La place du théâtre à Weimar au 19e siècle |
À la fin du mois de juin 1870 Franz Liszt conviait les dilettantes distingués et le gratin musical européenà Weimar où il avait organisé une semaine wagnérienne au cours de laquelle quatre opéras du Maître avaient été représentés. La capitale du Grand-Duché de Saxe-Weimar-Eisenach venait de célébrer trois semaines plus tôt le centenaire de Beethoven. La semaine wagnérienne débuta le 19 juin avec la représentation du Vaisseau fantôme. La presse française et belge en donnèrent des comptes-rendus.
Je vous propose aujourd'hui de découvrir ce qu'en écrivit le chroniqueur Pontis du Guide musical.
Le Guide musical des 16 et 23 juin 1870
WE1MAR, 20 juin 1870 .— Correspondance particulière. Depuis un mois environ, la petite ville de Weimar, une de ces tranquilles Residenzstadt allemandes qui cachent sous leur apparence morne et ennuyeuse une vie intellectuelle très-active, jouit d'une animation qui ne lui est guère habituelle ; des artistes, des dilettantes distingués venus de toute part afin d'assister aux fêtes musicales en l'honneur de Beethoven, qui ont eu lieu il y a trois semaines, y sont restés afin d'entendre les représentations modèles des œuvres du grand agitateur musical, Richard Wagner. Ces représentations ont commencé par le Vaisseau Fantôme, qui a été donné le dimanche 19 de ce mois.
La légende « du Fliegender Holländer » est relativement moderne ; elle n'est qu'une nouvelle forme de ce mythe éternel, l'aspiration ardente et incessante de l'âme battue par les orages de la vie, vers l'éternel repos. Tous les peuples l'ont chantée, et l'odyssée et le drame du Juif-Errant ont plus d'une ressemblance avec la terrible histoire du marin Hollandais.
Il serait trop long d'analyser ici le libretto ; en voici les traits principaux ; — le marin hollandais est condamné, par la malédiction céleste, à errer sans repos sur la mer en furie, jusqu'à ce qu'il trouve une femme, dont l'amour fidèle jus qu'à la mort, le sauve; cette femme il la rencontre dans la fille d'un marin Norvégien, Senta, douce et poétique figure.
La jeune fille connaît la légende du marin maudit; elle l'a vu en songe et a pris la résolution de le sauver, elle consent à devenir sa femme. Les noces vont avoir lieu; cependant la résolution de Senta est ébranlée par les reproches et les avertissements d'un jeune chasseur autrefois son fiancé ; elle hésite. Le Hollandais assiste à celte scène, et voit s'évanouir ses espérances de salut. Il dit adieu à Senta et fuit vers son navire qui s'éloigne au milieu de l'ouragan. Senta, prise d'un violent désespoir, se précipite à la mer, et accomplit ainsi la rédemption du maudit dont on voit le vaisseau s'engloutir. — Ainsi se termine le drame.
La partition du Vaisseau Fantôme, écrite vers 1840, manifeste déjà les qualités puissantes et géniales, le talent descriptif de Wagner ; c'est une œuvre relativement parfaite si on la compare au Rienzi. Dans le Vaisseau Fantôme, le compositeur a déjà rompu avec la convention banale, quoi qu'il soit encore bien éloigné des idées qui ont présidé à la conception de ces dernières œuvres. Les personnages vivent, et dès leur apparition leur caractère musical est fermement accentué, l'orchestre a acquis ce splendide coloris qui rend les œuvres de Wagner si profondément intéressantes pour les musiciens.
L'exécution a été admirable, l'orchestre et les chœurs ont réalisé des miracles de précision. Ces excellents résultats sont dus tout entier au talent hors ligne du Kappelmeister Edouard Lassen, auquel le public d'élite qui remplissait la salle du théâtre grand-ducal a fait une de ces ovations chaleureuses, qui font honneur en même temps au talent de l'artiste et à l'intelligence du public : le docteur Gunz, dans le rôle du chasseur Erik, et M. Scaria dans celui du marin norvégien, ont eu les honneurs de la soirée ; les artistes du théâtre de Weimar aux quels les autres rôles étaient confiés, ont été à la hauteur de l'interprétation générale.
L'abbé Liszt a reçu chez lui la plupart des musiciens et dilettantes étrangers qui se trouvent en ce moment à Weimar. Naturellement on a fait de la musique et de la très bonne musique ! Le pianiste, Louis Brassin et Mme Hanna Sternberg se sont fait entendre et ont eu un grand succès, rendu plus méritoire encore par le choix exceptionnel de l'auditoire.
Le même Guide musical consacrait encore quelques lignes à la célébration du centenaire de Beethoven :
Il y a quelques jours une grande fête musicale a été célébrée, sous la direction de Liszt, à l'occasion du centenaire de Beethoven. Le morceau de résistance du programme était la fameuse messe solennelle en ré. Une ouverture composée exprès pour la circonstance, par Edouard Lassen, sur des motifs de Beethoven, a obtenu un grand succès. Le compositeur a été rappelé trois fois après l'exécution de son œuvre. Une ovation enthousiaste a été décernée à Liszt. A son apparition au pupitre, l'éminent artiste a été littéralement couvert de fleurs.
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