À Berg ce treizième jour, un texte théâtral peu connu et sans doute quasi oublié de Jacques Josselin (— dites-moi si je me trompe ! —), au titre évocateur : le 13 juin 1886, lors d'un drame terrible non encore élucidé, le roi Louis II de Bavière et le docteur von Gudden mourraient tous deux noyés dans le lac de Starnberg, aux abords du parc de la résidence royale de Berg.
Au hasard des mes opérations d'orpaillage littéraire, je trouve la pièce mentionnée au répertoire de la Théatrothèque de l'ADEC 56 avec la fiche suivante :
Titre : A Berg ce treizième jour
Type de document : texte manuscrit
Auteurs : Jacques Josselin, Auteur
Editeur : Paris : Répertoire aneth
Année de publication : 1985
Importance : 79 f
Format : 29,7
ISBN/ISSN/EAN : 545
Langues : Français (fre)
Résumé : Le soir du 13 juin 1886, au château de Berg, Louis II de Bavière et Von Gudden - l'un des psychiatres chargés de le surveiller - sortent pour une promenade au bord du lac. Ils n'en reviendront jamais. Louis II a entraîné le docteur sur le lac, l'a étranglé et s'est suicidé. Patchwork de scènes connues ou imaginaires de la vie du roi, traversé par de multiples personnalités célèbres, plus ou moins proches de ce grand monarque.
Distribution : 3H1F (5P), un enfant
La pièce de Jacques Josselin, qui ne semble pas avoir été jouée à ce jour (?) est l'un des documents étudiés dans une thèse de doctorat en langue et littérature françaises soutenue en 2014 à l'Université de Pau par la docteure Johanna Biehler (le pdf de cette thèse passionnante est actuellement entièrement accessible en ligne, il suffit d'en googler le titre pour y accéder). Nous en reproduisons quelques extraits, avec l'aimable autorisation de l'autrice à qui nous adressons ici nos plus vilfs remerciements.
LA MALADIE MENTALE DANS LES ÉCRITURES DRAMATIQUES CONTEMPORAINES
D’EXPRESSION FRANÇAISE : VERS UNE NOUVELLE CATHARSIS ?
Extrait 1
Josselin Jacques,
À Berg ce treizième jour…
La pièce comporte treize rôles, dont deux principaux (Louis II de Bavière et Richard Wagner). Un comédien est chargé de tous les autres personnages masculins (six en tout) et une comédienne joue les quatre personnages féminins. À cela il faut ajouter le jeune homme au masque. Louis II est enfermé au château de Berg après avoir été déclaré irresponsable. Son psychiatre von Gudden le réveille pour faire la promenade qui leur sera fatale. Passé et présent se mélangent dans l’esprit perturbé de Louis II, il pense à toutes les personnes qui ont marqué son existence : son ami Richard Wagner à qui il a consacré des sommes faramineuses, ses nombreuses amours (sa cousine Sissi, ses différents favoris)… Il désire vivre sa vie comme la représentation d’une pièce de théâtre qui ne finirait jamais et qui se donnerait dans l’un de ses châteaux fabuleux. Ses souvenirs sont remplis de ses obsessions : les oiseaux, les légendes allemandes, les monuments et l’histoire de France… Il a réussi à rompre ses fiançailles avec sa cousine Sophie. Il se détourne de plus en plus de la politique et a peur de devenir aussi fou que son frère Othon, interné en 1874. À la mort de Wagner, il commence à se retirer de la vie publique et à vivre la nuit. Il s’entiche d’un nouveau chanteur d’opéra. Von Gudden tente de forcer Louis à rentrer, la pluie commence à tomber et l’orage gronde. Le Roi-Cygne étrangle son médecin.
Jacques Josselin est un auteur prolifique qui a écrit un grand nombre de textes très différents : des pièces de théâtre, des livres illustrés pour la jeunesse, des romans, des bandes dessinées…
Extrait 2
Jacques Josselin a choisi de montrer les troubles du comportement de Louis II de
Bavière et ses conséquences à travers le recours au masque, [...]. La liste des personnages est
divisée en deux, la première partie est consacrée aux acteurs (ils seront cinq sur scène) et la seconde à la répartition des masques. Il y a deux rôles présents durant toute la représentation
(Louis II et Wagner) pour lesquels les acteurs ne changent pas, mais deux autres comédiens
(un homme et une femme) jouent tous les autres personnages identifiés par « un masque
d’oiseau différent porté quelques secondes », et cela sans compter les rôles du jeune garçon.
Ainsi, tous les opposants à la volonté du roi ont le même visage (celui du comédien), le
masque ne servant qu’à donner des repères au public. Dès que les spectateurs ont identifié le
personnage qui vient d’entrer sur scène, l’acteur ôte son masque.
Le titre de la pièce de Jacques Josselin nous indique qu’elle s’intéresse tout
particulièrement à la mort du roi et aux événements qui ont amené à son internement, c’est
donc logiquement le docteur von Gudden qui est le premier personnage masqué à entrer en
scène. Il est chargé d’évaluer la santé mentale du roi à la demande du prince Luitpold. Les
ministres sont très inquiets, le roi prenant des décisions en dépit du bon sens.
VON GUDDEN
— Sire, je vis ici la mission la plus épouvantable qu’on puisse imaginer… Quatre de mes
confrères aliénistes vous observent et leurs rapports sont formels… Vous êtes… Moi, je ne
peux encore me prononcer… Les autres disent que vous êtes fou. Le prince Luitpold, votre
oncle, a dû prendre la régence…
LOUIS II
— Pour combien de temps ? Oh ! Regardez… Il y a des mouettes noires sur le Starnberg, l’orage
va revenir…
VON GUDDEN
— Pour un an, sire. Le Prince a pris la régence pour un an. Au moins.
LOUIS II
— Nous ne sommes pas fou. Non ? Vous le savez bien. Le prince Luitpold est un rebelle .
Von Gudden se montre respectueux mais prudent à l’égard d’un roi aux réactions
imprévisibles qui voit par la fenêtre des « mouettes noires ». Louis II était connu pour exiger
de ses serviteurs qu’ils adoptent certaines attitudes et certaines postures en sa présence : ils ne
devaient pas regarder le roi et se mettre à genoux pour s’adresser à lui… L’acteur jouant (à ce
moment de la pièce) von Gudden pourra appuyer ses paroles à travers une gestuelle bien
précise qui, de plus, aidera les spectateurs à identifier l’aliéniste quand le personnage
reviendra plus tard dans la pièce.
La conduite fantasque du roi fait craindre pour l’avenir du royaume dans un contexte
politique troublé. L’obsession du roi pour Richard Wagner le détourne de sa fonction
politique, ce qui se confirme quand l’acteur porte le masque du ministre von Pfistermeister.
LOUIS II
— Baron, j’ai à vous entretenir d’une affaire qui ne peut souffrir aucun retard.
VON PFISTERMEISTER
(Se démasquant)
— C’est sans doute, Votre Majesté, de cette affaire compliquée du Schleswig-Holstein, les duchés de l’Elbe et le chancelier Bismarck…
LOUIS II
— J’ai déjà rencontré le chancelier Bismarck…
VON PFISTERMEISTER
— Ah…
LOUIS II
— Et c’est un homme très intéressant… Mais ce n’est pas cela que j’attends de vous, baron von
Pfistermeister…
VON PFISTERMEISTER
(Très troublé)
— Sire, je suis à la disposition de tout ce que…
LOUIS II
— Je vous demande simplement de retrouver, où qu’il soit, Richard Wagner.
Josselin prend soin de donner un contexte historique précis avec quelques noms aux
consonances très germaniques, mais il est évident que, même si le roi rappelle qu’il a déjà
rencontré Bismarck, cela n’éveille chez lui qu’un intérêt très limité. Son esprit est ailleurs, il a
besoin de Wagner. Si le ministre est venu consulter le roi pour des questions politiques, il
repart avec une toute autre mission. Là encore, l’avenir de la Bavière est incertain.
Dans l’extrait de la pièce de Jacques Josselin donné ci-dessus, la didascalie précise que
l’acteur ôte son masque pour incarner le ministre. Les masques ne doivent pas être des
masques humains, mais représenter des oiseaux, choisis pour leur adéquation avec la
personnalité qu’ils sont censés évoquer. Ceci donne aux accessoiristes une orientation
esthétique qui rappelle plutôt le masque vénitien, souvent orné de plumes, au détriment d’un
masque plus sobre. Le théâtre grec utilisait lui aussi le masque afin que le public identifie
aisément le personnage et cela quel que soit le genre dramatique : la comédie, le drame
satyrique, la tragédie. Le masque ne devait pas être perçu comme une gêne pour susciter la
catharsis.
Extrait 3
La scénographie de À Berg, ce treizième jour… représente :
" une “boîte à songes” – c’est donc l’intérieur d’un cube tendu de noir, du plafond au plancher –
à moins que ce ne soit une cellule matelassée, ou encore l’intérieur d’un crâne.
Sur le mur du fond, il y a les armoiries imaginaires de la Folie, faites de plumes ensanglantées
et d’oiseau qui palpitent encore et saignent.
Un immense cygne très théâtral, avec des ailes mécaniques, qui est à la fois monture, trône, lit
ou calèche. Et quelques sièges tarabiscotés qui entrelacent des becs d’oiseaux menaçants. "
Le décor suit le thème des oiseaux, tout comme les masques, et cette métaphore sera
aussi présente dans le texte : régulièrement les personnages évoquent des oiseaux merveilleux
comme des « mouettes noires » (déjà mentionnées plus haut) ou des « cigognes bleues ».
Cette fantaisie participe à la création, autour de Louis II, d’un univers fantastique où sa
volonté fait loi, loin de la bassesse du peuple bavarois qui préfère la bière au champagne…
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