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dimanche 13 décembre 2020

Le couvent de Mayerling. Un texte de Maurice Verne.

 

Depuis plus de quarante ans, des carmélites vouées au silence et qui ont un cercueil pour couche expient à Mayerling une nuit d'amour et de mort. 

Un texte de Maurice Verne publié dans l'Intransigeant en 1934. Quarante ans après le drame de Mayerling, Maurice Verne se rend au couvent des carmélites qui fut installé sur les lieux mêmes de la tragédie, encompagnie d'un ami du comte Hoyos. Trois carmélites, sur les vingt qui entrèrent en clôture à Mayerling, sont encore vivantes :

   " Le lendemain, en compagnie de l’ami du comte Hoyos, je partis pour Mayerling où d’autres décors devaient nous aider à préciser le roman de Mayerling qui, après plus de quarante ans, , continue. Ecoutez plutôt...
    Nous étions dans le petit jardin du couvent clos de hauts murs, et comme des coupables nous demeurions cachés derrière un fourré. C’était l’heure de la promenade des carmélites. Elles arrivèrent, l’une derrière l’autre, leurs longs manteaux blancs de chevalier agrafés au cou, flottant sur la robe de bure et le visage nimbé de lingerie et du voile noir. Elles allaient lentement, en silence, sous les pommiers qui perdaient leurs dernières feuilles d’or. Un vent de neige soufflait de l’Helenental, ce couloir de roches, tantôt élargi en combes d’émeraude, tantôt serrant à l’étouffer le lacis de la route que Marie et Rodolphe avaient prise pour venir mourir ici. L’ami du comte Hoyos, qui avait bien voulu refaire pour moi le voyage de Mayerling, m’avertit tout bas : — Voici les survivantes. 
    J’étais venu pour voir ces ultimes héroïnes du drame. Trois vieilles religieuses très pâles, avec une sorte de somnambulisme de la démarche des êtres qui ont désappris les gestes comme les paroles, maintenues vivantes par la prière seule et l’extase. Ces trois septuagénaires firent partie de vingt carmélites qui s’emprisonnèrent dans l’ancien pavillon de chasse après le drame et ne vécurent plus que pour expier. Depuis quarante-cinq ans, me disait mon compagnon, ces trois femmes n’ont pas vu un être humain, elles n’eurent pas le droit de prononcer une parole, en dehors des chants aux offices et des prières communes à voix haute. Quand elles entrèrent ici, les maçons avaient abattu la partie du pavillon où se trouvait la chambre maudite et ils élevaient à sa place la chapelle expiatoire. Elles se savaient, elles, vouées au silence étemel et à la mortification, dépositaires du péché et du crime d’un fils d’empereur, et elles ont offert leur vie terrestre pour sauver l’âme d’un jeune homme qui aima. Je regardai ces femmes faire le tour des allées odorantes où l’âme de l’automne mêlait de la mort végétale et un fumet de feu de bois, elles s’éloignèrent extatiques, d’un pas sans bruit, bientôt irréelles, prises dans le brouillard rose. François-Joseph avait voulu, que leur pureté purifiât les traces de l’amour sanglant. Une vie dure, presque sauvage d’austérité. Les carmélites couchent dans le cercueil où elles seront emportées un jour, à peine plus insensibles et figées, au bout du jardin ; là, sous d’humbles tertres de lierre, plantés d’une croix de bois, leurs aînées les attendent, les contemporaines des trois vieilles, pareilles à des momies. 
    L'église, dont elles sont les servantes, n’atteint pas ce chef-d'œuvre humain d’expiation. Le faux gothique y montre des arêtes trop droites ; une richesse lourde, presque vulgaire, fait briller la mosaïque d’or derrière un cortège de saints et de saintes que, en suave robe mauve, Joseph, le patron des Habsbourg.
    L’unique chapelle transversale reçut les soins de l’impératrice Elisabeth ; elle y fit porter l’autel de bois, couleur chocolat comme le lit du duc de Reichstadt à Schönbrunn qui servait aux offices du païen Achilleion à Corfou, son confessionnal surdoré et son prie-Dieu que soutiennent des anges cariatides sans beauté. Sous l'autel se trouve l'emplacement de la chambre du drame, sort! de frontière un peu suspecte où l’amour et la mort rencontrent le divin. "

Bientôt Noël

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