Crédit photographique: Dorothee Falke/ARD Musik Wettbewerb |
Le Trio Karénine, deux fois vainqueurs du Concours international de musique ARD 2013, a bien voulu répondre aux questions de Munichandco une fois l'extrême tension du concours retombée. Anna Göckel (A.G.) au violon, Paloma Kouider (P.K.) au piano et Louis Rodde (L.R.) au violoncelle ont séduit le public munichois par l'intelligence et la sensibilité exquises de leurs interprétations, des qualités que l'on retrouve dans chacune de leurs réponses tout au long de l'entretien.
Anna Göckel, Paloma Kouider, Louis Rodde, bonjour et merci d'avoir accepté de vous livrer à cette interview. Votre trio avec piano, le Trio Karénine, vient de participer avec succès au Concours international de musique ARD. Le jury vous a décerné un deuxième prix ex-aequo avec le trio Van Baerle et vous avez aussi reçu le prix de la meilleure interprétation de l'oeuvre imposée.
Comment votre trio s'est-il constitué?
L.R : C'est dans un contexte d'amitié que nous avons commencé à travailler ensemble. Paloma et moi étions très proches depuis longtemps quand, en septembre 2009, nous avons décidé de fonder un groupe de musique de chambre ensemble. Je connaissais une jeune violoniste au conservatoire de Paris avec qui je pensais que Paloma s'entendrait bien car elles partagent un enthousiasme commun pour la recherche musicale. Je ne m'étais pas trompé, puisque quatre ans plus tard, nous sommes toujours aussi heureux de travailler ensemble!
Pourquoi avoir choisi le nom de Karénine pour désigner votre trio?
A.G. : Nous avons la chance de partager tous trois une passion pour la littérature, et Karénine est donc un hommage direct au roman de Tolstoï. Ce que nous trouvons formidable dans ce roman, c’est le fait d’être plongé simultanément dans des conceptions de la vie très différentes suivant chaque personnage. Ces confrontations nous les vivons souvent en musique de chambre ! Ce qu’on en retient est aussi un grand message d’espoir, cette sincérité et cet élan vital des sentiments…
Pourquoi vous être présentés au Concours international de l'ARD? Dans votre discipline, quelle est l'importance de ce concours au niveau international? A quels autres concours peut-il être comparé?
A.G. :Dans les concours qui existent dans le monde, l’ARD représente pour les trios avec piano une sorte d’Everest. En tant que violoniste je dirais qu’il est pour moi le concours Reine Elisabeth des Trios avec piano ! Il reçoit dans le milieu musical une reconnaissance unanime qui est très précieuse, et qui j’espère, nous ouvrira les portes de belles salles !
Votre trio a déjà participé avec succès à d'autres compétitions, vous avez remporté l'an dernier le premier prix du 27ème Concours international de musique de chambre Charles Hennen aux Pays-Bas. Quelle stimulation apporte la participation à ce type de concours? Relever ce type de défi nourrit-il votre travail de musiciens?
A.G : Présenter un concours n’est pas un but en soi, c’est plutôt un moyen de frayer notre chemin dans le paysage musical. Il s’avère que préparer ces compétitions nous pousse à enrichir notre répertoire, et que c’est bien souvent aussi l’occasion de rencontres importantes, que ce soit avec les membres du jury, avec les organisateurs de concerts, avec le public.
La pression qui résulte de ces événements nous pousse certes à nous dépasser, mais ce stress bien particulier nous enlève sans doute quelques années de vie !
Quelles sont selon vous les clés de votre succès? Quels sont les éléments qui font la réussite d'une interprétation d'une oeuvre pour trio avec piano? Quelle est l'originalité, la spécificité de votre trio? Sur le plan musical, à quoi êtes-vous particulièrement attentifs dans leur interprétation ?
P.K : Si par succès vous évoquez la reconnaissance que nous avons obtenue au concours de l’ARD, je crois qu’il n’y a pas de chemin tout tracé! Nous avons fait le choix de ne pas prendre l’autoroute, mais les chemins de traverse, les plus bucoliques si possibles ! Nous avons tâché dès notre formation de nous concentrer sur l’essentiel, la musique, et d’être dans la démarche la plus authentique possible. Bien sûr, de manière pragmatique, une des clefs essentielles reste les quelques heures de travail accomplies !!!
En ce qui concerne plus précisément le travail sur le répertoire de trio, ce vers quoi l’on tend dans chaque œuvre est d’être de « plein pied » dans le style du compositeur : s’approcher le plus possible de l’esprit de l’œuvre, essayer d’en extraire sa « substantifique moelle », ce qui en fait son unicité, sa poésie propre… Tout cela, nous le puisons non seulement dans le texte musical, mais aussi dans la littérature, la peinture… tout ce qui peut exercer notre sensibilité de musiciens…
Notre trio est encore tout jeune, mais ce qui œuvre peut-être déjà à une certaine spécificité est le fait qu’il se soit nourri dès sa formation de conseils de quartettistes (le Quatuor Ysaÿe à Paris, ainsi que Hatto Beyerle rencontré à la European Chamber Music Academy –ECMA) ; les conseils de pianistes, je pense à Jean-Claude Pennetier, Menahem Pressler et Ferenc Rados, sont venus plus tard. Or, un quartettiste se concentre avant tout sur cette fusion des sons des quatre membres. On parle du « son d’un quatuor », moins souvent du « son » d’un trio. Cette obsession du son, de la fusion de timbres pourtant plus éloignés que ceux d’un quatuor par la présence du piano, nous la tenons de cette formation. Que les sons s’enrichissent les uns les autres tout en gardant leur personnalité propre. S’inspirer mutuellement, c’est un peu ça la musique de chambre et c’est aussi ce qui nous guide dans notre travail quotidien.
Quant à l'oeuvre imposée de Fazil Say, avez-vous rencontré des difficultés lors du déchiffrage de la partition? Dans quelle optique avez-vous préparé votre interprétation? Avez-vous eu le sentiment de participer à la création mondiale de l'oeuvre?
L.R: Nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler la pièce de Fazil Say. Elle présentait certes quelques difficultés rythmiques, mais elle est écrite avec un élan très proche de l'improvisation, qui en fait un pièce que l'on peut interpréter avec beaucoup de naturel. La pièce est inspirée de l'exploit de Felix Baumgartner qui a effectué un saut depuis la stratosphère. Il y a une vidéo incroyable sur internet; la trame de la partition correspond parfaitement à celle de cette vidéo, et nous avons essayé de faire appel à notre imagination pour nous mettre a la place du héros! La musique de Fazil Say a des infuences Jazz, Pop, Rock. C'est une musique qui mixe habilement la grande tradition musicale et des visions de la création musicale d’aujourd'hui, au-delà des barrières du classique. Nous nous sommes plu à brouiller les pistes !
Pendant votre prestation, on a pu remarquer combien vous étiez souvent en contact visuel les uns avec les autres? Quelle est l'importance de ce contact, son utilité?
A.G. : Que ce soit pour unir les vitesses d’archets entre violon violoncelle, pour respirer à trois, la communication par les regards fait partie intégrante du jouer ensemble. Le contact entre musiciens est au cœur de la musique de chambre ; qu’il soit visuel ou sonore, il nous permet à la fois de dialoguer et de fusionner.
Pourriez-vous évoquer les choix du répertoire de votre trio?
L.R: En trio avec piano, nous sommes vraiment gâtés en terme de répertoire. C'est d'ailleurs bien pour cela que nous nous investissons dans cette formation! Depuis Haydn jusqu'à la musique de notre temps, c'est une succession de chefs-d'oeuvre qui culmine sans doute avec les grands trios romantiques allemands de Schubert, Schumann, Brahms, ainsi qu'avec les trios de Beethoven. Nous adorons travailler ce répertoire, et gardons également une place chère à notre coeur aux trios français de Ravel ou Fauré. Nous nous investissons également dans la création contemporaine, car c'est aussi par l'interaction entre les compositeurs et les interprètes que la création avance! Nous avons notamment créé cette année un trio que le jeune compositeur français Benoît Menut a choisi de nous dédier, trio inspiré d'une nouvelle de l'écrivain russe Ivan Bounine, "Les Allées Sombres". Enfin, nous essayons de donner également des pièces moins connues que nous sommes amenés à découvrir: cela a été le cas du magnifique trio de Mieczyslaw Weinberg que nous avons donné pour le second tour du concours.
Pensez-vous que le fait d'avoir remporté le concours influencera votre carrière et les possibilités d'engagement de votre trio?
P. K : Notre récompense au concours de l’ARD est encore toute récente ! Pour l’instant nous profitons de cette belle reconnaissance qui vient d’abord couronner un travail artistique. Mais bien sûr, comme tout musicien, nous aspirons à jouer dans des salles et des conditions qui nous permettraient de donner le meilleur…
Anna Göckel , Paloma Kouider, Louis Rodde, merci d'avoir consacré du temps, un bien particulièrement précieux en temps de concours, à répondre à ces quelques questions. Le public munichois aura encore le plaisir de pouvoir venir vous écouter cette semaine à l'occasion des Concerts des lauréats du Concours international de musique ARD 2013.
Les concerts des lauréats en livestream
Les concerts des lauréats en livestream
Ces concerts auront lieu les 18, 19 et 20 septembre à Munich. La radio bavaroise BR-Klassik les diffuse également en livestream: le 18 septembre à 20 H(Livestream), le 19 septembre à 20 H (Livestream) et le 20 septembre à 20H (Livestream)
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