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lundi 5 novembre 2018

Les destins parallèles de Charles Ier de Wurtemberg et Louis II de Bavière

Un article du Figaro du 28 octobre 1888 établissait des rapprochements entre le roi Charles Ier de Wurtemberg (1823-1891) et le roi Louis II de Bavière (1845-1886). En voici la retranscription.

A L'ÉTRANGER

LE ROI DE WURTEMBERG

Quelques journaux allemands très officieux ont publié, il y a quelques jours, des articles demandant d'une façon fort claire la déposition du roi de Wurtemberg, et l'on a immédiatement voulu voir dans cette proposition une nouvelle machination de M. de Bismarck. Je trouve que le chancelier de l'empire d'Allemagne en fait déjà tant et de toutes les couleurs qu'il est bien inutile de lui attribuer des cinquièmes actes de l'Ambigu qui ne sont pas de sa façon. Ce que la Gazette de Cologne et les journaux de Munich ont signalé est connu depuis longtemps ; seulement, ce n'est pas facile à raconter.

Le roi de Wurtemberg s'appelle Charles, et ceux de ses sujets qui sont au courant de la production littéraire de notre pays auraient pu le surnommer Chariot. Car il s'amuse depuis sa prime jeunesse, et depuis quelque temps il s'amuse... à jouer du piano avec de jeunes Américains. Voilà toute l'histoire. Elle est, comme on voit, d'un joli calibre, et elle ressemble beaucoup à l'histoire du feu roi Louis de Bavière qui, lui aussi, s'amusait... à faire manoeuvrer des chevau-légers en chambre. Mais ce qui rend le cas du roi de Wurtemberg très singulier, c'est que, de 1843 à 1881, il aimait la solitude, les chambres ornées de glaces immenses qui lui permettaient de se voir sur toutes les faces et les promenades dans les bois dont les chemins étaient couverts de mousse. Il y avait même des jardiniers chargés d'apporter de la mousse dans les allées où le Roi se promenait.

Tout à coup, en 1881, le Roi se mit à aimer la musique. Voilà comme cette passion lui était venue : Un jeune Américain, fort beau, secrétaire particulier du consul général d'Amérique à Stuttgart, avait su, par des saluts répétés, attirer l'attention du roi Charles Ier qui, apprenant que M. Jacksonn - il n'y a nul inconvénient à mettre les noms sur les visages puisque les journaux allemands l'ont fait - était musicien, lui dit : « Pour l'amour de la musique, souffrez que je vous... nomme secrétaire. » M. Jacksonn accepta et sut prendre une telle influence sur le Roi qu'au bout de six mois tout le personnel de la Cour était changé et la Reine elle- même avait été obligée de recevoir le secrétaire-pianiste dont le Roi vantait à tout venant le jeu élégant et le doigté brillant.

Au bout de six ans de secrétariat, M. Jacksonn [sic] était devenu le conseiller privé von Jacksonn, avait chevaux, voitures, maisons de ville et de campagne, plus un joli million de marks de fortune. Il donna sa démission de secrétaire et ne s'occupa plus que d'augmenter sa fortune en faisant de la musique de chambre une fois par mois.

Mais avant de se retirer sous sa tente, il avait présenté au Roi deux de ses amis, MM. Charles Woodcock [sic] et Donald Hendry, deux jeunes gens d'une vingtaine d'années, très maigres, très bruns, et, disons le mol, très laids.

Et c'est là où les choses commencent à devenir tellement fantastiques que les bons Wurtembergeois, âmes candides et naïves, disent que le Roi et ses favoris font du spiritisme. Il est possible que ce genre de folie soit cultivé également, mais il est certain que le Roi et ses amis ne se quittent ni de jour ni de nuit, qu'il y a toujours un Américain de service dans la chambre du Roi, qu'ils voyagent avec lui, que la maison qu'il leur a achetée et meublée à Stuttgart communique par un souterrain avec les appartements privés du Roi et qu'enfin on raconte d'autres choses encore qu'il faudrait répéter en latin ; et encore il serait difficile d'expliquer pourquoi on a bâti, dans une des résidences du Roi, un coin qui ressemble fort à certain coin des Champs-Elysées très connu par la police des moeurs.

Et comme ces messieurs dépensent un argent fou, demandent des subsides pour faire élever des monuments aux ancêtres du Roi, fument des cigares de trois francs, le roi Charles a vendu tout ce qu'il pouvait vendre, voire, paraît-il, des titres et des décorations. Ce seraient ses amis qui l'auraient poussé dans cette voie. L'un d'eux, Charles Wodwcock [sic] , vient même d'être orné du titre de baron Savage ! Et alors l'exaspération des Souabes est compréhensible : la noblesse est furieuse de cette élévation d'un « aventurier», comme l'on dit couramment à Stuttgart; le peuple grogne, de peur d'une augmentation d'impôts et le mécontentement est général.

Qu'on ait parlé d'abdication, c'est certain : mais il est impossible qu'on ait parlé de dépossession. Au contraire de ce qui s'est passé en Bavière, le roi Charles vaque à ses affaires, reçoit ses ministres, reçoit même l'Empereur, comme on l'a vu il n'y a pas un mois; il fait donc son métier de Roi, mais cela ne l'empêche pas de s'amuser. L'ordre de la succession est parfaitement réglé dans le Wurtemberg, et M. de Bismarck ne pourrait rien y changer. Le roi Charles n'a pas d'héritier, le prince héritier n'en a pas eu jusqu'à présent dans ses deux mariages, la couronne passera forcément à la ligne cadette, catholique et autrichienne.

Cela ne changera rien aux destinées du pays : la Saxe ultra protestante est gouvernée par une famille catholique : y a-t-il en terre allemande un pays où la vassalité soit poussée plus loin ? Le cas du roi Charles n'a donc rien de politique, c'est un cas psychologique et physiologique qui ressemble singulièrement au cas du roi Louis. Il ne faut pas s'en étonner : la Bavière et le Wurtemberg se touchent.

Jacques St-Cère

Les amitiés masculines de Charles Ier de Wurtemberg sont bien documentées:

Charles noue dès sa jeunesse des amitiés intimes avec de jeunes hommes, comme cette longue «amitié de cœur » avec son aide-de-camp, le baron Wilhelm von Spitzemberg. Certaines des relations masculines de Charles font l'objet de scandale à cause de la différence de condition sociale.

À la fin des années 1870, son état mélancolique l'oblige à se reposer souvent à Friedrichshafen ou sur la côte d'Azur à Nice. Âgé de 57 ans, il se lie avec Richard Jackson (de vingt-trois ans son cadet), originaire de Cincinnati, et secrétaire du consul des États-Unis à Stuttgart depuis 1876. Rapidement, il en fait son lecteur, puis un conseiller privé et enfin lui donne le titre de baron. Mais, c'est en 1883 que le roi sexagénaire fait la connaissance en plus d'un autre Américain (cette fois fils d'un boucher), Charles Woodcock (1850-1923), âgé de trente ans, lecteur de la reine et protestant congrégationaliste. Les deux hommes deviennent rapidement inséparables, le favori étant admis dans les cercles intimes. Le roi en fait son chambellan (Kammerherr), puis il l'anoblit en 1888, sous le nom de baron Woodcock-Savage. Mais le roi et son favori vont jusqu'à s'afficher en public vêtus de vêtements identiques. Les élites craignent une influence de l'Américain sur le roi vieillissant. L'indignation qui en résulte et qui est relayée par la presse force Charles à renoncer à son favori, sous la pression du ministre-président conservateur, le baron Hermann von Mittnacht. Le roi déclare le 18 novembre 1888 : « j'ai sacrifié l'ami le plus noble qu'un souverain ait jamais eu, à la demande de mon peuple. » Charles Woodcock retourne en Amérique, mais Charles trouve en 1889 une consolation en la personne du responsable technique (Maschinenmeister) du théâtre royal, Wilhelm George. Cette « amitié » dure jusqu'à sa mort deux ans plus tard. (Source . Wikipedia)

A Nice, la reine Olga de Wurtemberg (à gauche), deux dames de compagnie
et Charles Woodcock, lecteur de la reine.


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