Auguste Renoir, Richard Wagner en 1882
Huile sur toile - H. 51,3 ; L. 44,7 cm. @ avec cadre H. 69,5 ; L. 61
cmmusée d'Orsay, Paris, France ©photo musée d'Orsay / rmn
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Le texte de présentation du Musée d'Orsay
Historique
- collection Robert de Bonnières
- collection Crombez, Tournai
- de 1925 à 1932, dans la collection Jules Strauss
- 1932, vente Jules Strauss, Paris, Galerie Georges Petit, 15 décembre 1932, n°78
- de 1932 à 1947, dans la collection Alfred Cortot
- 1947, accepté par l'Etat à titre de donation sous réserve d'usufruit Alfred Cortot-Clotilde Bréal au musée du Louvre
- 1947, attribué au musée du Louvre, Paris
- de 1963 à 1986, musée du Louvre, galerie du Jeu de Paume, Paris
- 1986, affecté au musée d'Orsay, Paris
Notice
Amateur passionné de musique, Renoir est en France l'un des premiers admirateurs de Wagner. Au début de l'année 1882, alors qu'il voyage dans le sud de l'Italie, le peintre a l'occasion de se rendre à Palerme où séjourne Wagner. Après deux essais infructueux, Renoir est enfin introduit auprès du "maestro" qui, la veille, a mis la dernière note à son Parsifal.
Le déroulement de cette rencontre nous est bien connu grâce à une lettre de Renoir à l'un de ses amis, datée du 15 janvier 1882. Wagner se montre très aimable. L'alcool aidant, les deux hommes conversent à bâtons rompus pendant plus de trois quarts d'heure avant que Renoir ne se voie proposer une courte séance de pose pour le lendemain. Il a relaté cette seconde rencontre ainsi dans sa lettre : "Il a été très gai, mais très nerveux [...]. Bref, j'ai, je crois, bien employé mon temps, 35 minutes, ce n'est pas beaucoup, mais si je m'étais arrêté avant, c'était très beau, car mon modèle finissait par perdre un peu de gaieté et devenir raide. J'ai trop suivi ces changements. [...] A la fin Wagner a demandé à voir il a dit Ah ! Ah ! Je ressemble à un prêtre protestant ce qui est vrai. Enfin j'étais très heureux de n'avoir pas fait trop four : il y a un petit souvenir de cette tête admirable".
Vingt ans plus tard, le critique d'art Julius Meier-Graefe revient sur ce "petit souvenir" : "c'est un document remarquable. Il nous révèle certains côtés de Wagner avec une psychologie étonnante presque impitoyable. On ne saurait dire jusqu'à quel point le peintre en avait conscience : quoi qu'il en soit, le tableau nous prouve combien l'artiste se sentait libre en face de l'objet de son admiration".
ECHOS DE LA PRESSE FRANÇAISE
La vente Strauss du 15 décembre 1932. Un article du Ménestrel.
Nous empruntons cet extrait à un article que Raymond Bouyer publia en 1933 dans le Ménestrel pour commémorer le 50ème anniversaire de la mort du compositeur.
" [...] les dates ont au plus haut degré l'éloquence des chiffres. Et celle-ci me fait mieux comprendre pourquoi le vieux Richard Wagner apparaît si pâle, si blême, si veule, ce puissant entre tous les forts, dans le petit portrait acquis pour la bagatelle de 257.000 francs [sur une demande de 250.000 francs], le 15 décembre, à la grande vente Jules Strauss, par le maître Alfred Cortot...
WAGNER PEINT PAR RENOIR.
Un article de Raymond Escholier dans La Dépêche du 28 février 1932.
Raymond ESCHOLIER.
L'avis de Gauguin sur le portrait de Wagner par Renoir
— « Petit souvenir d'une tête admirable», écrivait simplement, dans une longue lettre familière, son peintre, Auguste Renoir, qui l'avait brossé de verve en quelques heures à Palerme, les 14 et 15 janvier 1882... Et le Tondichter, qui n'a plus que treize mois à vivre, n'est pas plus satisfait de son portrait, le seul de ses portraits peint d'après nature, que Puvis de Chavannes ne le sera de son buste en bronze par son grand et loyal ami Rodin... Wagner, en cette image rapide, se trouve vraiment « trop pasteur protestant »...
— Il y a du vrai dans cette boutade...
— Mais cette évocation n'aspire nullement au majestueux honneur de passer, comme eût dit l'érudition de Péladan, pour un « portrait iconique » ; elle note seulement l'image fugitive du génie fatigué qui termine la musique de son Parsifal dans la splendeur sicilienne, sympathique à la divine lumière, printanièrement mouillée, de la Blumenau: le génial reclus, qui travaille encore, ne mange pas, ne dort plus. De là, cette pâleur d'un visage autrefois sanguin. Lenbach avait retenu le novateur autoritaire, au profil de magicien ; Renoir a vu plus vite le vieillard pâle au vaste front lumineux : L'un peignait l'idéal, et l'autre le réel ...
— Deux aspects de l'artiste-penseur par excellence, et qui n'en est pas moins homme ! Pâleurs ou défaillances, ce côté très humain, loin de lui nuire, complète la sublime image que nous gardons de son âme « despotique » et souveraine comme son art.
— Illustrée par son dernier portrait, cette commémoration du cinquantenaire de sa mort ne vient-elle pas fort à propos pour nous permettre de définir la haute idée que nous conservons de sa puissance universelle, après un demi-siècle de vie posthume dans la mémoire des amoureux d'art supérieur et de noble poésie? De cet homme unique en son genre et qui fut, décidément, le plus grand génie de ce XIXe siècle moins « stupide » que fécond, [...] "
Source: Bouyer, Raymond, Pour le cinquantenaire la la mort de Richard Wagner, in Le Ménestrel du 10 février 1933.
Une réplique
De ce tableau existait (ou existe toujours) au moins une réplique, comme en atteste ce texte du Catalogue raisonné de la collection Chéramy (p.112) :
" [...] Signé en haut, à droite: ,,93, Renoir".
Réplique du portrait de Richard Wagner peint à Palerme pendant l'hiver de 1881-1882 et naguère en possession de M. R. de Bonnières. J. Meier-Graefe dans son Entwicklungsgeschichte der modernen Kunst, t. I, page 202, note 1, raconte ainsi l'histoire de ce portrait: "C'était peu après l'achèvement de Parsifal. Outre Renoir, un autre peintre allemand convoitait de peindre le maître. Wagner se rendit au désir du peintre français, mais à condition que la séance de pose ne durerait pas plus de vingt minutes, et, de fait, Renoir ne mit pas plus de temps à peindre ce portrait." Wagner trouva, en plaisantant, qu'il lui avait fait la tête d'un pasteur protestant. [...]
Cette copie aurait été une commande d'Auguste Chéramy (1840-1912) à Wagner.
Cette copie aurait été une commande d'Auguste Chéramy (1840-1912) à Wagner.
Un article de Raymond Escholier dans La Dépêche du 28 février 1932.
Je regardai l'autre jour, chez Alfred Cortot, l'admirable esquisse faite en Sicile par Renoir, d'après Richard Wagner. Comme le grand virtuose ne m'a pas demandé le secret, je puis révéler ici que ce chef-d'œuvre, payé tout récemment par lui, à la vente Jules Strauss, un prix très élevé, enrichira un jour — le plus tard possible — l'un de nos musées, car Alfred Cortot est décidé à le léguer au public parisien..
« C'est assurément une des merveilles de l'art impressionniste, me disait Cortot ; mais, à parler franc, au temps de ma jeunesse, si influencée par Tristan et Parsifal, ce n'est pas ainsi que je me représentais le vieux sorcier qui reforgea l'anneau des Nibelungen. Je le devinais autrement énergique, satanique, et pour tout dire romantique. Mais voyez : ces bleus, ces blonds, ces roses, quelle magie de couleurs et quelle sérénité! Je m'y suis laissé prendre... »
Alfred Cortot a eu raison d'être séduit. Cette éblouissante esquisse l'emporte, et de très loin, sur le portrait peint par Renoir quatre ans plus tard, et qui figure aujourd'hui au musée de l'Opéra. Quant à ce témoignage de sérénité. notez qu'il correspond très exactement au portrait écrit par Gabriel d'Annunzio, dans Le Feu.
L'hôte du palais Vendramin à Venise, lui aussi, semble avoir atteint cette douce lumière, cette lumière heureuse de la gloire, que connut Hugo. avant de s'éteindre.
Dans l'ouvrage qu'il vient de consacrer à Wagner, Guy de Pourtalès a tracé la physionomie la plus fidèle du maître de Bayreuth, tel qu'il était à Naples et en Sicile, lorsque Renoir l'y rencontra.
« Wagner, en Italie, y sentait plus profondément qu'ailleurs le peuple, les passions, la lumière. la beauté des femmes, les vers des poètes. Ce qui lui manquait le moins, c'était sa musique. Il ne travaillait plus du tout à Parsifal. Entouré sa famille et de quelques amis nouveaux, il jouissait avec simplicité du plaisir de vivre... On faisait ensemble des excursions. On visita Amalfi ; puis, en caravane et à dos d'âne, Ravello, où l'on découvrit le vieux palais Raffoli, de style mauresque, dont les, colonnes de marbre, la chapelle enterrée sous le lierre et le large escalier conduisant à un parterre de roses fit s'écrier Wagner : « J'ai trouvé le Jardin de Klingsor! »
C'est ce magicien voluptueux et charmé qu'a peint Renoir avec ses vives, ses plus fraîches, ses plus joyeuses couleurs.
L'avis de Gauguin sur le portrait de Wagner par Renoir
Gauguin aimait évoquer le souvenir très cher d'une exposition : « Devant une peinture, j'entends d'étranges mélodies. Une tête de docteur, très pâle dont les yeux ne vous fixent pas, ne regardent pas mais écoutent. Je lis le catalogue et vois que c'était Wagner peint par Renoir. Ceci se passe de commentaires. »
L'article exhaustif du Mercure de France du 1er février 1933
Wagner et Renoir.
A propos d'une vente récente, dans laquelle figurait le portrait de Wagner par Renoir, peint en 1882, il a été émis par-ci par-là, dans la presse, quelques inexactitudes qu'il n'est peut-être pas inutile de rectifier, d'après un récit contemporain.
Treize mois après que Renoir eut fait ce portrait, le 15 janvier 1882, Wagner mourait à Venise, et son futur biographe Adolphe Jullien, à la fin d'un feuilleton du Français, du 5 mars 1883, rappelait en ces termes la visite du peintre français à l'auteur de Parsifal :
" Tous les témoignages en font foi Wagner, comme homme, était très affable et de relations charmantes, même à l'égard des Français. Le peintre Renoir, voyageant l'année dernière en Italie et sachant que jamais Wagner n'avait voulu poser devant aucun peintre, espérait fort peu faire le portrait du maître. Il s'était pourtant muni d'une lettre d'introduction perdue en route, et le premier individu qui le reçut fut précisément le peintre russe Joukovski. Comme Renoir lui exprimait le but de sa visite, il avoua de son coté qu'il suivait depuis deux ans Wagner afin de faire son portrait. « Mais restez, dit-il; ce qu'il me refuse à moi, il peut vous l'accorder et quand même, vous ne pouvez partir sans le voir. Renoir resta et fit bien. Mais écoutez-le parler; c'est un vrai tableau que ce récit familier, fait par lettre à un ami, de sa visite à Wagner :
« J'entends un bruit de pas assourdi par les épais tapis. C'est le maître avec son vêtement de velours à grandes manches doublées de satin noir. Il est très beau et très aimable. Il me serre la main, m'invite à me réasseoir et alors commence une conversation des plus insensées, parsemée de ah, de oh, moitié français, moitié allemand, avec des terminaisons gutturales. Je suis bien content (ah ! oh ! et un son guttural). Vous venez de Paris? Non, je viens de Naples ; et je lui raconte la perte de ma lettre, ce qui le fait beaucoup rire. Nous parlons de tout. Quand je dis nous, je n'ai fait que répéter « Cher maître, certainement, cher maître ! » Et je me levais pour m'en aller. Alors, il me prenait les mains, me refourrait dans mon fauteuil « Addendez encore un peu; ma femme fa fenir. »
Bref, Wagner, entraîné par la gaieté du peintre parisien qui l'amuse, offre de poser le lendemain une demi-heure, à la fois pour le peintre russe et pour le français : celui-ci le prendra de face et celui-là de dos.
« ... Le lendemain, j'étais là à midi ; vous savez le reste. Il a été très gai, moi très nerveux et regrettant de n'être pas Ingres. Bref, j'ai, je crois, bien employé mon temps. 35 minutes ce n'est pas beaucoup. Mais si je m'étais arrêté avant, c'était très beau ; car mon modèle finissait par perdre un peu de sa gaieté et devenir raide. J'ai trop suivi ses changements ; enfin vous verrez. A la fin, Wagner a demandé à voir. Il a dit : " Ah ! ah ! je ressemble à un prêtre protestant. " Ce qui est vrai. Enfin j'étais très heureux de n'avoir pas trop fait four; il y a un petit souvenir de cette tête admirable. »
Voilà comment ce portrait à l'huile, fait à Palerme en une demi-heure par le peintre français Renoir, le 15 janvier 1882, lendemain du jour où Wagner avait terminé Parsifal, est absolument le seul pour lequel le maître ait posé.
... Il a répété à plusieurs reprises que les Français lisaient trop les critiques d'art (ah ! ah ! et un gros rire). « Mais, monsieur Renoir, je sais qu'il y a en France de pons garçons que je ne confonds pas avec les juifs allemands. Je ne puis malheureusement pas rendre la franche gaieté de toute cette conversation de la part du maître. »
Le singulier Wagner que nous avait fait une légende hostile et comme il différait de celui-ci, pris sur le vif ! Quoi d'étonnant à cela? Les vrais génies sont aussi simples dans l'intimité que les faux génies le sont peu. Ceux-ci n'arrêtent pas de poser, qui pour le penseur absorbé, qui pour le mystique exalté. Ce sont de grands comédiens, non de grands musiciens. "
Il est probable que dans ce penseur absorbé et dans ce mystique exalté Adolphe Jullien avait en vue Saint-Saëns et Gounod, qu'il n'aima jamais beaucoup.
Ce feuilleton, écrit trois semaines après la mort de Wagner, coupe court à toutes les légendes qui ont pu courir sur le portrait de Wagner par Renoir, étant rédigé d'après les notes mêmes du peintre. N'a-t-on pas prétendu, parfois, que ce tableau avait été fait de chic (1)? Cette petite calomnie provient probablement de ce que Renoir, en 1893, a donné une réplique du portrait de 1882. Cette réplique, qui était prise pour l'original, acquise par M. Alfred Cortot, le mois dernier, et conservée au Musée de l'Opéra, momentanément exposée au Musée de Rouen (à l'occasion du cinquantenaire de la reconstruction du Théâtre des Arts), a appartenu à Maître Cheramy, qui l'a léguée par testament au Musée de l'Opéra, où elle est entrée en 1914. Pendant la guerre, mon regretté prédécesseur, Antoine Banès, de crainte que quelque fanatique ne lacérât la précieuse toile (estimée seulement 10.000 fr.), l'avait hospitalisée dans son cabinet, et recouverte d'un précieux brocart vert, qu'il soulevait devant les amateurs et rabaissait aussitôt, pudiquement. Lorsque les œuvres de Wagner reprirent leur place, au concert d'abord, puis au théâtre, le second Wagner de Renoir fit de même au musée du théâtre, où il provoque chaque jour l'admiration des uns et l'hilarité des autres. J. G. P.
(1) Cette acception de chic n'est plus employée. Le dictionnaire Littré nous en donne l'explication :
" Terme d'atelier : on dit d'un peintre qu'il a ou qu'il entend le chic, quand il produit rapidement et avec facilité des tableaux à effet. Etymologie : Il est possible que ce mot, dans ce sens, vienne de l'allemand Schick, aptitude, façon, tournure. Faire de chic se prend toujours en mauvaise part, signifiant : dessiner ou peindre d'une manière fausse ou conventionnelle. Lorsqu'un peintre dit d'une oeuvre d'art, c'est du chic, cela équivaut toujours à : c'est faux, c'est mauvais.
Chic ne signifie beauté élégante et rapidité que dans le langage familier des gens du monde, et jamais dans celui de l'atelier. "
Lithographie sur papier Japon National Gallery -Washington (vers 1900)
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