Pour lire la première lettre de Liszt sur la répétition générale du Rheingold en 1869, cliquer ici.
A noter que les lettres de Liszt à la Princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein sont toujours rédigées en français.
Une lettre de Franz Liszt à la Princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein (2)
[Munich,] Mardi, 31 Août 69.
Grande déception ! Le Rheingold n'a pas été représenté
Dimanche, et ne le sera probablement pas avant plusieurs mois. Le Musikdirector
Richter — auquel Wagner a confié exclusivement la direction de l'ouvrage —
s'est cru oblige de déclarer peu après la répétition générale, qu'avec d'aussi misérables
décors et une mise en scène d'un tel ridicule — il fallait renoncer à donner le
Rheingold et que lui, Richter, refusait absolument de le conduire. Il y
a entre autres un arc-en-ciel en bois, qui a fort diverti les correspondants
des journaux français ! La résolution de Richter a été chaleureusement approuvée
par Wagner et son représentant ici, Mme Mendès — femme charmante et
remarquablement douée. Mais le Baron Perfall, Intendant du théâtre, n'a pas apprécié
à toute sa hauteur le dévouement artistique de son Musikdirector —
lequel, par ordre supérieur, a été momentanément suspendu de ses fonctions.
Lassen et d'autres maîtres de chapelle ici présents ont été invités à diriger
le Rheingold car il paraît que le Roi en désire la représentation. Tons
se sont excusés, craignant de déplaire à Wagner. Un télégramme venu de
Triebschen avant-hier soir accuse de Schlechtigkeit, Niederträchtigkeit und
Unfähigkeit[1] l’intendance et
ses adhérents. Toutefois, le Roi a autorisé Perfall à suspendre Richter a cause
d'insubordination — et on ne prévoit guère comment finira le gâchis.
Ce que les Allemands appellent la Stimmung du
public, est défavorable à Wagner. Ci-joint un méchant petit brimborion de
journal local, le Deutschland[2]
de Munich — qui vous donnera le diapason. La répétition générale du Rheingold
— quoique assez satisfaisante sous le rapport musical — a produit une fâcheuse
impression sur la majorité des assistants, au nombre de 500 environ. Sa Majesté
était revenue de Berg, exprès pour applaudir l'œuvre de son glorieux ami. D'après
ce qui m'est revenu, le Roi aurait exprimé sa satisfaction de 1' ensemble de
l'exécution — y compris la mise en scène. Partout en ville on ne parle que du Rheingold,
mais non pour en faire l'éloge, ni celui de l'auteur. Quant à moi, je
n'entre nullement dans les questions de détail — et maintiens simplement que le
Ring des Nibelungen est la plus sublime tentative d'art de notre époque.
Le 25 Aout, Wagner a fait remettre au Roi pour sa fête,
la partition terminée du jungen Siegfried[3].
Un enfant né à Triebschen en Juin, porte le nom de Siegfried. Mme Mendès et Mme
Moukhanoff correspondent avec Cosima. Mme de Bülow mère reviendra de sa villégiature
demain. Le 20 Sept., elle quittera l'appartement de la Arcostrasse et on
vendra une partie des meubles. Hans est encore à Berlin — il paraît assez fixé sur
son prochain établissement à Florence. Tous les enfants sont à Triebschen.
Je vois du monde du matin au soir. De 2 à 4 h., il y a « raout »
chez moi. Hier, Lundi, on était au grand complet : Mme Moukhanoff,
sa fille la Csse Coudenhove, Mme de Schleinitz, Mme
Mendès, Mlle Holmes, Mlle d'Eichthal, Fredro — qui a pour
petit nom : perdreau rôti d'amour ! — le Bon Loën, Lassen, Saint-Saëns
— et 20 autres. Dans le courant de la semaine, j'ai reçu Pauline Viardot,
Tourgueneff, Séroff, Herbeck, Chorley, Riedel, Gille, Kahnt, Müller. Vous vous
rappelez que l'opuscule sur le Ring des Nibelungen de Müller vous est dédié.
Je repartirai à la fin de la semaine, ne regrettant point
d'être venu. La cérémonie de l’inauguration de la statue de Goethe, le 28 Août,
s'est passée fort convenablement — sans préoccuper l'attention du public.
Kaulbach m'avait invité à dîner hier, avec Perfall. Malheureusement j’étais
retenu ailleurs, et n'ai pu venir chez Kaulbach qu'après le café. Je vous
rapporte un paquet de photographies de Kaulbach, de sa part. Le tableau d'Hébert
est fort loué. Kaulbach qui n'a pas encore vu l'exposition, m'assura qu'on
disait beaucoup de bien du tableau d'Hébert[4].
[1] De méchanceté, d’infamie et d‘incompétence.
[2] La Mara identifie ce journal comme
paraissant à Weimar.
[3] Le Siegfried de la Tétralogie
eut d’abord Der junge Siegfried pour titre.
[4] Œuvre non identifée, quatre artistes
différents portent ce même nom à l‘exposition des beaux-arts de Munich.
Toute la réception française des événements munichois de l'été 1869 peut se lire dans Les Voyageurs de l'Or du Rhin (Bod,1869)
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