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samedi 26 juillet 2025

Das Land des Lächelns par le Théâtre d'opérette de Budapest au Deutsches Theater de Munich

 

Après une longue absence, le Théâtre d'Opérette de Budapest est revenu à Munich à l'invitation du Deutsches Theater, où il avait connu de véritables triomphes dans les années 1980. Cet été, c'est toute la troupe du théâtre de la capitale hongroise qui a fait le déplacement pour présenter deux de ses productions de ces dernières années : la Csárdásfürstin d'Emmerich Kálmán et de Das Land des Lächelns (Le Pays du Sourire) de Franz Lehar.  Les deux productions hongroises sont pour la première fois représentées en Allemagne.

C'est l'occasion de découvrir sur scène Le Pays du Sourire qui fut  autrefois l'une des opérettes les plus jouées, mais qui est de nos jours rarement programmée. Lors de sa création au Metropol-Theater de Berlin en 1929, la Chine était encore exotique et peu connue du public amateur d'opérettes. Das Land des Lächelns est une œuvre tardive de Franz Lehár, elle n'est en fait qu'une nouvelle version d'une œuvre antérieure de Lehár, Die gelbe Jacke (La Veste jaune, créée à Vienne en 1923). Cette adaptation, créée longtemps après La Veuve joyeuse (1905) et Le Comte de Luxembourg (1909, est l'un des succès marquants de la carrière du compositeur : Le Pays du Sourire était à ses yeux la meilleure de ses opérettes. Comme tant d'autres de ses confrères, il s'était laissé gagné par la fièvre de l'exotisme asiatique. Cet élève de Dvořák considérait l'auteur de Madama Butterfly et de Turandot comme son véritable maître.

Le titre de l'opérette est trompeur. Au pays du sourire, il s'agit surtout de ne pas perdre la face et de faire bonne figure, tout en suivant un codex comportemental rigide. Si l'exotisme est bien présent dans l'oeuvre, Lehár met encore davantage l'accent sur la différence culturelle entre la société occidentale, qui se dit éclairée, et la société chinoise patriarcale et autoritaire. 

Le bal du général. L'élégance bleue du monde yang.

La pièce tourne autour d'une histoire d'amour : le général Lichtenfels organise un bal en l'honneur de sa fille Liza, dont on se rend bien vite compte qu'elle est une jeune femme émancipée. Cavalière d'exception, elle a remporté un concours d'équitation dont on lui remet le trophée : une pièce d'orfèvrerie qui représente Pégase, le cheval ailé. L'ambassadeur de Chine, le prince Sou-Chong, pour qui Liza nourrit secrètement de tendres sentiments, est également invité à la soirée qu'il honore de sa présence accompagné de sa sœur, la princesse Mi. Mi est enchantée par les coutumes de l'Occident. Durant son séjour elle a découvert le tennis, une passion qu'elle avoue au comte Gustav von Pottenstein, qui pratique lui aussi ce sport. Elle filtre avec le comte, mais son coeur n'est plus à prendre, il est depuis longtemps amoureux de Liza. Au cours de la soirée, un télégramme est remis au prince. Il lui apprend qu'il a été nommé président de son pays où il est est rappelé d'urgence. Liza décide alors de lui révéler ses sentiments. Sou-Chong, qui ne veut pas perdre la jeune fille dont il est lui aussi amoureux, l'emmène en Chine. 

Le comte Gustav von Pottenstein (Güstl) et la princesse Mi

Le bonheur du couple est assombri par la haine du dirigeant conservateur du pays envers la nouvelle Européenne. Zang, oncle du prince devenu président, exige que Sou-Chong épouse quatre nobles mandchoues de haut rang, selon la coutume codifiée par la loi chinoise. Les quatre nobles chinoises ont déjà été choisies et la date du mariage est fixée. Sou-Chong semble accepter le mariage, mais il ne veut absolument pas abandonner Liza. Au cours de cérémonies fastueuses, Sou-Chong reçoit la plus haute distinction : le manteau jaune. Cependant, à peine le prince est-il laissé seul que les contradictions entre lui et les conservateurs commencent à éclater. L'oncle  Zhang déteste l'Européenne et est outré par ses manières de femme émancipée. Il réprimande sévèrement sa nièce Mi pour s'être adonnée au tennis sous l'influence de Liza. Cependant, Sou-Chong ne veut se plier qu'aux exigences formelles de l'ancienne coutume, il épousera les quatre femmes pro forma, mais refuse d'en devenir le véritable époux et de renoncer à Liza. 

Une scène comique. Le comte von Pottenstein soudoie le grand Eunuque.

C'est alors qu'arrive  le capitaine von Pottenstein. Pressentant que la jeune femme pourrait se trouver en difficulté, il  s'est fait désigner pour une mission en Chine. Il apprend de la bouche du grand Eunuque le quadruple mariage prochain du prince-président et en informe Liza, qui n'a plus d'autre choix que la fuite. Pottenstein compte sur l'aide de Mi pour tenter de s'échapper. Cependant, il s'avère que toutes les portes et tous les passages secrets sont verrouillés. Mi suggère alors de fuir par la chapelle. Lorsque le comte ouvre la porte de la chapelle, les fuyards se figent à la vue inattendue du prince qui bloque la voie, fixant les fugitifs d'un regard figé et lugubre. Le prince tente de retenir Liza par la force, puis, sous la supplique de la jeune femme, il prend conscience que tout est fini et consent à son départ. Il  sacrifie symboliquement la photo de Liza sur un autel de Bouddha. Le mariage multiculturel a échoué et, contrairement aux règles du genre, l'opérette ne se termine pas sur une fin heureuse. Le futur de Liza n'est pas mentionné, elle est de facto déshonorée mais on peut supposer qu'elle épousera le comte.


La mise en scène de Stephen Medcalf accumule les clichés sur la Chine et les milieux de cour chinois. Une immense face jaune occupe une porte centrale en forme d'oculus, qui sert bientôt d'écran à des séquences de films en noir et blanc qui illustrent la Chine de 1929. Peut-être faut-il y voir une allusion à l'ancienne pratique théâtrale du yellowface,  aujourd'hui considérée, tout comme le blackface, comme un stéréotype raciste. Elle consistait à grimer et à costumer de manière caricaturale un acteur blanc pour le transformer en un personnage asiatique. Et justement lors de la première scène, c'est le contraire qui se produit ! On se trouve dans la demeure du général viennois qui donne une réception pour l'anniversaire de sa fille. Le Prince Sou-Chong et sa sœur la princesse Mi sont de la partie. On les voit retoucher leur maquillage (Est-ce un exemple du whiteface ? Il faut avant tout paraître et faire bonne impression, ressembler aux blancs chez qui ils sont invités) avant de se mêler aux invités. Sou-Chong, amoureux de Liza, lui apporte un Bouddha ancestral très précieux. Liza, qui venait de recevoir une statuette en argent figurant Pégase, donne une place d'honneur au Bouddha. Pégase, symbole de liberté, lui donnera des ailes pour rejoindre le pays du sourire.

Liza frappée d'ostracisme par le monde ying

Pour le palais viennois, la scénographe Erzsébet Túri a concu un décor Jugendstil qui reproduit en de multiples arabesques le motif art nouveau du coup de fouet. La couleur prédominante du décor viennois est le bleu. Plus avant, c'est le rouge qui dominera dans le décor du palais chinois. Stephen Medcalf oppose le rouge chinois au bleu viennois : cette Chine d'opérette est régie par des principes rigides, ce qu'exprime aussi la chorégraphie rigide, quadrangulaire, des danseurs tout de rouge vêtus. Au bleu correspond le rond et la courbe, le décor Jugendstil adopte la courbe du plateau tournant, au rouge correspond la rationalité et le carré, qui prédomine dans le décor du palais chinois. Le yin est bleu et féminin, le yang est rouge et masculin. Ces contraires ont tenté de se rapprocher : dans le palais chinois, Liza vêtue de bleu a offert son portrait au prince son époux, un portrait dans un cadre ovale dont le bois est peint en bleu. Dans la philosophie chinoise le yin et le yang sont à la fois complémentaires et opposés. Dans l'opérette, l'opposition finit par l'emporter sur la complémentarité.  Les costumes colorés très réussis de Krisztina Berzesenyi expriment la même symbolique. 

Le triste retour au pays

C'est à nouveau Gyula Pfeiffer, le directeur musical du théâtre d'opérette, qui est au pupitre. Il dirige l'orchestre avec un enthousiasme marqué pour cette musique qu'il affectionne, une détermination enjouée qui séduit. Les chanteurs sont inégaux dans leur pratique de l'allemand, certains y excellent et s'amusent à imiter l'accent viennois, d'autres, dont l'allemand est acceptable dans les dialogues parlés, manquent de projection dans le chant dont on n'entend plus que les notes. C'est notamment le cas de la chanteuse qui incarne Liza, lorsqu'elle se lance dans des aigus étourdissants qu'elle projette comme autant de fusées sonores. Les rôles secondaires, notamment celui de Güstl et de la princesse Mi, que réunit leur goût du tennis, sont tenus par d'excellents interprètes. Toute la troupe a le sens du théâtre, les jeux d'acteurs sont convaincants. Toute la mise en scène est fort bien orchestrée et d'un beau dynamisme.

Cette deuxième production du Théâtre d'Opérette de Budapest n'a pas rencontré le même succès que la première. Le public plus clairsemé a certes réservé des applaudissements chaleureux à la troupe hongroise, mais on reste loin de  la ferveur des acclamations remportées par la Csárdásfürstin.

Conception et distribution du 23 juillet 2025

Direction d'orchestre Gyula Pfeiffer
Mise en scène Stephen Medcalf
Chorégraphie Bajári Levente
Lumières Péter Somfai
Costumes Krisztina Berzesenyi
Scénographie Erzsébet Túri

Prince Sou-Chong Ninh Duc Hoang Long
Liza Diána Kiss
Comte Gustav von Pottenstein Attila Erdős
Mi Luca Bojtos
Tschang Zoltán Kiss
Comte Lichtenfels Gábor Dézsy Szabó
Amália Mónika Vásári
Eunuque en chef Tamás Földes
Fu-Li Tibor Oláh
Général Gergely Altsach

Orchestre, choeur et ballet du Théâtre d'Opérette de Budapest

Crédit photographique© Art&Lens Photography

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