La Susanna d'Hannah-Elisabeth Müller (photo Wilfried Hösl)
Le Bayerische Staatsoper offre des soirées inoubliables. Ce fut encore le cas hier soir avec la reprise des Nozze di Figaro de Mozart dans une mise en scène de Dieter Dorn qui reste tout aussi intelligente et efficace qu'au moment de sa production en 1997. C'est une de ces soirées de pure jouissance où l'on peut s'installer confortablement dans les fauteuils récemment remplacés de l'opéra de Munich et savourer la musique et le chant sans avoir à se demander si on comprendra la modernité de la mise en scène. Dorn a su utiliser au mieux le livret et tirer avec brio toutes les ficelles du comique de situation mozartien. C'est rapide, rafraîchissant, intelligent, tout aussi vif, spirituel et révolutionnaire qu'au moment de la première viennoise en 1786. Dieter Dorn avait travaillé avec Jürgen Rose pour les décors. Par un jeu de toiles tendues, ils retravaillent l'espace scénique en le réduisant aux confortables dimensions de la future chambre à coucher de Susanna et Figaro, ou du salon de la Comtesse. La décoration sobre et allusive, les éléments de mobilers, les costumes et les perruques dus eux aussi à Jürgen Rose situent l'action exactement là où on l'attend, à la fin du 18ème siècle. Trois grandes doubles portes, une côté cour, une côté jardin, et une troisième donnant vers le fond de scène permettent de situer ou de clôturer l'espace. Quand Cherubino est pris au piège de l'enfermement voulu par le conte, il ne lui reste plus qu'à sauter d'une fenêtre supposée, c'est-à-dire dans la fosse d'orchestre. Dieter Dorn a seulement interprété le dernier acte, situé traditionnellment dans les taillis du parc de la demeure contale en le faisant se dérouler dans une pièce nue, sans portes, avec seulement des baies ouvertes, comme dans une construction inachevée. Le sol est jonché de draps blancs. Plutôt que de se cacher derrière les arbustes ou les statues du parc, les protagonistes de la farce finale rampent sous les draps ou s'en recouvrent; on comprend en tout cas tout de suite la convention: le personnage couvert cherche à se dissimuler à la vue d'autrui, sans rien perdre de la scène, ou presque.
A Munich, l'excellence de l'orchestre et des choeurs n'est plus à souligner si ce n'est pour attribuer à ces musiciens et à ces chanteurs un summa con laude. L'énergique Dan Ettinger au pupitre commence par une ouverture en fanfare et fera swinguer les Noces tout au long de la soirée en dansant littéralement le rythme insufflé par le Divin Mozart. Et puis, et surtout, il y a l'intelligence du casting, avec ses grands classiques et ses découvertes, un casting sans l'ombre du plus petit bémol, tout simplement grandiose.
Et d'abord les chanteurs fabuleux et complices que sont Erwin Schrott et Gerald Finley, qui ont déjà chanté les Noces ensemble (voir ou revoir le dvd de Covent Garden en 2008). Le Figaro d'Erwin Schrott avec toute la richesse profonde et la sensualité virile de son baryton chaud et sonore et son talent de comédien né, avec un charisme et une présence scéniques tels qu'il peut parfois parler ses récitatifs tant ils sont bien joués. Ce grand chanteur incorpore ses rôles, il devient Figaro aujourd'hui, Leporello demain, il leur donne vie, mais avec une telle personnalisation que l'inverse est vrai aussi: Figaro ou Leporello deviennent Erwin Schrott, l'osmose est réciproque, un régal pour le public. Face à lui, Gerald Finley donne un conte aussi fougueux et impulsif qu'égocentrique, avec une forte présence scénique, égale à celle de son partenaire de scène, et une voix puissante au timbre magnifique. La Comtesse de Véronique Gens est une pure merveille: le public retient son souffle dès qu'elle entame son Porgi, amor, qualche ristoro du deuxième acte, et son récitatif et air du troisième acte E Susanna non vien... Dove sono procure la même émotion et le même bonheur. Elle revient pour le rôle à Munich la saison prochaine, où on pourra aussi l'entendre en Elvira et la découvrir en Alice Ford. Kate Lindsey donne un Cherubino avec des ornements fins et subtils. Une des toutes grandes joies de la soirée est la Susanna d'Hanna-Elisabeth Müller, une chanteuse de la troupe du Bayerische Staatsoper et une superbe étoile montante dans le ciel munichois, avec une voix fraîche, souple et juvénile, d'une grande clarté de son comme de prononciation et de la facilité dans l'aigu. Cette même fraîcheur se retrouve dans la Barbarina d'Elsa Benoît qui rend bien toute la vivacité gourmande du personnage, prête à dévorer le dévoreur qu'est Cherubino. Les rôles comiques ne sont pas en reste, Ulrich Reß est à mourir de rire dans son excellente interprétation de Basilio, et Peter Lobert amuse beaucoup tant en jardinier bougon et offusqué qu'en maître du sérail des femmes du choeur. On le suivra avec intérêt la sasion prochaine dans pas moins de huit opéras au Théâtre national. Umberto Chiummo et Heike Grötzinger forment le couple Bartolo-Marcellina, un beau duo d'acteurs.
Un tonnerre d'applaudissements reconnaissants a salué tous les acteurs de cette excellente soirée festivalière.
Prochaines représentations en décembre, avec un plateau en partie modifié, mais où l'on retrouve Gerald Finley et Véronique Gens.
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