Il est des soirées d´exception, ce fut le cas vendredi soir du premier opéra jamais créé à la Maison du Festival de la Passion d´Oberammergau, ce village de Haute-Bavière célèbre pour son cadre idyllique, ses peintures murales (Lüfltmalerei), son hospitalité mais plus encore par son Jeu de la Passion qui, tous les dix ans, transforme tout le village en Golgotha .
|
Un Christian Stückl rayonnant |
Le metteur en scène à présent munichois
Christian Stückl, un enfant du pays, a fait le pari de monter cet été un grand opéra populaire sur la scène de la Maison du festival, le
Nabucco de
Giuseppe Verdi, misant notamment sur l´excellence du Choeur du Théatre de la Passion d´Oberammergau.
Christian Stückl, qui dirige avec succès le Münchner Volkstheater, une des meilleures scènes munichoises, s´est depuis 2005 lancé dans la mise en scène d´opéra sur les scènes allemandes de Munich à Hambourg. Pour
Nabucco, il a su s´entourer d´une équipe talentueuse pour cette grande première: c´est en effet la première fois qu´un opéra est créé à Oberammergau. L´orchestre de la Neue Philarmonie München, dirigé par le jeune et dynamique chef lithuanien
Ainars Rubikis, est placé dans une fosse en grande partie sous plateau mais d´une bonne résonance.
On est accueillis par le décor du Grand temple de Jérusalem qui déploie symétriquement sur la scène ses portiques à colonnes à chapiteaux corinthiens, ce qui n´est pas sans rappeler la conception du théâtre palladien de Vicence ou les tombeaux nabatéens de Pétra. Ce décor, conçu comme les costumes très réussis par
Stefan Hageneier, un décorateur-costumier qui travaille de puis de longues années en complicité avec
Christian Stückl, ménage trois grandes voies d´accès, une centrale et deux latérales pour les importants mouvements de choristes et de figurants, et permet le positionnement des chanteurs soit en avant-plan soit sous les portiques de l´étage. Le Théâtre de la Passion, couvert depuis 1900, s´ouvre en arrière-scène sur le lumineux ciel d´été où volent des hirondelles qui viendront de temps à autre survoler le grand Temple de Jérusalem, ajoutant au réalisme de l´action. Le ciel intègre ses lumières déclinantes au décor, un phénomène judicieusement exploité par le metteur en scène et son éclairagiste
Günther E. Weiss qui réussit un travail remarquable dans l´accompagnement lumineux de l´intensité dramatique de l´action. Aucun changement de décor n´est opéré,
Christian Stückl ayant opté pour une unité de lieu: toute l´action est concentrée dans le grand temple où l´on suit les rapports tumultueux des protagonistes dont il dessine parfaitement l´évolution psychique et les états d´âme, soulignant l´errance de l´esprit un moment dément de Nabucco, en le rendant ubuesque, ou la montée vaniteuse et perverse de la cruauté d´Abigaille, et du peuple juif résistant puis réduit en esclavage et enfin libéré suite à l´improbable retour au pouvoir de Nabuccco et à son allégeance au Dieu de , de Moïse, d´Isaac et de Jacob. Si la mise en scène parvient à assurer une cohérence psychologique à l´action, l´escamotage de la déportation à Babylone pose cependant question.
Le choix de Nabucco n´est pas un hasard, son thème religieux correspond à la vocation première du lieu et c´est aussi un opéra dans lequel le choeur joue le premier rôle. Ce choix rencontre aussi les intérêts de la communauté villageoise d´Oberammergau et de sa longue tradition théâtrale. Les choristes sont vêtus de costumes contemporains usés et défraîchis semblables à ceux que portent les habitants du Moyen Orient et qui évoquent la pauvreté et le dénuement, avec une palette de couleurs pastels poudreuses pour former de grands tableaux d´une grande qualité esthétique. La soldatesque assyrienne en tenues de combat de couleur sable se distingue de la juive, en treillis verts, par les costumes. Les fusils mitrailleurs rappellent que le Moyen Orient est toujours en conflit, et cette contemporanéité est bien dans l´esprit de cet opéra de Verdi qui fut dès sa création perçue comme emblématique de la lutte italienne contre l´occupant autrichien. Après que les soldats juifs ont été désarmés, ils promènent dans le temple de larges coupes où se consume un encens odoriférant dont les fumées parfumées viennent titiller les narines du public. Les choeurs sont magnifiques d´un bout à l´autre de l´opéra. Ils sont entraînés par un autre enfant de ce village à l´âme artistique, Markus Zwink, qui est le directeur musical du Théâtre de la Passion depuis 1990 et qui depuis des années compose des musiques pour des oeuvres jouées sur cette scène. La mise en scène dynamise avec bonheur les mouvements de foule continuels sur le plateau et compose des tableaux vivants parfois bouleversants comme celui du peuple juif amassé en un agglomérat de corps compactés sur le côté sur le gauche de la scène alors qu´il attend l´exécution de masse promise par Abigaille.
|
Evez Abdulla |
L´homogénéité du plateau sert la production. Zaccaria est porté par la basse roumaine
Bálint Szabó, un chanteur au phrasé remarquable doté d´une belle voix sonore mais qui reste un peu en deçà du personnage dans l´expression émotionnelle, souvent monocorde.
Evez Abdulla donne un excellent Nabucco, qui fait une entrée remarquée juché sur un bel étalon, avec une voix bien projetée et puissante ornée d´un beau vibrato et de basses profondes. Il joue son personnage avec un grand talent d´acteur, aidé par de beaux moments de mise en scène. Ainsi lorsque pour signifier la folie royale, revêtu d´une simple robe de nuit, il se saisit d´un cheval de bois avec lequel joue un enfant, ou quand, recouvrant la raison, il redonne au roi sa prestance faisant oublier par son autorité retrouvée la robe de nuit qu´il porte encore. L´intensité et les nuances d´interprétation d´
Evez Abdulla dans le rôle principal recevront leur lot d´applaudissements et de bravi. La soprano russe
Irina Rindzuner partage les ovations avec le baryton azerbaidjanais. Elle habite le personnage d´Abigaille avec une intensité confondante et une voix très puissante au timbre si particulier avec ses raucités métalliques et de belles montées dans l´aigu suivies d´abruptes profondeurs dont elle dynamise les contrastes.
Irina Rindzuner vibre d´une présence scénique extraordinaire. Son Abigaille donne l´envie de l´entendre dans
Turandot, qu´elle a chanté notamment à Nice en novembre 2014 et reprendra à Oslo en 2016. Les autres rôles sont fort bien occupés, avec l´heureux choix de
Virginie Verrez, une jeune mezzo française qui fait un début de carrière prometteur et d´
Attilio Glaser, un jeune chanteur qui fait ici une prise de rôle en Ismaele, avec de beaux moments d´opéra comme le dialogue avec le choeur des Lévites dans "Per amor del dio vivente" ou dans le terzetto "S'appressan gl'istanti´".
Talia Or, une chanteuse à la clarté cristalline, donne une délicieuse Anna.
|
Irina Rindzuner |
Toute cette équipe jeune et dynamique a contribué à la réussite du premier grand opéra populaire d´ Oberammergau. Les choeurs, l´orchestre et les chanteurs sont justement célébrés par la standing ovation du public enthousiaste. Le charisme joyeux et entraînant de
Christian Stückl a une nouvelle fois soulevé les montagnes bavaroises!
Agenda
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire