Les photos sont de Marie-Laure Briane |
Le Chicago des années 1930: la situation dans les rues de la cité des vents ( la »Windy City« ) est des plus tendue. C´est l´époque de la prohibition et de son cortège de lois sévères. Les personnes en manque de divertissement se retrouvent secrètement dans les "Speakeasies", des établissements clandestins dont l´adresse se communique par le bouche à oreille et où la bière et les boissons alcoolisées coulent à flots. A cette même époque, la ville se trouve sous la funeste emprise d´organisations criminelles dont la tristement célèbre mafia italienne, la Cosa Nostra. Le danger guette dans les rues plongées dans des semi-pénombres, à peine éclairées par les lumières jaunes des lanternes. Le coeur de la ville bat aux rythmes de ces deux mondes qui s´entremêlent. La peur et le soupçon le disputent à l´envie de s´éclater, qui s´en trouve renforcée d´autant, les tensions sont exacerbées, la violence règne en maîtresse.
Depuis le milieu des années 1920, de nombreux musiciens afro-américains sont montés de la Nouvelle-Orléans à Chicago, et ont apporté avec eux au jazz de la capitale de la Louisiane dans la ville. C´est au départ de cet apport que de nombreux jeunes musiciens de la classe moyenne blanche, comme Bix Beiderbecke, Frank Teschemacher ou Bud Freeman, ont développé leur propre version de ce style musical: le Chicago Jazz. Aucun autre genre musical ne reflète autant le style de vie de l´Amérique des années 30 . Avec «Chicago 1930», , le Karl Alfred Schreiner et sa compagnie de ballet nous entraînent dans les méandres d´une société dans laquelle l´ascension et la chute, le rythme et la torpeur, la loyauté et la trahison se côtoient, et où la vendetta est la loi en vigueur.
Un orchestre jazz donne l´ouverture, tandis qu´une vidéo en noir et blanc est projetée sur l´écran d´avant-scène avec des plans rapprochés sur un homme armé d´un revolver. L´écran se lève et on assiste à une rixe d´une violence extrême où des hommes traversent la scène en courant et échangent des coups de feu. Une femme court dans tous les sens en essayant de protéger son petit garçon, elle est abattue. Un musicien s´approche de l´enfant désormais orphelin et le coiffe d´un borsalino. Suit un black-out. Quand revient la lumière l´enfant a laissé place à un jeune adulte barbu, Luigi, coiffé du même borsalino. Vingt années ont passé.
La scène est encadrée d´immeubles en briques brunâtres avec leurs échelles de secours extérieures et leurs pilastres et balcons en fonte. Une porte donne accès à la réserve d´un marchand à l´etalage qui vend des fruits et légumes. symbolisés ici par des cageots de pommes. Le mur de fond de scène pivote pour faire apparaitre le comptoir d´un speakeasy. Ces superbes décors sont l´oeuvre de Rifail Ajdarpasic. Les lumières (Jakob Bogensperger) souvent nocturnes ajoutent à l´atmosphère de danger. Les costumes d´Alfred Mayerhofer restituent bien le style des annés 30. Luigi et sa bande agissent en petits malfrats, voleurs à l´étalage vivant de rapines et de mauvais coups, et en butte à la police. Luigi rencontre Maria, la barmaid d´un Speakeasy et c´est le coup de foudre. Lors d´une rixe dont il sort vainqueur, Luigi est repéré par la mafia qui le teste rapidement: on l´incite à participer à un passage à tabac. Il passe le test avec succès. Etape suivante: lors d´une scène dans le bureau inquiétant d´un boss mafieux, superbement suggéré par d´impressionnantes grandes persiennes à l´américaine violemment éclairées, descendent des cintres, le parrain a convoqué Luigi pour lui ordonner d´exécuter le marchand de fruits et légumes, qui n´est autre que le père de sa copine, ce que Luigi ignore. Après une première nuit d´amour passée dans une chambre d´ hôtel ornée d´un grand crucifix, Luigi assassine le marchand. Karl Alfred Schreiner met alors en scène une folle course poursuite tout simplement géniale: par des effets vidéos magiques (vidéos de Raphael Kurig et Thomas Mahnecke), le décor de maisons en brique se met à défiler rapidement, une voiture de police poursuite la voiture des malfrats, l´illusion étant rendue possible par deux demi-voitures qui sont mues par des danseurs pour un ballet-poursuite, un moment cocasse où l´humour de la mise en scène rencontre l´horreur du drame.
En deuxième partie, Luigi se rend compte qu´il a exécuté le père de la femme qu´il aime. Perdu, harcelé par le remords, il se jette aux pieds d´un prêtre qui reçoit sa confession dans un numéro au cours duquel Giovanni Insaudo, le danseur qui interprète le rôle de Luigi, se livre à un magnifique jeu d´acteur où il débite ses aveux énervés, compulsifs et décousus, dans un inénarrable dialecte sicilien. Cela s´accompagne d´une gestuelle superbement chorégraphiée où s´exprime le doute, le déchirement et le repentir d´un homme que la vie a forcé dans la plus sombre des impasses.
Cette seconde partie se déroule dans un monde où l´onirique rencontre le réel. L´orchestre a changé à l´entracte: les instruments du jazz et du swing ont été remplacés par ceux de la musique classique, avec sa dominante de cordes. Luigi revoit défiler les événements d´une vie marquée par la mort et la frénésie. Un ange, celui de la mort peut-être, apparaît sous la forme d´un personnage masqué. Il anime le cadavre du père de Maria dans une sinistre pantomime où Maria, son père et l´ange s´ entremelent dans une danse de douleur et de tendresse. Les gestes se font plus lents ainsi que la musique, Maria, son père et Luigi exécutent un dernier trio, mais les liens sont rompus par la mort, le meurtre a tué l´amour, reste le désespoir de la solitude.
C´est donc un spectacle en deux temps que nous propose Karl Alfred Schreiner et l´excellent ballet du Theater-am-Gärtnerplatz. La violence et la frénésie de la première partie, avec ses ballets chaotiques de malfrats et ses danses endiablées, les swings et les charlestons, fait place aux rythmes lents et angoissés de la contrition , du deuil et de la séparation. Le récit qu´il propose s´apparente à la fois à West side story et au Cid de Corneille, ces grands récits où l´amour, l´honneur et la mort se rencontrent. Mais Schreiner apporte surtout la vision nouvelle d´un langage choréographique innovant marqué par une remarquable cohérence gestuelle avec d´admirables mouvements coulés et un art raffiné de l´oxymore dans l´expression des tensions qui bouleversent des personnages contraints de vivre dans la contradiction des extrêmes. A cela il ajoute le raffinement de l´art de la litote qu´il mêle à celui de la suggestion. Sa scène de la nuit d´amour est un chef d´oeuvre du genre: les amants dont les corps ne se rencontreront à aucun moment, placés sur deux lits juxtaposés miment le déshabillage et la montée vers l´extase sans jamais se toucher. Les ballets d´ensemble participent du même raffinement. C est aussi le cas des trios déjà évoqués où le choréographe a parfois recours aux figures du rock acrobatique qu´il fait exécuter avec lenteur. L´architecture du ballet est remarquable d´un bout à l´autre, et d´une lisibilité parfaite. Le travail des danseurs est tout aussi admirable, avec une mention particulière pour la Maria d´Ariella Casu, le prêtre très ambigu de Russel Lepley et le père de Maria de Matteo Carvone. Le spectacle est porté à son zénith par la fabuleuse performance du Luigi du très charismatique Giovanni Insaudo, tant pour son jeu scénique que pour son interprétation d´un rôle qui exige précision d´exécution et endurance, avec une présence quasi continue en scène.
Chicago 1930 a fait un triomphe, hier soir lors de sa première. Il se donne jusqu´au 28 juillet au Cuvilliés Theater. Quelques places restantes sur lesquelles il faut se précipiter.
Trailer
Un orchestre jazz donne l´ouverture, tandis qu´une vidéo en noir et blanc est projetée sur l´écran d´avant-scène avec des plans rapprochés sur un homme armé d´un revolver. L´écran se lève et on assiste à une rixe d´une violence extrême où des hommes traversent la scène en courant et échangent des coups de feu. Une femme court dans tous les sens en essayant de protéger son petit garçon, elle est abattue. Un musicien s´approche de l´enfant désormais orphelin et le coiffe d´un borsalino. Suit un black-out. Quand revient la lumière l´enfant a laissé place à un jeune adulte barbu, Luigi, coiffé du même borsalino. Vingt années ont passé.
La scène est encadrée d´immeubles en briques brunâtres avec leurs échelles de secours extérieures et leurs pilastres et balcons en fonte. Une porte donne accès à la réserve d´un marchand à l´etalage qui vend des fruits et légumes. symbolisés ici par des cageots de pommes. Le mur de fond de scène pivote pour faire apparaitre le comptoir d´un speakeasy. Ces superbes décors sont l´oeuvre de Rifail Ajdarpasic. Les lumières (Jakob Bogensperger) souvent nocturnes ajoutent à l´atmosphère de danger. Les costumes d´Alfred Mayerhofer restituent bien le style des annés 30. Luigi et sa bande agissent en petits malfrats, voleurs à l´étalage vivant de rapines et de mauvais coups, et en butte à la police. Luigi rencontre Maria, la barmaid d´un Speakeasy et c´est le coup de foudre. Lors d´une rixe dont il sort vainqueur, Luigi est repéré par la mafia qui le teste rapidement: on l´incite à participer à un passage à tabac. Il passe le test avec succès. Etape suivante: lors d´une scène dans le bureau inquiétant d´un boss mafieux, superbement suggéré par d´impressionnantes grandes persiennes à l´américaine violemment éclairées, descendent des cintres, le parrain a convoqué Luigi pour lui ordonner d´exécuter le marchand de fruits et légumes, qui n´est autre que le père de sa copine, ce que Luigi ignore. Après une première nuit d´amour passée dans une chambre d´ hôtel ornée d´un grand crucifix, Luigi assassine le marchand. Karl Alfred Schreiner met alors en scène une folle course poursuite tout simplement géniale: par des effets vidéos magiques (vidéos de Raphael Kurig et Thomas Mahnecke), le décor de maisons en brique se met à défiler rapidement, une voiture de police poursuite la voiture des malfrats, l´illusion étant rendue possible par deux demi-voitures qui sont mues par des danseurs pour un ballet-poursuite, un moment cocasse où l´humour de la mise en scène rencontre l´horreur du drame.
En deuxième partie, Luigi se rend compte qu´il a exécuté le père de la femme qu´il aime. Perdu, harcelé par le remords, il se jette aux pieds d´un prêtre qui reçoit sa confession dans un numéro au cours duquel Giovanni Insaudo, le danseur qui interprète le rôle de Luigi, se livre à un magnifique jeu d´acteur où il débite ses aveux énervés, compulsifs et décousus, dans un inénarrable dialecte sicilien. Cela s´accompagne d´une gestuelle superbement chorégraphiée où s´exprime le doute, le déchirement et le repentir d´un homme que la vie a forcé dans la plus sombre des impasses.
Cette seconde partie se déroule dans un monde où l´onirique rencontre le réel. L´orchestre a changé à l´entracte: les instruments du jazz et du swing ont été remplacés par ceux de la musique classique, avec sa dominante de cordes. Luigi revoit défiler les événements d´une vie marquée par la mort et la frénésie. Un ange, celui de la mort peut-être, apparaît sous la forme d´un personnage masqué. Il anime le cadavre du père de Maria dans une sinistre pantomime où Maria, son père et l´ange s´ entremelent dans une danse de douleur et de tendresse. Les gestes se font plus lents ainsi que la musique, Maria, son père et Luigi exécutent un dernier trio, mais les liens sont rompus par la mort, le meurtre a tué l´amour, reste le désespoir de la solitude.
La nuit d´amour |
Chicago 1930 a fait un triomphe, hier soir lors de sa première. Il se donne jusqu´au 28 juillet au Cuvilliés Theater. Quelques places restantes sur lesquelles il faut se précipiter.
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