plus anti-sportifs du monde, Sa Majesté, abandonnant l'Irlande, est revenue chasser en Angleterre, où elle a occupé l'abbaye de Gombermere, le meilleur centre de chasse du Cheshire. Ce séjour, comme le précédent, fut entièrement consacré au sport; une écurie admirablement montée, confiée aux soins de, son premier palefrenier Tom Healy, lui permit de chasser tous les jours, tantôt, avec les fox-hounds, conduits par sir Watkin Wynn, tantôt avec sa propre meute de beagles.
Dès le lendemain de son arrivée, le 4 février 1882, l'Impératrice faisait sa première apparition au rendez-vous de. chasse de sir Watkin Wynn, pilotée à travers champs par le major Rivers Bulkeley, poste d'honneur si bien rempli, les années précédentes, par le capitaine Bay Middleton.
Lors du premier déplacement de Sa Majesté en Angleterre, elle arriva avec ses propres chevaux dressés à l'allemande, c'est-à-dire sautant peut-être très bien, mais n'ayant aucune habitude d'aborder l'obstacle grand train et en prenant leur mors.
Ce fut une révolution dans la manière de faire de l'auguste écuyère. Elle ne tarda pas à reconnaître que chaque spécialité avait des exigences, et, renvoyant ses chevaux en Autriche, elle les remplaça par des hunters de premier ordre qu'elle acheta dans le pays. L'Angleterre d'ailleurs est le pays où les races de chevaux de toutes espèces sont parvenues au plus haut degré de perfectionnement. Il est peu de pays aussi coupés d'obstacles de tous genres, présentant par conséquent autant d'attraits à un véritable sportsman. Aussi nulle part ailleurs ne trouve-t-on des chevaux plus aptes à cette spécialité: L'Impératrice était arrivée à une trop grande supériorité dans l'art de l'équitation, pour ne pas métamorphoser rapidement sa manière ordinaire de monter. Elle ne tarda pas à se placer du reste au premier rang des ladies les plus renommées pour leur audace et leur intrépidité derrière les chiens. C'était un tableau charmant devoir l'Impératrice avec son cheval, s'envoler gracieusement par-dessus les obstacles. Il faut, connaître les chasses irlandaises pour se rendre compte de la valeur de cette performance, car l'Irlande n'est pas un pays où l'on se fait une réputation si on ne l'a pas vingt fois gagnée.
Le plus remarquable des hunters de Sa Majesté en 1882 était Quickslow, jument irlandaise d'une haute qualité ; il suffit à un homme de cheval de la regarder pour être certain que rien ne doit l'arrêter à travers pays. L'Impératrice d'Autriche est du reste merveilleusement faite pour cet exercice qui était devenu son passe-temps favori.
Aujourd'hui les renards de Mégyer, les cerfs de Godollo ont un « Merry Christmas»; l'Impératrice ne les chassera plus, et l'abbayede Combermere ne reverra plus son impériale visiteuse, les médecins du Burg, l'antique château des Habsbourg, en ont décidé ainsi !
Ce portrait était fait et la mise en page commencée, lorsque m'est parvenue à Londres, au moment où j'y arrivais, la nouvelle abominable de l'assassinat de l'Impératrice Élisabeth. Je n'y change rien ; j'ajoute seulement que ce meurtre, qui met l'humanité tout entière en révolte et en deuil, a été commis par un Italien du nom de Luccheni.
Qu'un pareil forfait puisse s'exécuter encore, se concevoir même, c'est la faillite du XIXe siècle dans ses revendications les plus émouvantes !
(1) in Le sport en France et à l'étranger. Silhouettes sportives. Tome premier, (Paris), J. Rotschild, 1899, par le baron Charles-Maurice de Vaux.
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