Dernière partie d'un article publié du 13 au 20 septembre 1890 par le magazine parisien La Vie parisienne : moeurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes. L'article est signé des initiales E.C. Cette dernière partie est des plus étrange, il n'y est plus question des châteaux de Louis II de Bavière, mais des spectacles à Munich, et il se termine sans conclusion aucune.
Munich vu de France dans la presse féminine parisienne de la fin du 19e siècle. La Vie Parisienne
peut se lire gratuitement en ligne sur le site Gallica de la BNF
Königliches Hof- und Nationaltheater, lithographie
in Album von München. Leipzig, Louis Glaser, 1890 (Photo hors article)
LA SEMAINE DE LA PARISIENNE
LES CINQ CHATEAUX DU ROI DE BAVIÈRE
LUNDI. — MUNICH
Personne en ce moment, excepté les pèlerins d'Oberammergau, Américains, Anglais, beaucoup de Français, les hôtels regorgent. Les salles de billard, les salles à manger sont transformées en dortoirs, mais le monde munichois voyage, est aux eaux ou dans ses terres. Après Florence, au point de vue artistique, pictural et musical, peu de villes sont aussi agréables pour y passer quelques jours. Pendant les deux semaines que nous sommes restés à Munich, à l'Hoftheater on n'a pas une fois joué ni « LES HUGUENOTS » ni « FAUST » mais Obéron, Freyschutz, le Vaisseau fantôme, Don Juan, les Maîtres chanteurs, etc., etc., plus qu'on n'en a entendu dans toute sa vie. Grand succès en ce moment pour un opéra de la jeunesse de Wagner : les Fées, un premier acte délicieux, presqu'un ballet d'une poésie pénétrante et une mise en scène à laquelle nous ne sommes plus habitués à l'Opéra. Que ce premier acte, qui se passe dans un pays enchanté, au bord d'un lac bleu sur lequel se promènent des cygnes, voltigent des amours dans les branches des arbres, devait plaire à ce pauvre roi Louis II! Il était fait pour lui. Le reste de l'opéra, pas extraordinaire, dans le style italien, des airs à roulades, à vocalises, et un ténor qui tombe tout le temps, tantôt aux pieds de sa femme, tantôt aux pieds de ses enfants, tantôt aux pieds des fées, etc., etc. Jamais nous n'avions vu quelqu'un tomber aussi souvent. Mais le grand succès de la saison, il ne peut arriver à quitter l'affiche, —c'est un ballet viennois, —il faut espérer que nous finirons par l'avoir dans une vingtaine d'années. Salle comble chaque fois qu'on le représente. On nous a montré, dans une avant-scène, le prince Alphonse, qui va épouser la fille du duc d'Alençon. Ce ballet rappelle un peu notre Coppélia, malheureusement sans la musique de Delibes. Celle des Fées-poupées, c'est le titre du ballet, n'est que gaie et manque d'originalité. En deux mots, la scène se passe dans une belle boutique d'un marchand de poupées. C'est le matin, on ouvre le magasin; il n'y a que poupées et joujoux du haut en bas... Une petite fille, qui a cassé la tête de sa poupée de quatre sous, vient en faire remettre une autre. Il faut voir comme elle est reçue ! Puis arrive une famille de riches fermiers avec ses enfants, de la forêt Noire, qui vient faire des emplettes ; ils servent un peu de compères au ballet, — puis une famille anglaise composée de sept personnes, tous dans la tenue classique, même le petit dernier, avec son col immense, tient à la main son Baedeker. Ils se font montrer toutes les plus belles choses de la boutique, — depuis la poupée qui dit papa, maman, — très joli pas, — jusqu'au trompette qui chante sur son clairon le fameux air des "Adieux du trompette à sa fiancée", en passant par toutes les plus jolies poupées : les mariées, les Tyroliennes, pantins, polichinelles, bonshommes en caoutchouc, bébés, soldats de plomb qui tous dansent un pas de caractère très amusant. Les Anglais, avec le même flegme que quand ils sont entrés, quittent la boutique sans rien acheter. Le soir venu, le magasin est fermé : obscurité complète. Tout à coup la Fée des poupées s'écrie: « Que la lumière soit! » et la lumière se fait. Et nous assistons à une véritable saturnale. Tous les joujoux sortent de leurs boîtes ou de leurs cartons, deviennent animés et exécutent une valse infernale qui est devenue classique à Munich. Le fond du décor se transforme en un palais merveilleux, et dans ce cadre tout ce petit monde s'agite et se démène. C'est fantastique comme un conte d'Hoffmann. Ils font un tel bruit que le marchand et un de ses commis, des lanternes à la main, viennent faire une ronde. Tout rentre en place et dans le silence. Ils croient qu'ils se sont trompés et vont rentrer dans leur chambre, mais tous ces joujoux n'y tiennent plus et se mettent à redanser de plus belle et à faire toutes les niches possibles à leur marchand. Très joli effet de lumière il ce moment de petit jour éclairant la boutique. C'était un vrai ballet pour l'Éden. Je ;crois que le public du futur théâtre lyrique, après Samson et Dalila ou Gwendoline, s'en irait enchanté si on avait l'idée de monter le ballet viennois. Quelque opéra qu'on donne, quatre actes, cinq actes, le spectacle est toujours terminé à dix heures, quelquefois une demi-heure avant. On est tout étonné d'avoir quelques heures devant soi, de pouvoir souper sans rentrer chez soi à deux heures du matin. Et pas d'entr'actes, on a à peine quelques minutes pour les changements de décor et de costume. Et des laquais en grande tenue, mollets et bas de soie, qui vous passent des glaces (quarante pfennings) sur des plateaux d'argent, sans crier, sans beugler. Charmant et excessivement distingué.
E.C.
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