Henri Maréchal |
" Au moment où parut la Tétralogie de Richard Wagner, je reçus cette lettre chaleureuse [de la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein] :
Rome, juillet 1876.
« Vous savez qu'en ce moment beaucoup de gens, quarante millions ou plus, se trouvent dans un très grand état de surexcitation, étant à la veille de la première représentation de la fameuse tétralogie l'Anneau de Niebelonge, dirait un Parisien pur-sang. Je vous rappelle qu'on répète depuis le 1er juin et qu'on entendra à partir du 13 août un opéra tous les quatre premiers jours des trois dernières semaines du mois. Prenez votre courage à deux mains, tentez l'aventure pour la seconde ou la troisième semaine. À peine débarqué du chemin de fer, allez trouver Liszt. Il vous casera bien quelque part au théâtre ; vous trouverez bien en quelque lieu béni des dieux un morceau à mettre sous la dent, et quant à dormir... Ah bah... est-ce qu'on y songe a votre âge..., jeune homme... [il a 34 ans en 1876], au mois d'août... durant la lune des moissons, quoi de plus tentant et de plus poétique que de dormir à la belle étoile ?... D'ailleurs, qui sait si, après tout, on vous laissera vous livrer à ce poétique bonheur?
Je crains fort que le bourgmestre de l'endroit ne soit pas à la hauteur de si exquises impressions et qu'il ne donne l'ordre à quelque hôtelier brutal de vous prendre sous son toit au nom de la loi. En fait de matelas ce ne sera pas du sybaritisme : mais pour le repos de vos jeunes ans très suffisant.
Faites, faites cela. Allez, entendez,voyez. De quelque façon que ça tourne (et cela pourrait bien mal tourner), ce sera un grand fait, un grand souvenir, une grande expérience pour tout musicien sérieux qui se respecte.
Mieux que personne je sais les critiques qu'on en peut faire, comme je connais celles qu'on fait du Louvre et du dôme des Invalides. Le Louvre n'en demeure pas moins le Louvre et le dôme reste le dôme Une chose grande est toujours un enseignement, fut-elle assez imparfaite pour crouler sur elle-même. Cette grandeur qui n'est encore qu'un rêve tronqué, un effort vain dans un siècle, mûrit pour un autre. Les générations réalisent ce que l'homme a essayé.
Faites donc cela allez à Beyreuth [sic]. Donnez-vous le spectacle d'un pays entier aux écoutes de son prophète musical ! Vous en rapporterez plus d'une émotion que vous payeriez ensuite à prix d'or ! "
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire