Sophie Dartigalongue a remporté une double victoire au Concours international de musique ARD dans la catégorie basson. Le concours ARD est sans doute le plus célèbre au monde pour cet instrument. Sophie Dartigalongue a 22 ans, elle arrive au terme d'une formation qu'elle a commencé alors qu'elle avait treize ans, sa jeunesse ajoute encore au mérite de sa victoire.
Sophie Dartigalongue, vous venez de participer avec grand succès au Concours international de musique ARD dans la catégorie 'basson', vous y avez remporté un deuxième prix ex aequo, le premier prix n'ayant pas été attribué, ainsi que le prix du public. Vous avez été engagée en mai dernier comme contrebasson par le Berliner Philarmoniker, un des orchestres les plus renommés au monde, et vous couronnez aujourd'hui un parcours de vie musicale impressionnant par cette double victoire. Voudriez-vous évoquer votre parcours personnel? A quel âge avez-vous abordé le basson ? Et qu'est-ce qui vous a poussée à faire ce choix. Quelle est votre parcours de formation?
S.D.: Le basson n'a pas été mon premier instrument, j'ai commencé ma formation musicale avec la guitare, puis la clarinette avant de commencer le basson en 2003. J'ai tout de suite adoré la sonorité de cet instrument. J'ai intégré ensuite le Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon dans la classe de Carlo Colombo et Jean Pignoly où j'ai été diplômée d'une licence en juin 2011. Puis j'ai été admise à l'académie Karajan de l'Orchestre philharmonique de Berlin où j'ai eu pour tuteur Daniele Damiano, avant de gagner le concours pour la place de contrebasson solo dans ce même orchestre en décembre dernier. Je suis actuellement encore en master à la Hochschule de Berlin où j'étudie avec V.Tessmann.
Sur quel type de basson jouez-vous et quelles sont les raisons de ce choix?
S.D.: Je joue un instrument de marque Püchner. J'aime beaucoup cet instrument, il est très flexible, très homogène, il correspond à mon esthétique de jeu.
Pourquoi vous être présentée au Concours international de l'ARD? Dans votre discipline, quelle est l'importance de ce concours au niveau international? A quels autres concours peut-il être comparé?
S.D.: Le concours de l'ARD est pour nous bassonistes le concours le plus prestigieux. Il n'est pas comparable à un autre comme il peut l'être pour d'autres disciplines (je pense au piano ou au chant par exemple). Il est donc important pour tout bassoniste voulant se faire connaître sur la scène internationale de faire ce concours. Pour ma part, j'ai participé à un certain nombre de concours internationaux où j'ai été lauréate, j'ai gagné une dizaine de compétitions. L'ARD représentait la dernière étape de ma période "concours". De plus il y a réellement des possibilités d'engagement à l'avenir.
Quelle stimulation apporte la participation à un tel concours? Relever ce type de défi nourrit-il votre travail de musicienne?
S.D.: Ce concours demande de se surpasser, déjà comme tout gros concours international il comporte quatre tours et un total de 9 pièces, ce qui représente environ 2h30 de programme. Il est étalé dans le temps puisqu'il se passe environ dix jours entre le premier jour du premier tour et la finale. Je dirais que c'est à la fois de l'endurance ( on doit bien gérer son temps pour rester efficace tout au long du concours) et du ponctuel. Il s'agit de ne pas se concentrer uniquement sur les pièces d'un tour en oubliant les autres et de garder une vision globale du programme pour éviter d'avoir en fin de parcours à jouer une pièce qu'on n'a plus vue depuis une semaine et en même temps d'être très efficace à chaque tour. C'est également un réel travail sur soi, une gestion du stress, un rapport à la scène différent d'un concert.
Vous avez conquis le public tout au long du concours, et avez recueilli un énorme succès. A votre avis, quels sont les éléments qui suscitent un tel engouement ? Pourriez-vous tenter d'analyser les spécificités et les qualités de votre interprétation des oeuvres pour basson? Quelles qualités vous efforcez-vous de développer ? Vous êtes-vous sentie soutenue par le public munichois?
S.D.: Le public Munichois est très agréable, connaisseur, mais comme tout public il faut aller le chercher, le convaincre, l'emmener avec soi et partager sa musique. Dans mon travail et dans mon jeu j'ai toujours privilégié le côté musical au côté technique. Je cherche à toucher le public, à lui faire vivre quelque chose à travers le son, la ligne, à transmettre l'émotion. Il n'y a rien de plus beau pour moi que quelqu'un qui vient me voir à la fin d'un concert et qui me dit qu'il a eu les larmes aux yeux, parce que finalement ma conception de la musique c'est ça, un langage qui va au delà des mots pour transmettre des émotions de toutes sortes.
En finale, vous avez choisi d'interpréter le Concerto pour basson, orchestre à cordes, harpe et piano d'André Jolivet. Qu'est-ce qui a présidé à ce choix? Et ce choix est-il aussi tactique?
S.D: Le choix est tactique en effet, le concerto de Jolivet pour basson est une des pièces du répertoire la plus difficile, mais si elle est bien interprétée elle "paie" beaucoup. C'est aussi une oeuvre très belle, très riche, Jolivet a réussi à y synthétiser beaucoup d'influences musicales, mariant le jazz à une écriture très contemporaine dans le premier mouvement puis un deuxième mouvement très inspiré du style francais du début du 20' siècle. C'est également remarquablement écrit pour basson avec une réelle maîtrise des registres, des possibiltés de l'intrument qu'il exploite jusqu'à ses limites, et très difficile pour l'orchestre, il aurait été dommage de ne pas profiter de l'opportunité de jouer cette pièce avec le Rundfunk Orchester. On a rarement l'occasion en temps que bassoniste de jouer avec un ensemble de ce niveau.
Quant à l'oeuvre imposée d'Evis Stammoutis, avez-vous rencontré des difficultés lors du déchiffrage de la partition? Dans quelle optique avez-vous préparé votre interprétation? Avez-vous eu le sentiment de participer à la création mondiale de l'oeuvre? La partie du piano dans cette oeuvre ne vous semble-t-elle pas prédominante, et, si c'est le cas, cela rend-t-il la tâche du bassoniste particulièrement délicate? Pour de nombreux profanes qui ont découvert cette oeuvre, la composition d'Evis Stammoutis reste inaccessible parce qu'elle entraîne dans un monde sonore inhabituel. Faut-il être un professionnel de la musique pour apprécier ce type de composition? N'y a-t-il pas un danger d'hermétisme et d'élitisme?
S.D.: L'oeuvre de Sammoutis... Je dis simplement dommage, dommage parce c'est une pièce qui à mon avis aura une durée de vie très courte. Etant quasiment injouable en l'état je pense que personne n'aura à l'avenir envie de se donner autant de mal pour aussi peu de résultat. Surtout dans un contexte de concours, à moins de venir avec son propre pianiste, il est impossible de jouer avec cohésion avec piano. Dommage aussi parce qu'il y a des choses très réussies dans cette pièce (beaucoup de jeux de couleurs par exemple) mais trop de choses non abouties. Rien que la partition elle même n'est pas soignée, l'usage des clefs parfaitement arbitraire, un équilibre piano basson à revoir.
Je n'ai pas eu l'impression de participer à une création mondiale non. J'ai essayé de donner á la pièce le plus de caractère possible, j'ai fait du théâtre, la pièce s'y prête bien.
Je ne pense pas qu'il faille être un professionnel de la musique pour apprécier la musique contemporaine, non, un public apprécie la musique pour peu qu'il y en ait, ou apprécie un monde sonore, un ambiance, un concept. Le problème avec la musique contemporaine est que le temps n'a pas encore fait le tri entre les bonnes compositions et les mauvaises... Il n'y a pas de danger d'hermétisme où d'élitisme selon moi, le public se trompe rarement, sans public ou auditeur la musique n'a pas lieu d'être, par contre on peut amener un public petit à petit vers un monde sonore différent, seulement il faut le temps d'adaptation nécessaire. Si l'auditeur s'ennuie c'est que le message n'est pas passé et donc qu'il y a un problème quelque part. D'ailleurs un non professionnel de la musique est souvent bien plus ouvert qu'un professionnel.
Si vous vous mettez un instant à la place du jury, quels sont selon vous les critères d'appréciation des membres d'un jury pour estimer l'interprétation d'une bassoniste?
S.D.: Il y a deux catégories de critères je pense, je dirais que la première est l'approche technique, des critères comme la justesse, le son, le volume. La deuxième est beaucoup plus subjective, on va juger le style, la musicalité...
Nous avons tous été frappés par le fait que les finalistes du Concours ARD aient toutes trois été des femmes. Est-ce que c'est dû au simple hasard du concours, ou les femmes ont-elles une approche particulière de cet instrument ? Y a-t-il des bassonistes femmes célèbres ? Les femmes ont-elles toujours eu accès à la pratique de cet instrument, ou est-ce récent dans l'histoire de la musique et de ses interprètes ?
S.D.: Je crois que cette finale féminine est un pur hasard, c'est d'ailleurs le cas pour les disciplines violon et alto ou il n'y avait pas d'homme non plus. Je ne crois pas qu'il faille en tirer des conclusions, il est vrai que depuis quelques années on voit de plus en plus de filles dans les conservatoires mais de là à dire qu'on ait une approche particulière de l'instrument je ne crois pas. Il est vrai aussi que les grands noms du basson sont majoritairement masculins, mais je pense que pour le basson comme pour le reste on tend petit à petit vers un équilibre Féminin/Masculin ce qui était loin d'être le cas il y a encore quelques années. La pratique du basson par les femmes n'est pas nouvelle, par exemple on dit que c'est pour une femme que Vivaldi à composé plus de quarante concertos pour basson.
Quelles pourraient être les répercussions de votre victoire au concours ARD 2013 sur votre carrière ?
S.D.: Un prix à l'ARD s'accompagne très souvent d'engagements en solistes, c'est un bon tremplin, mais ça ne fait pas tout.
Merci, Sophie Dartigalongue, d'avoir bien voulu vous prêter au jeu de l'interview, et d'avoir apporté votre éclairage professionnel sur la pratique de votre instrument ainsi que sur certaines des oeuvres que vous avez jouées lors du concours. Le public munichois aura encore le plaisir de pouvoir venir vous écouter cette semaine à l'occasion des Concerts des lauréats du Concours international de musique ARD 2013.
Les concerts des lauréats en livestream
Ces concerts auront lieu les 18, 19 et 20 septembre à Munich. La radio bavaroise BR-Klassik les diffuse également en livestream: le 18 septembre à 20 H(Livestream), le 19 septembre à 20 H (Livestream) et le 20 septembre à 20H(Livestream)
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