Le cinéaste bavarois Marcus H. Rosenmüller signe sa première mise en scène d´opéra avec le Comte Ory de Rossini, un spectacle qu´il a conçu pour l´Opéra Studio du Bayerische Staatsoper. Rosenmüller s´est interrogé sur la personnalité d´Ory, un personnage qu´il avait de prime abord trouvé plutôt sympathique à la lecture du livret d´Eugène Scribe et de Delestre-Poirson. N´était-ce là qu´un vil séducteur profitant de l´absence des hommes partis à la Croisade pour faire tomber un maximum de femmes dans ses filets, qu´un manipulateur éhonté se déguisant en ermite puis en nonne pour faire succomber la Comtesse Adèle, femme prude et fidèle au serment juré à son frère? Rosenmüller déplace l´action du moyen âge aux années 1970, entre bowling et château, plutôt qu´entre cour et jardin, et fait du Comte Ory une rock star amateur de bowling et de jolies femmes qui l´adulent comme autant de groupies.
Avant même l´ouverture, le Gouverneur du comte traverse la salle et interpelle le public en lui demandant s´il sait où se cache Ory qui est devenu introuvable. Le rideau se lève alors que l´orchestre entame les premières notes sur un décor aérien rêveur et poétique: deux arbres morts déracinés, entre lesquels est suspendu un hamac, planent dans le vide et surplombent un sol jonché de pommes en bois géantes. Dans le hamac se repose le Comte Ory couché et tenant une guitare, rêvant sans doute de conquêtes et de séductions que symbolisent peut-être les pommes tentatrices qu´il surplombe.
Alors que l´ouverture s´achève, le décor d´un bowling nous est révélé, surmonté de deux enseignes lumineuses, désignant un bowling dont l´enseigne lumineuse annonce le nom: Château (décors de Doerthe Komnick). Ory n´est plus le faux ermite que l´on sait mais une star du rock ou de la pop, en coiffe corsaire et peignoir de catcheur qui recouvre un training lilas des plus flashy, avec un clin d´oeil appuyé à la scène du bowling du Big Lebowski des frères Coen. Rosenmüller, qui voulait actualiser l´action, a trouvé des similitudes entre le charisme de l´ermite et celui d´une idole de la chanson: la fascination des foules, l´empire qu´ils peuvent exercer sur elles, leur pouvoir de persuasion et de séduction, leurs pouvoirs de thaumaturges. Jette tes béquilles et marche! Par sa seule présence, le Comte Ory munichois guérit un homme blessé qui se débarrasse de ses cannes anglaises, son magnétisme est tel que ses adoratrices s´évanouissent. Et lorsqu´il lance sa boule sur la piste d´érable, et rate sa cible, les quilles tombent comme par enchantement. Toutes les femmes sont à ses pieds et s´offrent à lui avant même qu´il ne les y sollicite.
La transposition ermite/roi du rock fonctionne bien et renforce l´ambiguïté de la position de toutes ces femmes laissées pour compte en raison du départ à la croisade de leurs maris. Nombre d´entre elles sont prêtes à devancer l´appel aux jeux lascifs d´Ory et de ses compagnons. L´idée du bowling est bien trouvée, un lieu de divertissement, de rencontre et de promiscuité où le prétexte d´un jeu d´adresse permet toutes les démonstrations de la séduction et de la sensualité dans le déploiement kitsch de codes vestimentaires colorés des trainings ou des tenues d´aérobic, bien rendus par les costumes de Sophia Dreyer. On retrouve encore une allusion à l´ermite au moment où Ory se déshabille et dévoile le tatouage du mot CIEL gravé sur son ventre. Sans doute le ciel auquel aspirent les ermites est-il différent du septième ciel auquel Ory convie ses victimes d´ailleurs souvent consentantes.
Lorsque le gouverneur démasque le stratagème du Comte Ory à la fin du premier acte, celui-ci ne se laisse pas abattre mais imagine un second stratagème pour approcher la Comtesse Adèle. A la faveur d´un terrible orage fort bien rendu par Marcus H. Rosenmüller qui fait venir des percussionnistes sur scène pour en reproduire les grondements accompagnés des jeux de lumières évocateurs de Michael Bauer, et qui munit les habitantes du château de parapluies colorés, le Comte Ory et ses compagnons déguisés en nonnes demandent aux femmes du château de les accueillir. Clin d´oeil au bowling, les religieuses sont affublées de costumes grotesques en forme de quilles avec leurs coiffes surélevées et sphériques et leurs jupes en forme de montgolfières. Elles pénètrent dans l´univers féminin du château rendu par une série de stéréotypes qui évoquent les femmes au foyer, du repassage à l´epluchage des légumes ou du vélo d´appartement aux produits d´entretien, un univers de femmes confinées qui pour tromper l´ennui se font livrer une pizza ou regardent la télé.
Des nonnes en forme de quilles de bowling |
Marcus Rosenmüller excelle à rendre le ton léger et tonique de la farce qu´est cet opéra en variant les procédés du comique, comique de gestes, de caractères et de situation. La mise en scène est émaillée de belles trouvailles. Ainsi lorsque les hommes d´Ory déguisés en nonnes se transforment en vampires aux baisers sanguinolents qui s´accouplent aux femmes du château alanguies sur des tables, ou lorsque Raimbaud accompagne son récit d´une projection d´ombres chinoises sur un drap tendu. Les caractères sont plus complexes qu´il n´y parait, la comtesse n´est pas la Toute-Prude, pas plus qu´Ory n´est un Don Juan éhonté, l´ambiguïté règne en maîtresse. Le tercet final réunit le Comte, la Comtesse et Isolier dans un beau tableau. La fin rejoint le début: Adèle dans le hamac est entourée de ses deux soupirants, Ory et Isolier, assis sur des balancelles. Ory n´est pas vraiment puni du (double) travestissement d´Isolier, qui s´est déguisé en Adéle, puisqu´il finit par se retrouver dans le hamac avec la Comtesse et le page pour une scène de triolisme. Et le retour des croisés ne rétablira qu´un ordre moral apparent. Le pari de cette première mise en scène d´opéra est gagné haut la main par le cinéaste bavarois.
Elsa Benoit, Marzia Marzo et Matthew Grills |
A l´audace de la mise en scène répond l´enthousiasme des jeunes talents des membres de l´Opéra Studio, avec les trois grandes révélations du Comte Ory de Matthew Grills, de la Comtesse Adèle d´Elsa Benoit et de l´Isolier de Marzia Mazzo. Matthew Grills est un ténor aux luminosités solaires, impressionnant de justesse, rompu aux techniques du chant rossinien dont il maîtrise à merveille le vibrato et les trémolos, avec une belle projection de voix, puissant, avec des envolées phénoménales dans l´aigu, doté d´un humour vocal des plus amusants, un acteur engagé, fougueux, qui brûle les planches, un Ory des plus réussis, en un mot fabuleux. Elsa Benoit est unanimement saluée en Comtesse Adèle, la chanteuse enchante par une myriade de qualités dont l´étendue et l´agilité vocales ne sont pas les moindres, on apprécie la subtilité et le raffinement de ses ornements qui servent d´autant mieux le personnage qu´ils ne sont pas ostentatoires, ses montées flûtées vers l´aigu sont un pur ravissement, la diction et la projection de voix sont impeccables, enfin elle séduit par la finesse et la vivacité de son jeu scénique. L´Isolier de Marzia Marzo est lui aussi un pur délice avec le double travestissement androgyne de la chanteuse qui chante un personnage masculin qui se travestit en femme pour ridiculiser l´arrogant prétendant de sa belle. Marzia Marzo a un jeu de scène plein de subtilités , et parvient à donner le change même en débardeur! Dotée d´un timbre impressionnant, elle dispose d´un mezzo éclatant, riche et chaleureux, avec de belles couleurs sombres. On a là trois jeunes chanteurs de tout premier plan, qui semblent tous trois promis à un très bel avenir et dont on suivra la carrière avec grand intérêt. La Ragonde de l´américaine Rachael Wilson est tout aussi remarquable. Le Raimbaud de John Carpenter et le Gouverneur de Leonard Bernad, avec tous deux de belles profondeurs, sont de belle tenue, tout en manquant parfois de différenciation dans l´expression émotionnelle, mais il est vrai que leurs personnages sont moins définis et plus univoques que ceux des rôles principaux. Tous les chanteurs passent bien au-dessus de l´orchestre, important (plus de 30 instrumentistes) au regard du volume du théâtre rococo qu´est le Cuvilliés. La chef d´orchestre, Oksana Lyniv, se montre extrêmement attentive à tempérer la fougue joyeuse de l´orchestre pour l´harmoniser avec la performance des chanteurs et l´expressivité de leurs personnages. Elle est un chef précis, minutieux, très mobile et expressif, et, à entendre sa rigueur, on comprend que Kirill Petrenko l´ait choisie pour assistante au Bayerische Staatsoper. Elle semble éprouver un réel plaisir à interpréter la vibrante musique du Maître de Pesaro et nous le partage en donnant une grande soirée d´opéra comique.
Post précédent sur le sujet: interview d´Elsa Benoit
Crédit photographique: Wilfried Hösl
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