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vendredi 15 mars 2019

Wagner à Paris en 1841 - L'épisode du choeur de La Descente de la Courtille.

Lithographie de Roze : second tableau du vaudeville-ballet-pantomime
La Descente de la Courtille
La Descente de la Courtille était avec la Promenade du Bœuf Gras et le Cortège de la Reine des Blanchisseuses un des trois cortèges centraux du Carnaval de Paris, à l'époque où Wagner résidait à Paris. Cet événement carnavalesque avait été choisi comme sujet d'un vaudeville pour lequel Wagner composa une oeuvre chorale, sans doute en janvier 1841.

Descendons gaiement la courtille, tel était le titre de cette œuvre chorale pour le vaudeville-ballet-pantomime de Théophile Marion Dumersan et Charles Désiré Dupeuty, La Descente de la Courtille. Le vaudeville fut donné au théâtre des Variétés le 20 janvier 1841. La composition, prévue pour la pantomime finale, fut trouvée si difficile à chanter que seule la musique fut jouée. Le chœur porte le numéro WWV 65 dans le catalogue des œuvres de Richard Wagner.

Julien Tiersot commente cet épisode dans un article publié par le Ménestrel du 14 février 1914 :

[...] je ne veux pas attendre un jour de plus sans parler d'une composition dont l'existence, bien connue de tous ceux qui ont étudié de près la vie du maître allemand pendant ses divers séjours en France (notamment le premier), a toujours vivement piqué autant que déçu la curiosité de ces derniers, lesquels avaient fini par se résigner à la considérer comme perdue.

C'est un choeur de vaudeville, écrit pour un théâtre boulevardier de Paris.

En voici l'histoire, résumée d'après Ma Vie.

Quand, à l'automne de 1839, Wagner, après sa fuite de Riga, débarqua en France, il apportait avec lui sa partition inédite de Rienzi et celle, d'un style plus léger, de Défense d'aimer. Il tenta d'abord de faire représenter celte dernière oeuvre, qu'il pensait être plus conforme au goût parisien; un «vaudevilliste à cheveux gris, qui avait écrit une centaine de pièces pour de petits théâtres », Dumersan, consentit volontiers à en faire l'adaptation en vers français, car « il eût aimé, avant de mourir, se voir jouer sur une grande scène lyrique. — Au surplus, continue Wagner, il me demanda d'écrire un choeur pour son vaudeville la Descente de la Courtille, que l'on jouait aux Variétés pendant le carnaval ».

La Descente de la Courtille fut représentée en effet, mais sans la musique de Wagner, sans doute estimée trop savante pour les Variétés. Et c'est là tout ce que l'on en a jamais su.

Hélas ! que j'en ai vu passer des wagnériens passionnément appliqués à découvrir des traces de l'air de la Descente de la Courtille ! Mais, — encore hélas ! et trois fois hélas ! — jamais leurs recherches, voire leurs enquêtes, fussent-elles menées avec une expérience et une perspicacité de juge d'instruction, n'ont abouti à un autre résultat qu'à cette conclusion décevante : la Descente de la Courtille est perdue ! Et voici qui va nous apprendre à connaître le génie du mystère qui règne à la Wahnfried. Quand j'ai parlé d'enquêtes et de juge d'instruction, tout le monde, parmi ceux dont les souvenirs du wagnérisme français remontent à vingt-cinq ans d'ici, a nommé l'homme auquel je faisais allusion : le juge Lascoux, le plus sympathique, le plus franc et le meilleur boute-en-train de tous les Wagnériens qu'aux temps héroïques virent passer les ombrages de Bayreulh. Il était un des familiers de la maison du maître, « ce génie », comme ii le désignait quand il lui fallait parler sur le ton de cérémonie : il n'est donc pas douteux qu'il ait demandé à Mme Cosima, ou à M. Siegfried Wagner ou à ses aimables soeurs, — comme il l'a demandé à tout le monde, à tous les échos, et à moi-même, — s'ils savaient quelque chose de la Descente de la Courtille. Cependant il est mort dans la triste conviction que la Descente de la Courtille était perdue !

Or, ouvrons, pour la dernière fois, le volume dont nous venons de parcourir la plus grande partie. 11 y reste encore un morceau, un seul, — et celui-ci porte en titre les mots suivants :

Descente de la Courtille (Heimmarsch von La Courtille), Deutsch von Alfr. Jul. Boruttau (1), Paris, 1840.

La notice imprimée en tête du volume indique expressément que l'original de ce précieux document est conservé dans les archives de la Wahnfried.

Sans plus de commentaires, examinons la partition.

C'est un choeur à grand orchestre, avec tous les instruments à vent doublés, trois trombones, cornet à pistons, trompette, timbales, et une batterie composée de castagnettes, tambourin (tambour de basque), triangle, tambour militaire, grosse caisse et cymbales : bref, avec les instruments à cordes en proportion, un total d'exécutants qui ne saurait être inférieur à quarante ou quarante-cinq musiciens, — et déjà nous entrevoyons ici une première raison qui a pu empêcher la musique de Wagner d'être exécutée aux Variétés. Sur la scène, des cornets à bouquin (dont la tablature traduit le nom par Alpenhorner, indication qui ne doit pas être due à Wagner, car celui-ci connaissait bien la différence entre le rauque cornet en terre cuite de noire carnaval parisien et le cor des Alpes, en bois, dont le tube sonore se prête à moduler de si poétiques mélodies pastorales : Le choeur est à quatre voix mixtes, mais écrit dans le style lâché de l'opéra-comique, c'est-à-dire, à proprement parler, à deux parties, que les voix d'hommes et celles de femmes doublent respectivement. '

Pour commencer, les cornets à bouquin font sonner vigoureusement par deux fois leur note unique ; toute la percussion y répond par un roulement fortissimo (Zim! boum! boum! Ran tan plan), et l'orchestre attaque un temps de galop à l'exécution duquel chacun s'évertue à faire le plus de bruit possible. Dans le dessin rythmique initial, j'ai retrouvé textuellement le mouvement d'une danse populaire, très rustique, connue sous le nom de Chibreli dans les campagnes de Bresse et du Dauphiné, où les paysans la dansent à grand bruit en frappant le sol avec leurs gros sabots, — et j'ai admiré le génie de Wagner qui sut aller jusqu'à l'intuition de la Chibreli.

Après cette introduction tapageuse, le choeur entre à son tour et chaule ces vers :

Descendons (bis) Gaîment la Courtille ; 
Dondons, Cupidons, Faisons nos derniers rigaudons.
Eteignons les brandons 
Dont le dernier feu brille, 
Au croc suspendons 
Et les lardons Et les dindons. 
Descendons, etc. 
Demain, plus de chansons 
Et plus de rigaudons. 
Allons, bons compagnons, 
Danseurs et biberons, 
Descendons (bis) Gaîment la Courtille, etc., etc.

Ohé ! Ohé! Voilà un poème qui ne fait pas du tout penser au « pur simple » ni au « sachant par pitié! " De même, la musique qui exprime ces joies carnavalesques ne ressemble en rien à l'enchantement du vendredi saint. Aussi bien, laissons ces rapprochements aussi désobligeants qu'irrespectueux. Pour tout dire, celte musique d'opérette, écrite par le futur auteur de Parsifal, est d'un art grossier. Wagner a pensé plaire aux Français en écrivant dans ce style : ce fut sa première punition de n'avoir même pas été admis à l'honneur d'être écouté et nous pouvons dire aujourd'hui qu'il ne le méritait pas. R avait cru devoir prendre pour modèles certaines scènes de danse dont on pourrait désigner les prototypes dans les opéras-comiques d'Auber, d'Hérold, etc. Mais quelle différence! Chez ces derniers, la musique est légère, aimable, souriante : chez Wagner, elle n'est que grimaçante, - et combien lourde ! S'il eût persisté dans cette voie, peut-être fût-il devenu Offenbach, - Allemand comme lui : ne lui refusons pas cette gloire; mais il n'eût jamais été l'égal des représentants du genre « essentiellement français ». — Maintenant, comme il a fait les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, l'on trouvera peut-être là une consolation suffisante, sans qu'il y ait lieu de lui faire un reproche trop sévère d'avoir, en sa jeunesse, écrit pour un vaudeville parisien un galop peu réussi. 

JULIEN TIERSOT.



A noter que Daniel Barenboim a enregistré La Descente de la Courtille avec l'Orchestre de Paris en 2018.

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