Les amis (du moins les francophones d'entre eux) du Roi Louis II de Bavière connaissent bien le Roi Vierge, ce roman à clef dans lequel Catulle Mendès s'inspira de Louis II de Bavière et de Richard Wagner pour créer ses personnages de Frederick de Thuringe et de Hans Hammer. Ces mêmes admirateurs ignorent peut-être que le personnage du roi de Thuringe réapparut dans un conte moins connu de Catulle Mendès, intitulé Luscignole, publié en 1892, soient dix ans après le Roi Vierge.
Ce conte fut admirablement présenté par Anatole France dans un article publié peu après sa parution par le journal parisien Le Temps. Anatole France profite de cette parution pour puiser dans son immense science littéraire de charmants fragments de la littérature française qui évoquent le rossignol.
ROSSIGNOL ET POÈTE
Luscignole, roman, par Catulle Mendès, 1 vol. in-18.
M. de Montbéliard a connu un gentilhomme campagnard qui s'acharnait à détruire les rossignols dans ses bois, autour de son château. Leur chant, disait-il, l'empêchait d'entendre, la nuit, l'agréable coassement des grenouilles. M. de Montbéliard estime que cet homme n'était pas bien organisé. Tout enclin que je suis à reconnaître la diversité des goûts et la contrariété des humeurs, je crois aussi qu'il faut être un grand ennemi du nombre et de l'harmonie pour préférer la voix des grenouilles à celle du rossignol. Si encore le rustre avait prêté l'oreille aux soupirs flûtés du crapaud, je m'efforcerais d'entrer dans son bizarre sentiment. Mais comment approuver l'homme qui se plaît uniquement au brekekekex, coax, coax des filles des eaux marécageuses ? Ce ne peut être qu'un misérable. Il nous plaît, au contraire, de savoir que, pendant tout un printemps, Jean-Jacques fit chaque nuit deux lieues pour entendre les rossignols à Bercy.
Et M. Catulle Mendès, qui aime l'oiseau cher à Jean-Jacques, est un poète divin ; les âmes bien faites admirent ce petit virtuose, modestement vêtu de gris et de brun, dont la voix, avec tant de force unie à tant de douceur, répand l'humide flamme de la volupté. C'est le plus intrépide, le plus puissant, le plus généreux de tous les chanteurs ailés. Il l'emporte sur l'alouette, le pinson, la fauvette, la linotte, le chardonneret et le merle par l'ardeur de la passion et l'éclat du génie. On a dit qu'il n'est si fameux que parce qu'il chante seul dans les bois endormis. Mais n'est-ce point le fait d'une âme vraiment lyrique de chanter dans la nuit et d'attendre le silence et l'ombre pour les emplir d'harmonies ? Un des plus habiles collaborateurs de Buffon, ce M. de Montbéliard, que nous nommions tout à l'heure, s'est appliqué à décrire le chant du rossignol dans une page imitée du maître :
Le rossignol commence par un prélude timide, par des tons foibles, presque indécis, comme s'il vouloit essayer son instrument et intéresser ceux qui l'écoutcnt; mais ensuite, prenant de l'assurance, il s'anime par degrés, il s'échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe coups de gosiers éclatants, batteries vives et légères, fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité; murmure intérieur et sourd qui n'est point appréciable à l'oreille, mais très propre à augmenter l'éclat des tons appréciables roulades précipitées, brillantes et rapides, articulées avec force et même avec une dureté de bon goût; accents plaintifs cadencés avec mollesse sons filés sans art, mais enflés avec âme sons enchanteurs et pénétrants; vrais soupirs d'amour et de volupté qui semblent sortir du cœur et font palpiter tous les cœurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante c'est dans ces tons passionnés que l'on reconnoit le langage du sentiment qu'un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu'elle seule peut lui inspirer, tandis que dans d'autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnoit le simple projet de l'amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.
Cela est honnêtement dit, et l'on accordera à M. de Montbéliard qu'il était un estimable élève de Buffon. Voulez-vous maintenant, sur le même sujet, une page brillante, vive, imagée. Voulez-vous quelque chose de peint. Ouvrez le livre de M. Catulle Mendès à la cent soixante-unième page. D'abord les premiers gazouillements de l'oiseau :
C'étaient presque inentendus de tout légers murmures où se révélaient à peine les promesses du glorieux hymne futur. On eût dit d'un vague froissement de deux jeunes feuilles lisses plutôt que d'une voix d'oiselet.
Puis on entend l'oiseau « pour qui le nid n'est encore que le berceau »
Déjà, écoutant la sonore leçon du père qui se lamente mélodieusement sur la branche, il s'essaye à de longs sifflets, à des roulades, et à ces râles qui sont comme l'amoureuse agonie d'une âme; n'importe il ne réussit guère qu'à égaler la loquacité bredouilleuse des fauvettes à tête noire. Il faut, pour qu'il ramage vraiment selon sa race, qu'il se soit renforci, qu'il ait, l'automne survenant, traversé les ciels, franchi les mers, et que des lointaines contrées il rapporte en les nôtres, dès le printemps revenu, l'immensité profonde et claire à la fois des deux sans ombre, et le silence sonore des temples ruinés, et tout l'inconnu vierge des augustes forêts. Alors vraiment, à côté de la femelle couveuse qui. l'écoute, il est grave, attendri, puissant, sublime.
Quelquefois on trouve dans les bruyères, cadavre aux plumes hérissées encore, un rossignol mort d'avoir trop chanté.
M. Catulle Mendès a su donner l'idée du rossignol dans des phrases qui chantent comme lui. Mais le poète a fait plus encore pour ses confrères des bois, qu'il aime chèrement il a conté la touchante, la belle, la merveilleuse histoire de Luscignole.
« Marthe, de son nom baptismal, fut nommée, nous dit-on, Luscignole par un prêtre de la paroisse, à cause qu'elle sifflait et chantait comme les rossignols, » Ce prêtre ne formait pas trop mal les noms qu'il donnait aux fillettes, ses paroissiennes. En effet, lussiniola a produit lousseignol qui est vieux et bon.
« La douce voiz du louseignol sauvage », dit un poète du douzième siècle.
C'est par corruption que l s'est changé en r. Le mal était déjà fait au temps de Guillaume de Lorris ; il est irréparable. Mais il n'est pas grand. Il faut seulement dire, pour abaisser la superbe des écrivains de profession, qu'ils sont bien obligés de prendre la langue telle que les ignorants l'ont faite et que le plus fier d'entre eux est tributaire des bonnes femmes de campagne. Il dirait colidor, comme il dit rossignol, si nos aïeules en bonnet à barbe de dentelle l'avaient voulu ainsi. La langue est de tous et elle est à tous.
La correction consiste à faire les fautes que tout le monde fait et à dire rossignol. Néanmoins j'aime le curé de M. Catulle Mendès pour son exactitude philologique.
Luscignole naquit dans quelque ville de légende, à l'ombre d'une vieille église où reposent, « sous lame » comme disent les épitaphes, en attendant le jour du jugement, des princes archevêques, des ducs, des comtes et, peut-être, des électeurs palatins. On y gardait, avant qu'elle fût détruite par un incendie, le crâne de sainte Catulla, le tibia de saint Hersilien et la chemise de Notre Dame. Elle était abandonnée du commun des fidèles, qui y trouvaient Dieu trop grave et trop triste. Nièce du bedeau, Luscignole y vivait avec les souris blanches du reliquaire et les rossignols que son oncle élevait dans la tour. Cet oncle se nommait Alas Schlemp. C'était un nain affreux, un ivrogne terrible et un oiselier incomparable.
Marie-Joseph Chénier a terminé son épitre satirique à l'abbé Delille par les huit vers que voici et qui ne sont pas, à vrai dire, les plus jolis de la pièce
Les rossignols en liberté
Aiment à confier leur tête
Aux rameaux du chêne indompté,
Que ne peut courber la tempête;
Pour déployer leur noble voix,
Ils veulent le frais des bocages,
L'azur des cieux, l'ombre des bois
Les serins chantent dans les cages.
Marie-Joseph semble croire que les rossignols ne chantent qu'en liberté. S'il le pensait, en effet, c'est qu'il avait mal étudié les mœurs des oiseaux. Le rossignol est, il est vrai, d'un caractère indépendant et d'une humeur timide et sauvage. Il meurt en silence dans la cage où il se déplaît. Mais, si l'on parvient à lui faire aimer ou, du moins, supporter sa prison, il y chante plus et mieux que dans les bois. Il faut seulement qu'on lui donne l'illusion du printemps.
Un peu de feu avec un lambeau de toile verte y suffit. Les poètes sont prompts à l'illusion et il n est pas difficile de les tromper. Une douce chaleur, une apparence de verdure, c'en est assez pour que le rossignol chante en cage pendant neuf et dix mois. Un M. Le Moine, qui étudiait les oiseaux vers 1780, garda un rossignol pendant dix-sept ans. Il devint tout blanc à la fin de son long âge. II se forma aux jointures de ses pattes des nœuds comme aux articulations des goutteux. Son bec avait grandi et il fallait le lui limer de temps en temps. La vieillesse, qui lui avait apporté ces petites misères, lui laissait sa gaieté, sa belle humeur et son chant. Il chanta jusqu'à sa dernière heure. Le disciple de Jean-Jacques à qui j'emprunte ces observations, prend soin de dire que ce rossignol n'avait jamais été apparié. Il attribue à cette circonstance une si extraordinaire longévité. Mais il doute si ce vieillard aux ailes chenues fait plus d'envie que de pitié, et il conclut en ces termes: «L'amour abrège les jours, mais il les remplit». Comme ce bon M. Le Moine, un siècle plus tard, M. Catulle Mendès a élevé des rossignols, en sorte que ce joli livre de Luscignole a le double mérite, d'avoir été écrit par un poète et par un oiselier. Aussi bien y trouve-t-on la science avec la fantaisie. Je disais tout à l'heure qu'on donne aux rossignols avec bien peu de chose le rêve du printemps. Mais il faut d'abord les décider à vivre et c'est un art difficile, dans lequel, à croire M. Catulle Mendès, on ne réussit qu'à force de zèle et d'amour. « On ne saurait imaginer, dit-il, ce que, pour persuader aux rossignols de subir l'emprisonnement, et d'y vivre et d'y-chanter, il faut de soins, de science, de ruse, de stratagème et de patient amour. Oui, d'amour. C'est à force de les aimer que l'on résout à l'existence ces mélancoliques amants. » Aussi ce gnome sacristain, Alas Schlemp, aimait-il ses rossignols. Mais toutes les amours ne sont pas bonnes. Cependant, l'âme d'un rossignol entra dans le gentil pauvre petit corps de la ̃nièce du bedeau. Cela se fit bien simplement. Voici de quelle manière le meilleur de ceux que le nain Alas Schlemp eût jamais élevés pour le chant, le maître et l'exemple des rossignols de la tour vint à mourir. Était-il vieux et chenu comme l'oiseau blanc de M. Le Moine? Catulle Mendès ne le dit pas et je ne saurais le dire. Mais il suffit de savoir que c'était le prince des chanteurs ailés et qu'il mourut. Luscignole recueillit son dernier souffle et l'âme de l'oiseau passa dans la fillette.. Elle fit au chantre mort et qui revivait en elle des funérailles touchantes elle l'ensevelit dans l'église, au caveau d'un archevêque. Par ses soins, le rossignol et le pontife reposent l'un près de l'autre, et c'est un grand symbole de l'égalité des êtres devant Dieu.
Luscignole n'était pas fâchée d'être devenue rossignol. Mais elle vit un jour dans une fente de la porte que son oncle, qui aimait les rossignols d'un amour horrible, leur crevait les yeux avec une aiguille, pour qu'ils ne fussent plus distraits de leur rêve et qu'ils chantassent dans leur nuit éternelle. Cette cruauté lui fit tant de peur qu'elle s'enfuit dans la forêt. Elle y trouva des saltimbanques qui l'emmenèrent avec eux et montrèrent aux foires, dans leur baraque, la fillette oiselle.
On proposait un jour à Agésilas d'entendre un homme qui imitait parfaitement le chant du rossignol.
— J'ai entendu le rossignol, répondit Agésilas.
Frederick, roi de Thuringe, qui ressemblait comme un frère au roi Louis de Bavière, ne dédaignait pas, à l'exemple d'Agésilas, les imitations merveilleuses et cette singulière transposition par laquelle une fillette montrait l'âme et le gosier d'un oiseau. Il avait, au contraire, le goût de l'artificiel et il aimait le monstrueux pourvu qu'il fût joli. Ayant ouï Luscignole, il l'acheta, lui dit: « Tu seras mon rossignol », et il la mit en cage dans un bois.
Le méchant nain, Alas Schlemp, qui errait, misérable, depuis que ses rossignols avaient péri dans l'incendie de l'église, trouva par hasard la cage où chantait sa nièce oiselle. Il prit Luscignole, l'emporta et, comme il savait l'art de faire chanter les rossignols captifs, il lui brûla les yeux avec une aiguille rougie au feu. Maintenant elle est aveugle et mendiante. Pourtant, dit Catulle Mendès, qui est poète, elle n'est pas très malheureuse, puisqu'elle chante. Ce conte, d'une fantaisie délicieuse, plein de choses impossibles et charmantes, et vrai de la vérité éternelle des contes de fées, est fait pour émerveiller tous les lecteurs, les plus ingénieux comme les plus simples, et pour n'étonner que ceux (s'il en est) qui ignorent encore qu'en art M Catulle Mendès sait tout et peut tout et qu'il est le grand, l'unique sorcier des lettres. Je ne tairai point qu'il a parfois soufflé à l'oreille de Ninon, des secrets que Ninon elle-même ignorait et qui la firent rougir jusqu'au lobe délicat de ses oreilles. Il sait aussi dire aux jeunes filles les paroles les plus candides, et répandre la neige sur l'hermine. Je ne dis pas que cela est juste. Mais cela est ce tentateur retrouve, quand il lui plaît, la chasteté des anges. Le conte de Luscignole peut être donné aux demoiselles qui j ne sont jamais si heureuses que quand celui qui perdit leur mère, dans le paradis terrestre, s'amuse à écrire pour elles. Que voulez-vous que j'y fasse? Il n'est tel qu'un voluptueux, comme Mendès, pour donner de la grâce à la pudeur. Luscignole est une très aimable et très innocente chose. ̃
ANATOLE FRANCE.
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