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vendredi 22 mai 2020

Anniversaire de Richard Wagner. En mai 1869, Cosima invitait le quatuor Maurin à Lucerne.

   Heureux anniversaire Maestro. Vous auriez eu 207 ans aujourd'hui ! Pour fêter votre anniversaire, nous avons fait quelque recherche sur une de vos fêtes d'anniversaire les plus célèbres, celle du 22 mai 1869.

  En 1869, Richard Wagner résidait à Tribschen, près de Lucerne. Sa compagne Cosima fit venir spécialement de Paris le célèbre quatuor Maurin pour célébrer dignement l'anniversaire de son seigneur et maître. Le 21 avril 1869 elle avait écrit une lettre à Charles Nuitter pour lui demander s'il pourrait convaincre le quatuor Maurin de se rendre à Lucerne pour y jouer le 22 mai un ou plusieurs des  derniers quatuors de Beethoven. Mais pourquoi s'était-elle donné cette peine et avait-elle engagé pour ce faire des frais sans doute considérables, que sait-on du quatuor Maurin ? Le 4 avril 1867, le Courrier musical de Paris lui consacrait un article qui permet de répondre quelque peu à cette question :

LE QUATUOR MAURIN

   N'ayant pas assez d'espace pour rendre compte dans ce numéro des nombreux concerts donnés par les musiciens ambulants qui inondent Paris chaque hiver, nous nous bornons à dire ici quelques mots de la société Maurin et Müller, société qui donne régulièrement, pendant la saison musicale, les six séances réglementaires de quatuors à la salle Pleyel, séances qui, comme ou sait, étaient d'abord consacrées exclusivement à l'audition des dernières œuvres de Beethoven; sa fondation avait coûté des peines infinies à M. Chevillard, qui, pendant plus.de quinze ans, chercha le violoniste inspiré à qui il pût décemment mettre dans les mains ce pandémonium du cosmos musical.
   Son choix s'était enfin porté sur M. Maurin (1), élève de l'illustre Baillot et violoniste habile, plein de fougue et de passion. Peu de virtuoses savent aussi bien que M. Maurin attaquer la corde avec cette franchise et cette passion si nécessaires dans les dernières œuvres du grand homme. Malheureusement, M. Maurin est fort quinteux : quand il a ses nerfs, le son qu'il tire de l'instrument est insupportable ; en revanche, quand il est bien disposé, peu de virtuoses pourraient l'égaler. Cette malheureuse intermittence d'inspiration a forcément fait reléguer M. Maurin dans la seconde catégorie des hommes remarquables qui ont brillé et brillent encore sur ce roi des instruments. Il est juste néanmoins de dire que, parmi ceux dont la supériorité est incontestable, aucun ne l'égale en intelligence.
   Les dernières œuvres de Beethoven exigent, en effet, un ensemble de qualités qui se rattachent principalement à la nature de celui qui veut les interpréter, et qui ne sauraient être acquises par l'étude. Le virtuose, ici, doit s'effacer devant l'homme ; les traits âpres et difficiles qui forment le style des dernières œuvres de Beethoven ne peuvent en effet être l'objet de l'étude habituelle des virtuoses sur cet instrument ; aussi s'explique-t-on la difficulté qu'eut M. Chevillard à trouver un artiste qui, comme lui pût entrer aussi profondément dans la pensée du maître,
   Par quelle suite de circonstances ces deux hommes, qu'une intimité nécessaire avait liés d'amitié, sont-ils arrivés à briser brusquement leurs relations et à rompre ainsi une société devenue si nécessaire avec le développement extraordinaire de la musique dans nos mœurs ? Il est difficile de le dire... La société Maurin et Chevillard était à Paris la seule qui eût ce grand attrait d'offrir au public des œuvres exceptionnelles; d'une exécution fort difficile, liant, le passé à l'avenir, devançant le présent et ouvrant au jeune compositeur les horizons futurs de la musique au point de vue du développement libre de la pensée.

   On le comprend par cet article, le quatuor Maurin-Chevillard avait été dissous. Pour 1869, il convient de parler du quatuor Maurin, qui comportait outre Maurin les instrumentistes Colblain, Mas et Demunck.

   Richard Wagner avait eu l'occasion d'entendre à Paris en octobre 1853 les derniers quatuors de Beethoven exécutés par le quatuor Maurin-Chevillard, qu'il appréciait énormément (cfr Ma Vie). Peut-être eut-il par la suite l'occasion de les réentendre à plusieurs reprises entre 1859 et 1861. En date du 31 mars 1865, il évoqua les quatuors de Beethoven en louant le travail de Murin et Chevillard dans son rapport à Louis II de Bavière sur la fondation d'une école allemande de musique à Munich :
   « Ces derniers quatuors de Beelhoven. qui, en fin de compte, sont considérés, dit-il, par la majorité des musiciens allemands, comme tout à fait problématiques, sont depuis longtemps exécutés à Paris à la perfection par une société de musiciens français ; ce résultat, ces artistes le doivent au zèle consciencieux que, pendant des années, ils appliquèrent uniquement à leur tâche, et qui, guidés par un sentiment très sûr, tendait exclusivement à l'acquisition d'un mode d'exécution exact et adéquat la substance mélodique de ces œuvres si difficilement intelligibles en apparence. Ils ne croyaient pas en avoir fini avec la phrase ou la mesure la plus insignifiante, tant qu'ils n'étaient point parvenus à s'approprier cette substance mélodique en découvrant la technique d'exécution convenable, et, le résultat vraiment frappant de tout cela, c'est que tel morceau qui passait pour torturé et indigeste semble tout à coup couler avec tant de grâce et de mélodie que le public le plus naïf est incapable de comprendre pourquoi ces compositions ont paru moins intelligibles que d'autres. Voilà un triomphe dont nous né devrions pas laisser plus longtemps le mérite aux musiciens français. »

   Cosima savait combien son compagnon appréciait cette musique et aurait aimé la réentendre, c'est ce qui l'anima à lui faire la surprise d'une audition privée pour célébrer avec éclat son cinquante-sixième anniversaire. De là sa correspondance avec Charles Nuitter, dont voici trois lettres (qui seraient conservées aux archives de l'Opéra à Paris) :

Monsieur,

   J'espère que vous ne serez pas trop surpris si je m'adresse à vous pour vous prier de faciliter à plusieurs des amis de M. Wagner une surprise qu'ils voudraient lui faire pour sa fête (22 mai). Il s'agirait de demander au quatuor Morin [sic] s'il pourrait être ce jour à Lucerne et à quelles conditions il ferait au maître la très grande joie de lui jouer un ou plusieurs des derniers quatuors de Beethoven. Comme parmi les amis qui ont eu l'idée de faire ce plaisir au maître Il n'y a pas un seul Crésus, j'ai pris sur moi de m'informer, et c'est à vous monsieur, que je prends la liberté de m'adresser, sachant par M. Wagner combien vous lui êtes dévoué. Il me serait agréable naturellement qu'il ne fut point question dans la presse de cette petite fête musicale.
   Si vous avez la grande bonté, monsieur, de parler à M. Morin, je vous serais obligée de me faire savoir ta réponse poste restante Lucerne.
   En attendant, recevez monsieur, ta réitération de mes excuses et l'expression de ma considération distinguée,

                                                                                       C. de Bulow, née Liszt.
                                                                                       21 avril 1869. 

Monsieur,

     Je vous suis infiniment obligée d'avoir bien voulu prendre la peine de parler à M. Morin, et d'avoir si promptement avancé notre petite affaire. Peut-être les autres artistes du quatuor comprendraient-ils plus aisément la proposition qui leur est faite si on leur faisait savoir que le maître n'a jamais voulu entendre les derniers quatuors de Beethoven en Allemagne, depuis qu'il les a entendu exécuter par le quatuor Morin dont il nous a toujours dit qu'il lui avait facilité la compréhension de ces œuvres merveilleuses. Pour ce qui est du prix, je conçois parfaitement que c'est un point difficile à toucher, cependant il faudrait bien qu'il fût éclairci, je crois. Il s'entend de sol que les frais de voyage et de séjour seraient à notre compte ; ce point n'a donc pas besoin d'être touché, mais la séance même ?
   Puisque vous avez eu la grande bonté de vous charger de cette négociation je m'en remets entièrement à vous, monsieur, pour la faire réussir. Nous désirons vivement faire cette surprise à notre ami, lequel est entièrement privé de musique à Lucerne, et qui n'en veut entendre que d'excellente, cela se comprend.
   Recevez, monsieur, la réitération de mes remerciements et l'assurance de ma considération distinguée et dévouée.

                                                                                         C. de Bulow.
                                                                                         Lucerne, 26 avril 1869.

Monsieur, 

   Je ne vous cache pas qu'il y a eu une sorte de consternation dans notre petit monde, les musiciens allemands étant fort petites gens, cependant comme on avait résolu de fêter le maître coule que coûte, j'ai été priée d'engager le quatuor. A la demande un peu naïve s'il y avait moyen de régler la question pour 1,500 francs, j'ai répondu qu'il était difficile, pour ne pas dire impossible, de marchander, En disant à M. Maurin que ces chiffres sont acceptés, peut-être trouveriez-vous l'occasion, monsieur, de lui glisser un mot des conditions de la petite société ; mais si cette occasion ne se trouve pas, veuillez simplement prier ces messieurs d'être à Lucerne le 21 au soir. Je les ferai recevoir à la gare et les escorter à l'hôtel du  Lac, et le lendemain matin je tes ferai prendre en voiture pour Tribschen. Le quatuor désiré avant tout serait celui en mi [bémol majeur œuvre 12; mots biffés] naturel mineur quatuor VIlll ;
   2° Celui en ut dièse mineur quatuor XIV ;
   3° En la majeur quatuor 15, œuvre 132.
   Veuillez, monsieur, ne pas perdre patience et ma prêter votre obligeant concours jusqu'à la fin.
   A t'expression de mes remerciements les plus vifs, se joint cette de ma considération distinguée et dévouée.
                                                                                            C. de Bulow.
                                                                                            Lucerne, 4 mai 1869.

P.-S. Puisque M. Maurin avait compté trois jours de séjour, je crois qu'il ne faut plus toucher cette question.

   Le 22 mai 1869, le programme fut finalement composé des quatuors en mi mineur, la mineur et ut dièse mineur (op. 133, 132 et 131). Glasenapp relate que Wagner en fut « ravi au-dessus de toute chose terrestre ». Le roi Louis II de Bavière lui envoya un télégramme pour lui adresser ses meilleurs voeux. Edouard Schuré rendit visite au Maître le lendemain. Puis ce fut au tour de Nietzsche d'arriver à Tribschen. Le 6 juin, Cosima donna le jour à leur fils Siegfried. En juillet, les époux Serov, Catulle et Judith Mendès et Villiers de l'Isle-Adam vinrent séjourner à Lucerne pour y rencontrer Wagner. À Munich avaient lieu les préparatifs de la création du Rheingold... 

   Il est probable que cette belle audition inspira en partie les pages que Wagner devait un peu plus tard consacrer à Beethoven.

(1) Le violoncelliste Pierre-Alexandre Chevillard (1811-1877) avait constitué en 1852 avec le violoniste Jean-Pierre Maurin (1822-1894) le quatuor Maurin-Chevillard, très célèbre à l'époque, également connu sous le nom de Société des derniers quatuors de Beethoven.
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Les Mendès, Villiers, Édouard Schuré et les Serov se retrouvèrent à Munich en 1869 pour la création du Rheingold de Wagner. Les événements de Tribschen et ceux de Munich sont au coeur de notre livre Les Voyageurs de l'Or du Rhin, que je vous invite à découvrir, si ce n'est déjà fait.


ISBN : 9782322102327

Pour en lire la préface, cliquer ici, puis sur lire un extrait.

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