Le Sacre du Printemps, corps du Ballet bavarois © Serghei Gherciu |
La Semaine festive 2025 du Ballet d'État de Bavière innove cette année en proposant une nouvelle production intitulée Wings of Memory (Les Ailes de la Mémoire), une trilogie qui réunit trois chefs-d'œuvre chorégraphiques qui font tous référence à des étapes importantes de l'histoire de la danse et de la musique. La mémoire donne des ailes ! La mémoire du passé peut constituer une source d'inspiration pour la création chorégraphique contemporaine. Bella Figura de Jiří Kylián, créée à La Haye par le Nederland Dans Theater en octobre 1995, est considérée comme l'une des œuvres les plus réussies de la période de création intermédiaire du chorégraphe tchèque. Elle entraîne neuf danseurs dans un « voyage à travers le temps, l'espace et la lumière », selon les termes du chorégraphe. Le Faune de Sidi Larbi Cherkaoui, qui connut sa première en 2009 au Sadler’s Wells Theatre, ne peut être envisagé sans faire référence au spectacle de danse-théâtre chorégraphiée par Vaslav Nijinsky en 1912 sur le Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy. Enfin, la chorégraphie de Pina Bausch, Le Sacre du Printemps, créé en 1975, est basée sur la musique éponyme du ballet de Stravinsky, un jalon de l'histoire du ballet qui avait fait scandale lors de sa création, ses détracteurs avaient qualifié l'œuvre de "massacre du printemps."
Crédit photo © Katja Lotter |
Bella Figura
Bella Figura, la pièce emblématique de Jiří Kylián, s’impose comme une réflexion troublante sur la beauté, l’illusion et la vulnérabilité. Entre ombre et lumière, nudité et artifice, les corps se dévoilent dans une danse qui oscille entre maîtrise et abandon. Plus qu’une performance, c’est une interrogation : où commence réellement le spectacle? Sur scène, dans les coulisses, ou dans la vie elle-même? Bella Figura devient une expérience totale, un voyage où la danse révèle ce que les mots ne peuvent exprimer. Jiří Kylián présentait sa création en ces termes :
" Un voyage dans le temps, la lumière et l'espace, dirigeant l'ambigüité de l'esthétique, des spectacles et des rêves. Trouver la beauté dans une grimace — dans un repli de l'esprit — ou dans une contorsion physique entre le prétendu art et l'artificiel — entre la réalité de la vie ou la fantaisie — cette zone médiane crée une tension qui m'intéresse. C'est comme se tenir au bord d'un rêve. Se tenir dans le noir ou fixer une lumière éblouissante les yeux fermés — doublant chaque parcelle de notre soi-disant réalité. Le moment dans lequel le rêve se mêle à nos vies et la vie à nos rêves - voilà l'objet de ma curiosité. Simplement — une sensation de tomber dans un rêve et de se réveiller avec une côte cassée ".
En italien, l'expression " Bella Figura " ne se réfère pas seulement à la beauté du corps, à sa belle apparence, mais elle a aussi un sens psychologique : il s'agit aussi de la capacité de résistance des personnes confrontées à une situation difficile - par conséquent, elle signifie aussi "faire bonne impression. " Pour rendre compte de cela, Jiří Kylián crée une syntaxe chorégraphique surprenante dont les règles se dévoilent progressivement et dont le sens devient de plus en plus perceptible au cours du spectacle. Le chorégraphe donne une analyse étonnante du monde comme espace de représentation du soi sur des musiques de Vivaldi, Torelli ou le Stabat Mater de Pergolèse, qui conviennent parfaitement bien au projet : la vie des cours de l'époque baroque était marquée par une esthétique théâtralisée des expressions émotionnelles, avec une gestuelle très étudiée, une tension de tout le corps vers plus de beauté, vers plus de perfection. Le paraître l'emporte sur l'être ou veut le constituer, et cette vie légère et superficielle est poussée jusqu'à la caricature par le chorégraphe. L'humour, le comique et le ridicule sont souvent présents, on sourit et l'on rit beaucoup. On reste stupéfaits par l'extrême qualité de la performance des danseurs, car la chorégraphie est d'une exigence minutieuse, chaque geste doit rendre compte du code grammatical, ce sont des jeux de doigts et de mains, des inclinations d'épaules, des déhanchements. La technique des danseurs du ballet bavarois atteint ici des niveaux stratosphériques. Ce, transformant même des trilles baroques en une inclinaison d'épaule ou une rotation de main. Les corps des danseurs agissent comme des instruments de musique capables d’exprimer tout le spectre et toutes les nuances des émotions qui sous-tendent une recherche constante de beauté et de perfection.
Crédit photo © Serghei Gherciu |
Sidi Larbi Cherkaoui a présenté son spectacle Faune en 2009 à l'occasion des célébrations du centenaire des Ballets Russes auxquelles participait le Sadler’s Wells Theatre à Londres, qui avait invité des chorégraphes à travailler sur des pièces de leur répertoire ou à s'en inspirer. Cherkaoui a opté pour L'après-midi d'un faune, la chorégraphie de Nijinski autour du poème de Stéphane Mallarmé Le prélude à l'après-midi d'un faune, sur une composition impressionniste de Claude Debussy. Nijinski s’était inspiré de figures dessinées sur des vases de l'antiquité grecque pour donner un spectacle de facture classique, mais à la fois audacieux par ses connotations sexuelles, qui avait déclenché une fameuse controverse lors de sa création.
La scène se déroule dans une forêt profonde, éclairée par des faisceaux de lumière solaire qui se frayent un chemin au travers des frondaisons. Le faune solitaire est saisi à son réveil, on le voit s'extraire lentement de son sommeil, le corps endormi encore s'étire, vacille et titube. C'est un être sensuel, sauvage, insouciant et détendu, à la croisée de l'humain et de l'animal. La rencontre d'une jeune femme, qui suit la première scène, va entraîner un changement dans la gestuelle, le faune s'anime et entame une parade amoureuse trépidante. Les deux protagonistes ont au départ chacun une gestuelle qui lui est propre, mais l'attirance des corps va entraîner un mimétisme, opérer une synchronisation des mouvements qui s'harmonisent. Les énergies masculines et féminines se rencontrent et se complètent dans un monde onirique, elles nourrissent un jeu de séductions que le couple de danseurs, — ce soir Frederick Stuckwisch et Zhanna Gubanova, — rendent de manière admirable. L'apparence intemporelle, naturelle et organique des costumes conçus par Hussein Chalayan contribue à constituer les deux protagonistes en figures archétypales et mythiques. La musique de Debussy est entrecoupée d'extraits composés par Nitin Sawhney pour ce ballet, à la demande de Sidi Larbi Cherkaoui.
Crédit photo © Serghei Gherciu |
Le Sacre du Printemps
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