Aglaé et Boniface par Alexandre Cabanel
Au milieu d'une vie de désordre. Aglaé et Boniface,
las des voluptés mondaines, rêvaient aux nouvelles vérités du Christianisme,
dont la grâce divine pénétrait leur âme
Dicton : Saint Boniface brise la glace.
Plusieurs personnages historiques répondant au prénom de Boniface ont été proclamés saints ou bienheureux. Le saint de glace à la bonne figure (dont le nom de baptême d'origine latine bonifacius = qui a bonne figure, ou plutôt bonifatius = qui a un bon destin) que l'on fête le 14 mai a vécu au 4e siècle et fut le régisseur et l'amant d'une grande dame, une matrone romaine répondant au doux prénom d'Aglaé.
J'entends déjà les murmures des croyants et les questions qui fusent : peut-on être saint et amant à la fois ?
Rassurons-nous tout de suite, il ne faut pas être vierge pour être martyre ! La matrone patronne se convertit et convertit Boniface à son tour et tous deux devinrent de bons chrétiens. La tradition veut que saint Boniface ait été martyrisé à Tarse lors d'un pèlerinage demandé par Aglaé. Les deux esclaves qui l'accompagnaient ramenèrent sa tête à Rome qui fut ensevelie dans un oratoire sur la via Latina où Aglaé venait souvent se recueillir.
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L'histoire de Boniface et d'Aglaé n'a pas manqué d'intéresser les journaux de la laïcité française anticléricale pur jus. Ainsi de la Lanterne de Boquillon du 17 septembre 1882 qui la relate d'une manière absolument irrévérencieuse et méconnaît que la confession d'un repentir sincère lave les péchés les plus scandaleux et a donné des saints et des saintes illustres dont Sainte Marie Madeleine est le premier exemple sublime :
" Vers le commencement du IVe siècle il y avait à Rome, entre autres filles de joie, une jeune personne nommée Aglaé, demoiselle fort riche, qui faisait exécuter à sa vertu les cascades les plus extravagantes.
Elle avait pris pour amant principal son intendant, qui s'appelait Boniface, jeune homme pourvu d'une brillante collection de vices, parmi lesquels l'ivrognerie tenait le premier rang. Tous deux étaient cependant chrétiens, mais leurs sentiments religieux ne les empêchaient pas de se vautrer comme porcs dans un véritable bourbier d'orgies.
Un beau jour, la belle Aglaé, saoule de plaisirs et rassasiée de débauches, ouvrit les yeux sur la malpropreté de sa conduite, fit une pénitence sérieuse, et résolut de passer le reste de ses jours dans le repentir et les gémissements. Boniface, de son côté, suivit l'exemple de sa maîtresse et devint, ma foi, une personne très convenable.
Quelque temps après, la fille Aglaé, sachant qu'une persécution se pratiquait en Orient contre les chrétiens, conçut la fantaisie d'avoir dans sa collection de bibelots curieux quelques reliques de martyrs un peu plus authentiques que celles que l'on soumet aujourd'hui à la vénération des bonnes gens : le résultat de cette fantaisie fut qu'elle pria l'ami Boniface d'aller lui chercher des restes de saints jusqu'en Asie Mineure.
Boniface, docile aux prières d'Aglaé, s'en fut donc en Asie Mineure, où il arriva juste à temps pour se trouver en présence d'un tas de saints que l'on venait de livrer au martyre.
Au lieu de choisir dans le tas ce qui pouvait lui convenir comme reliques, il fit mille extravagances, si bien qu'il fut arrêté à son tour et condamné à être trempé dans une chaudière d'huile bouillante. Mais Boniface, qui savait qu'il n'avait qu'un signe de croix à faire pour éviter d'être cuit à l'huile, dessina vivement le signe avec sa main droite, et aussitôt la chaudière fut toute disloquée et l'huile répandue sur les pieds des bourreaux.
Offusqué d'une pareille conduite, le directeur du supplice fit tout de suite couper la tête à Boniface, et ce dernier se laissa bêtement faire ; ce qui ne s'explique pas du tout, puisqu'il n'avait qu'un mauvais signe de croix à tracer dans l'air pour vaincre sas bourreaux, comme il avait déjà vaincu l'huile bouillante. Mais nous savons qu'il ne faut pas examiner de trop près les actes des saints, si l'on veut qu'il reste des saints sur le calendrier. "
Ainsi saint Boniface le Régisseur a-t-il perdu deux fois sa tête : une première fois en se la laissant tourner par sa patronne et une seconde en subissant le martyre.
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Icône contemporaine |
À ce type de récit irrévérencieux on préférera peut-être une version digne de recevoir l'imprimatur et dans laquelle nihil obstat ! Ainsi cet extrait d'une monographie anonyme intitulée Sainte Maxime, saint Boniface et saint Donat, imprimée en 1863 à Draguignan :
SAINT BONIFACE
Il y avait à Rome, vers le commencement du quatrième siècle, une femme nommée Aglaé, jeune, belle et d'une naissance illustre. Ses richesses étaient si grandes, qu'elle avait donné trois fois les jeux publics à ses dépens. L'amour désordonné du monde avait porté la corruption dans son cœur, et elle entretenait un commerce criminel avec Boniface, son principal intendant.
Cet homme était adonné au vin et à toutes sortes de débauches; mais il avait de bonnes qualités, l'hospitalité, la libéralité, la compassion. S'il voyait un étranger ou un voyageur, il le servait avec beaucoup de cordialité ; La nuit il allait par les places et les rues, et procurait aux pauvres tous les secours dont ils avaient besoin.
Enfin Aglaé, touchée de la grâce, et pénétrée de componction, appela un jour Boniface, et lui dit :
—Tu sais dans quel abîme de crimes, nous nous plongeons, sans penser que nous paraîtrons devant Dieu pour lui rendre compte de nos actions. J'ai ouï-dire que si quelqu'un honore ceux qui souffrent pour le nom de Jésus-Christ, il aura part à leur gloire, j'ai appris aussi que les serviteurs de Jésus-Christ combattaient en Orient contre le démon, et qu'ils livraient leurs corps aux tourments pour ne pas renoncer à la religion qu'ils professent. Va donc, et nous apporte des reliques de quelques-uns de ces saints athlètes, afin que nous puissions honorer leur mémoire, et être sauvés par leur intercession.
Boniface se dispose aussitôt à obéir : il prend des sommes considérables, tant pour racheter des bourreaux les corps des martyrs, que pour assister les pauvres. Etant sur le point de partir, il dit à Aglaé: « Si je peux me procurer des reliques, je ne manquerai pas d'en porter : mais si on apportait mon corps pour celui d'un martyr, le recevriez-vous ? » Aglaé regarda ces paroles comme une plaisanterie , et en reprit celui qui les avait proférées.
Cependant Boniface se mit en route; mais sa conversion n'était point encore parfaite. Toutefois pénétré de componction, il ne voulut ni manger de viande, ni boire de vin pendant tout le voyage. Il joignait à ses jeûnes, des prières, des larmes et d'antres œuvres de pénitence.
L'Église d'occident jouissait alors d'une paix profonde ; mais celle d'orient était en proie à la persécution qu'avait commencée Dioclétien, et que Maximien-Galère et Maximin-Daïa continuaient avec la plus grande cruauté. C'était surtout dans la Cilicie, qui avait Simplicius pour gouverneur, que les chrétiens se voyaient en butte à la rage des persécuteurs. Tarse, capitale de cette province, fut le lieu où Boniface dirigea ses pas. Dès qu'il y fut arrivé, il envoya ses domestiques avec ses chevaux dans une hôtellerie, et se rendit chez le gouverneur, qu'il trouva assis sur son tribunal. Là , il vit un grand nombre de martyrs dans les tortures. L'un était pendu par un pied, et avait du feu sous la tête ; un autre était attaché à des pieux extrêmement écartés ; les bourreaux en sciaient un troisième ; un quatrième avait les mains coupées ; un cinquième avait un pieu enfoncé dans la gorge, et était ainsi cloué à terre ; un sixième avait les pieds et les mains renversés et attachés par derrière, et les bourreaux le frappaient à coups de bâton. Les chrétiens que l'on tourmentait de cette cruelle manière, étaient au nombre de vingt ; mais tandis que leur supplice, glaçait d'effroi les spectateurs, ils souffraient avec une tranquillité inaltérable.
Boniface s'approcha généreusement des martyrs, puis les ayant embrassés, il s'écria : « Qu'il est grand le Dieu des chrétiens ! Qu'il est grand le Dieu des saints martyrs ! Priez pour moi, serviteurs de Jésus-Christ, afin qu'étant réuni à vous, je combatte aussi contre le démon. » Le gouverneur, qui se crut insulté par une action aussi hardie, fut transporté de rage, et demanda à Boniface qui il était. Celui-ci répondit qu'il était chrétien, et que les tourments ne pourraient lui faire renier Jésus-Christ son divin maître. Simplicius ordonna qu'on aiguisât des roseaux, et qu'on les lui enfonçât sous les ongles des mains. Ceci ayant été exécuté , il lui fit verser du plomb fondu dans la bouche. Boniface, après avoir imploré le secours de Jésus-Christ, s'adressa aux autres martyrs qui étaient expirants, pour leur demander l'assistance de leurs prières. Tant de cruautés attendrirent le peuple, et excitèrent son indignation. Il se mit à crier en tumulte : « Qu'il est grand le Dieu des chrétiens ! » Le gouverneur effrayé se retira.
Le lendemain, il s'assit sur son tribunal. et se fit amener Boniface. Le martyr continua de confesser sa foi, sans qu'aucune menace pût l'ébranler. Ayant été jeté dans un vase rempli de poix bouillante, il en sortit sans être endommagé. Enfin, il fut condamné à perdre la tête. Lorsque la sentence eut été prononcée , il pria quelque temps pour la rémission de ses péchés et pour la conversion de ses persécuteurs. Sa prière finie, il présenta la tête aux bourreaux , et reçut le coup de la mort.
Cependant les compagnons de Boniface voyant qu'il ne venait point à l'hôtellerie, le cherchaient par toute la ville. Dans le cours de leurs perquisitions, ils apprirent du frère du geôlier que la veille un étranger avait été décapité pour la religion chrétienne. Lorsqu'ils eurent vu son tronc et sa tête, ils assurèrent que c'était celui-là même qu'ils cherchaient. Ils achetèrent son corps cinq cents pièces d'or, l'embaumèrent, et l'emportèrent à Rome avec eux, louant Dieu de l'heureuse fin du saint martyr. Le triomphe de saint Boniface arriva vers l'an 307.
Aglaé, instruite de tout ce qui s'était passé, rendit grâces à Dieu de la victoire qu'il avait accordée à son serviteur. Ayant pris avec elle de pieux ecclésiastiques, ils allèrent ensemble, avec des flambeaux et des parfums , au-devant des saintes reliques, qui furent mises à cinquante stades de Rome sur le bord de la voie Latine. Aglaé éleva en cet endroit un tombeau, et quelques années après . un oratoire ou une chapelle.
En 1803, on découvrit à Rome les reliques de saint Boniface et celles de saint Alexis, dans l'Église qui portait anciennement le nom du premier de ces saints, et qui porte présentement le nom du second; elles sont sous le grand autel dans deux riches tombeaux de marbre.
Pour Aglaé, elle passa le reste de ses jours dans la retraite et la pénitence ; elle vécut encore quinze ans, et fut enterrée auprès des reliques du saint martyr.
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