Julie (Camille schnoor) et Liliom (Daniel Prohaska) |
Le hongrois Ferenc Molnár avait créé Liliom en 1909 sans en obtenir le succès espéré. La première allemande eut lieu à Berlin en 1912 et connut le même échec. La pièce ne fit sa percée que dans une mise en scène viennoise en 1913. Elle fut par la suite montée avec succès à Broadway en 1921 avec Joseph Schildkraut et Eva Le Gallienne, puis à Londres en 1926. En 1939, c'est au tour du grand Orson Welles et de Helen Hayes de jouer Liliom dans une émission théâtrale radiophonique. Puis en 1940, Burgess Meredith, Ingrid Bergman et Elia Kazan reprennent la pièce à New York. En 1945, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II créent une adaptation musicale de la pièce, sous le titre de Carrousel.
Puccini fut tellement impressionné par la pièce qu'il voulut en faire un opéra, ce que lui refusa Molnár, au motif que sa pièce deviendrait mondialement connue en tant qu'opéra de Puccini et qu'on en oublierait l'auteur. Il a fallu attendre Josef E. Köpplinger et la commande du Theater-am-Gärtnerplatz à la compositeure Johanna Doderer pour que Liliom connaisse sa création mondiale en tant qu'opéra.
La fête foraine, choeurs et figurants |
L'argument
Liliom travaille comme bonimenteur de foire et joue de sa belle gueule et de la fascination qu'il exerce sur la gent féminine pour attirer la clientèle vers le manège de Mme Muskat, la propriétaire d'un carrousel de chevaux de bois. Liliom est un bon à rien qui passe son temps à courir le jupon. Il est vrai que les femmes succombent toutes à ses charmes, au grand dam de sa patronne, une femme d'un certain âge qui en a fait son amant, le materne et le morigène dès qu'il pose les yeux ou la main sur une donzelle. Il rencontre Julie, une petite bonne, qui ose résister à la jalousie de Madame Muskat, qui, emportée par la colère, congédie Liliom.
L'aveu de la maternité dans la masure (Daniel Prohaska- Camille Schnoor) |
Les deux jeunes gens, sans véritable ressource, se mettent en ménage dans une masure que leur prête la tante de Julie. Liliom fainéantise, se laisse entretenir et joue aux cartes avec son pote Ficsúr. Il a le poing facile et tabasse sa compagne, qui surmonte cependant la peur que lui inspire son homme pour lui annoncer qu'elle est enceinte. Pour trouver de l'argent facile, il accepte la proposition de Ficsúr de se mettre en embuscade pour attaquer un homme qui fait chaque semaine un important transport de fonds. Il vole le couteau de cuisine de la tante. L'embuscade tourne mal, l'homme attaqué est armé et alerte la police au moyen d'un sifflet qu'il porte toujours sur lui. Liliom se suicide avec le couteau dérobé pour échapper à la police et au déshonneur. Il meurt. Ficsúr s'enfuit.
C'était compter sans l'au-delà, où l'attend la police céleste, une police bien plus bon enfant que celle des hommes. Aux portes du paradis, il suffit de se repentir pour obtenir le pardon du commissaire et avoir l'occasion de retourner sur terre pour réparer tant soit peu sa faute. Mais Liliom ne se repent pas et se voit condamner à 16 ans de purgatoire, le temps de réfléchir et d'éprouver quelque remords. Liliom aimerait bien savoir s'il est le père d' un garçon ou d'une fille. Après les seize années, il obtient de redescendre sur terre pour rencontrer son enfant. Incorrigible, au passage il dérobe un étoile pour l'offrir à sa fille de seize ans...
Le livret et la composition musicale
Josef E. Köpplinger a travaillé la pièce de Molnár en insistant sur la psychologie des personnages qui appartiennent presque tous aux couches les plus démunies de la population du début du 20e siècle (ici en costumes 1930, dus à Alfred Mayerhofer). Des miséreux sans instruction qui ne disposent que d'un vocabulaire et d'une syntaxe rudimentaires, ce qui réduit considérablement leurs possibilités de communication. Souvent, les sentiments ne sont pas exprimés et le vécu intérieur s'extériorise par des répétitions ou des cris qui s'élèvent. Ainsi Liliom se sent-il impuissant face à la tristesse et aux pleurs et ne trouve-t-il en lui d'autre ressource que la fuite ou le langage de ses poings. Il tabasse les femmes qui l'aiment, Mme Muskát ou Julie, parce qu'il a peur de ses propres émotions, qu'il ne dispose pas de moyens pour exprimer ce qu'il ressent, parce que c'est le seul langage qu'il ait appris. La carence émotionnelle est d'abord une carence langagière et Köpplinger réussit fort bien à faire ce message de réalisme social.
On aimerait pouvoir en dire autant de la partition de Johanna Doderer qui rencontre les attentes quant à la composition orchestrale et aux parties chorales, mais qui reste en deçà des attentes dans les lignes vocales. Doderer, dont Liliom est le septième opéra, annonce vouloir composer une musique proche de l'émotion, se limite le plus souvent à des récitatifs en solo dont elle fait monter le ton et la tension pour exprimer le ressenti intérieur tragique ou violent. Les nombreuses possibilités du chant sont peu exploitées, là où l'on s'attendrait à voir surgir une cantilène, un duo ou un trio, la compositeure nous offre un chant linéaire et des récitatifs successifs, alors pourtant qu' il y a dans la pièce de Molnár et le livret de Köpplinger de belles matières qui restent insuffisamment exploitées. En matière d'interprétation musicale du réalisme social, c'est un peu comme si Alban Berg, son Sprechgesang et la structuration musicale spécifique des différentes scènes n'avaient jamais existé. Pourtant les lignes de chant sont souvent poignantes d'intensité, jusqu'à l'exacerbation. Les plus beaux moments sont orchestraux et choraux, et il y a des pages musicales très accomplies, comme celle où Ficsúr, interprété par le baryton croate Matija Meić, est doublé comme en écho par le choeur et d'autres solistes, et des moments charmants tels l'introduction d'un grand choeur d'enfants en deuxième partie.
La très belle mise en scène de Josef Köpplinger, l'efficacité des décors de Rainer Sinell et l'excellence du jeu théâtral des protagonistes contribuent largement à la réussite de la soirée. Le parc municipal où se tient la fête foraine est ingénieusement figuré la seule couronne du carrousel avec ses lampes colorées, suspendue par des filins au cintre ainsi que par d'extraordinaires acteurs figurant des forains, clowns atypiques ou boxeurs parfois de porteurs de ballons et dont la présence muette sur scène irradie l'atmosphère de fête populaire. Pour les scènes d'intérieur, on ouvre une paroi de côté qui vient se placer parallèlement au public et cela nous entraîne aussitôt à l'intérieur de la masure misérable aux parois de planches et dont le mobilier se réduit à une table et deux chaises qui sert de logis à Julie et Liliom. On comprend que Puccini, qui a donné la sublime Bohème, ait été attiré par le sujet. A droite de la scène, une rampe oblique monte vers le fond de la scène. C'est là qu'aura lieu l'embuscade ratée de la première partie, c' est par elle que surgissent les policiers alertés par le coup de sifflet. C'est par elle aussi qu'on accède au paradis dans la seconde partie.
Daniel Prohaska figure avec le talent qu'on lui connaît un Liliom en blouson de cuir, beau gosse sensuel, mais veule, violent et vulgaire: Le personnage aurait pu être davantage contrasté, son humanité n'apparaissant que comme à regret, il est par trop univoque pour un premier rôle. Angelika Kirchschlager campe une Frau Muskát outrancière et trop maquillée, et se donne des allures de riche face aux plus pauvres qu'elle. La Julie de Camille Schnoor est une jeune femme un peu réservée dont la sexualité s'éveille tout à coup au contact du bellâtre qu'est Liliom et qui se retrouve miséreuse, battue , résignée et enceinte sans trop comprendre comment la vie broie les plus misérables, mais retrouvera une dignité par son travail à l'usine et la maternité. Katerina Fridland et Christoph Filler interprètent avec brio le second couple, aux valeurs plus traditionnelles, qui fait pendant au couple incertain de Julie et Liliom.
Le trailer
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire