Beaucoup de lecteurs francophones connaissent l'écrivaine catholique Marguerite Bourcet pour sa biographie de la duchesse Sophie-Charlotte d'Alençon, née Sophie-Charlotte en Bavière, un livre intitulé Un couple de tragédie: le duc et la duchesse d'Alençon, publié en 1939 par la Librairie académique Perrin et qui connut un succès phénoménal: plus de 181 éditions et plusieurs traductions. Marguerite Bourcet (26 août 1899 -18 juin 1938) ne connut pas la publication de la plus célèbre de ses oeuvres, elle mourut d'un cancer à l'âge de 37 ans.
En décembre 1937, elle publiait dans la Revue des deux mondes un chapitre de ce roman, consacré aux malheureuses fiançailles du roi Louis II et de sa parente Sophie-Charlotte. La Revue des deux mondes a mis ses archives en ligne, en accès libre. Je vous ai retranscrit la première partie de l'article, comme mise en bouche. La prose de Marguerite Bourcet est charmante, et sa thèse sur la rupture des fiançailles intéressante. Cela se déguste sans faim.
LES FIANÇAILLES DE LOUIS II DE BAVIÈRE,
LE ROI MÉLOMANE.
Le 7 mars 1864, succédant au sage roi Maximilien, le jeune Louis I I montait sur le trône de Bavière.
Ses vingt ans approchaient. Il était radieusement beau. Non pas, cependant, de cette beauté virile, un peu martiale, que l'on attribue volontiers aux fils de rois. Il portait sur un long corps adolescent, moulé dans l'uniforme de drap clair, une tête d'archange exalté ou de jeune reine amoureuse.
Les vieux conseillers n'auguraient pas grand bien de l'avènement de ce garçon féru de musique wagnérienne et assez méprisant de ce qu'il nommait « les fadaises d'État ». Mais la population l'adopta d'enthousiasme. Chaque foyer épingla à ses murs une lithographie le représentant, cheveux au vent, regard inspiré, avec cette légende : « le Roi Vierge ». Toutes les Bavaroises, d'un commun accord, s'éprirent de leur ensorcelant souverain. Et les pronostics sur son mariage devinrent le thème favori des conversations.
L'épouse qu'on lui souhaitait, point n'était besoin de la chercher bien loin. Cette dernière fille du duc Max-Joseph, chef de la branche ducale de Bavière et de la duchesse Ludovicia [sic], la seule de ces cinq jeunes beautés qui ne fût point mariée (1), tout Munich raffolait d'elle. On la connaissait bien, quand elle se promenait à pied le long de la Ludwigstrasse ou devant le Rathaus, entrant familièrement dans les magasins acheter des gants ou un ruban. Elle avait dix-sept ans, la plus ravissante tournure, un sourire inoubliable et des cheveux de soleil natté. Lorsqu'elle assistait, dans la loge ducale, à quelque opéra, et que le roi tournait les yeux vers elle, les bourgeois de Munich se disaient l'un à l'autre, d'un air entendu : « Nous aurons bientôt une reine de Bavière ! »
Au vrai, les deux intéressés paraissaient y songer fort peu.
La réputation de grâce de Sophie-Charlotte commençait à émouvoir l'Europe. En ces années, elle ravageait l'Almanach de Gotha. Après un prince de Wurtemberg, elle venait de décourager successivement l'archiduc Louis-Victor et un infant d'Espagne. Cette jeune personne exigeante attendait de rencontrer un fiancé dont elle se sentît éprise. Sa sœur Elisabeth écrivait d'elle avec souci : « Si seulement elle trouvait un mari qu'elle aime et qui la rende très heureuse, mais qui (2) ? » Et elle louait hautement sa jeune sœur d'avoir fait preuve d'intelligence et de loyauté en refusant qui elle n'aimait pas : cela au grand déplaisir de l'ambitieuse Ludovicia, entichée de l'archiduc et de sa brillante situation.
Quant à Louis II, son établissement s'avérait singulièrement problématique. A vingt ans, ce joli garçon, sous prétexte d'idéalisme, n'affichait que mépris, répulsion, ignorance effrayée pour les réalités du mariage et de l'amour, « matérialités grossières », tout juste bonnes à ruiner sans remède le lyrisme et la poésie.
D'autres plaisirs lui paraissaient plus raffinés et désirables : fuir ses semblables et, dans un décor recherché, s'abandonner à de silencieuses orgies de littérature, d'où il sortait les yeux troubles, l'âme chavirée, ivre de rêves, étreignant des ombres à deux bras, — la Walkyrie ou Marie-Antoinette, épouses idéales aux baisers désincarnés, plus précieuses mille fois que des formes palpables. L'enfant qui, jadis, dialoguait avec les fantômes, ou divaguait dans les cimetières au clair de lune, avait assez bien tenu les promesses de ces romantiques débuts.
Il admirait cependant une femme vivante : son impériale cousine Elisabeth, à laquelle il vouait un culte romanesque, d'un platonisme attendrissant. En 1865, aux eaux de Kissingen, il avait subjugué Une princesse, Marie-Alexandrovna, la fille du Tsar. Duos, poésie, fleurs échangées, promenades au clair de lune, — toujours le clair de lune. A u bout de quinze jours, l'Europe, informée et potinière, les mariait déjà : on vit alors Louis II rentrer brusquement à Munich, sans avoir même pris congé. Et les Bavarois se creusèrent en vain la cervelle pour deviner ce qui avait pu pousser leur roi à rompre cette flatteuse alliance qui eût été si utile, en ces temps où la Prusse montrait les dents.
Cette existence de jeune homme avait pourtant été traversée par un sentiment exalté et tumultueux.
Sitôt couronné, et libre de ses actions, son premier soin avait été d'envoyer quérir ce Richard Wagner dont les opéras lui dispensaient des félicités inouïes et qu'il considérait, sans l'avoir jamais vu, comme le père de son âme. Un messager, porteur d'une missive et d'un anneau, — suivant le bon usage des romans de chevalerie, — avait atteint le vieux Saxon au béret de velours qui traînait sa malchance et ses rancœurs dans une petite ville d'Allemagne.
Le Roi l'avait fastueusement installé: appartement à Munich, villa de plaisance au bord du lac de Starnberg. Il étouffait d'enthousiasme et d'extase. Il venait contempler chaque jour son idole. Et, entre temps, il lui dépêchait des proses délirantes.
« Un et Tout, synthèse de ma félicité (3)... » « Né pour toi, élu pour toi, telle est ma mission, à toi seul je suis tout dévoué... Salut à toi, Soleil, salut à toi, Lumière... O jour de bonheur où j'appris la nouvelle : et les frissons des plus grandes délices me secouèrent quand on vint m'apprendre la nouvelle : le Tant-Désiré est ici, et veut désormais rester ici. »
Cette toquade wagnérienne atteignit son point culminant lors de la première représentation de Tristan et Yseult, créé luxueusement au Residenztheater de Munich. Rien n'avait coûté à Louis I I pour glorifier l'Un-et-Tout. Ce que voyant, les Munichois prirent peur. Ils avaient supporté de mauvaise grâce l'excessive élévation de cet Allemand du nord, sa morgue, sa fatuité, les démonstrations ridicules de leur souverain : lorsqu'on parla de lever de nouveaux impôts pour édifier le Théâtre de la Musique de l'Avenir, ils devinrent brusquement enragés, et Louis II se vit mis en demeure de choisir entre son trône et son chef d'orchestre.
Nul ne saura jamais pourquoi il choisit le trône, lui qui le considérait, à l'ordinaire, comme une horripilante servitude. Il écrivit au compositeur une belle lettre où il l'assurait, malgré tout, de son inaltérable amitié (4). Et Wagner, ulcéré, furieux, partit pour la Suisse, tandis que Louis II souffrait mille morts de la séparation.
Tel est exactement le point sentimental et moral où se trouvait l'ancien compagnon d'enfance de Sophie-Charlotte quand celle-ci commença à jouer un rôle dans son destin. Et certes, envisagé de synthèse, ce Louis II nous paraît un éphèbe assez peu rassurant. Mais il est aisé de se montrer perspicace lorsqu'on connaît par avance la suite de l'histoire, et que le dénouement projette de loin sa vive lumière sur les incertitudes du prologue. La clairvoyance est moins facile quand on vit avec un personnage au jour le jour, quand on l'a connu petit garçon, adolescent, jeune homme, s'apercevant à peine qu'il grandit pour suivre de trop près sa croissance, et jugeant ses défauts d'homme comme le prolongement anodin de ses travers d'enfant.
[...]
(1) Hélène, princesse de Tour et Taxis ; Elisabeth, impératrice d'Autriche ; Marie-Sophie, reine de Naples ; Mathilde, comtesse de Trani ; Sophie-Charlotte, non mariée encore, et qui, après ses flançailles avec Louis II , deviendra duchesse d'Alençon.
(2) Elisabeth à Ludovicia, 22 avril 1866.
(3) Le roi Louis II à Wagner, 11 juin 1865.
(4) 7 décembre 1865"
Pour lire la suite de l'article, se rendre sur le site de la Revue des deux mondes.
Un livre que l'on trouve facilement en bibliothèque ou chez les bouquinistes. |
Merci pour cette évocation d'un ouvrage oublié, qui participe de notre connaissance de Louis II
RépondreSupprimerLe style et la syntaxe ont évolué depuis, hélas !
Louis LAVOISIER
Paris