Gábor Bretz (Der Holländer), Liene Kinča (Senta) © Arno Declair |
Richard Wagner avait visité Oberammergau sur les conseils de Franz Liszt en 1871 pour y assister à une représentation du Jeu de la Passion. On sait peu de choses sur ce séjour, sinon que Wagner a noté dans son journal que tout dans ce village est d'une beauté qui dépasse toute description, et que peut-être le compositeur a trouvé ici, tout au moins en partie, l'inspiration pour son projet bayreuthois.
146 années plus tard, c'est au metteur en scène Christian Stückl que l'on doit le retour de Wagner à Oberammergau. Enfant du pays, Christian Stückl est aujourd'hui à la fois directeur du Volkstheater à Munich et responsable depuis 1990 de l'organisation du Jeu de la Passion à Oberammergau, une grande entreprise théâtrale qui a lieu tous les dix ans et dont la prochaine édition aura lieu dans trois ans, en 2020. En attendant ce grand événement, le Théâtre de la Passion accueille chaque été des pièces de théâtre,un festival de musique, et la production d'un opéra. Après le succès de Nabucco qu'il a monté avec grand succès les deux derniers étés, Christian Stückl remet le couvert avec le Vaisseau fantôme (Der fliegende Holländer, le Hollandais volant), entouré par une équipe locale qui collabore aussi à la mise sur pied du Jeu de la Passion: deux autres enfants du pays, Stefan Hageneier pour les décors et Markus Zwink pour la direction et l'entraînement des choeurs.
C'est qu'il s'agit bien et avant tout d'une entreprise locale qui doit servir les intérêts de la population de la petite ville bavaroise, et qui répond notamment au souci d'entraîner et d'occuper l'important choeur de cent quatre-vingts choristes originellement rassemblé pour le Jeu de la Passion, et qui travaille sur le projet depuis 6 mois. C'est aussi l'occupation du choeur qui a présidé au choix de l'oeuvre. Comme Nabucco, le Vaisseau fantôme donne une place centrale aux choeurs. Le choix de Christian Stückl est d'abord stratégique: il s'agit de monter des oeuvres attractives, accessibles à un large public, et donc relativement faciles d'écoute, et qui nécessitent un choeur nombreux. Stückl n'est pas arrivé à Wagner par la fascination de son oeuvre, -il n'a d'ailleurs jamais auparavant assisté à un opéra de Wagner-, mais par une heureuse convergence d'intérêts.
Les voies du Seigneur (et ici du Maître, en l'occurrence Richard Wagner) sont décidément impénétrables. Christian Stückl et son équipe réussissent ici un spectacle de très grande qualité. La virginité wagnérienne du metteur en scène a joué en sa faveur, il a abordé l'oeuvre avec un regard neuf, sans les encombrants a priori d'une connaissance encyclopédique. Le résultat est une lecture clairement romantique de l'opéra, à la limite du bovarysme, et qui se permet la licence d' une réinterprétation de la scène finale.
Das Passionstheater (c) Andy Stückl |
La scène très large et relativement peu profonde du Théâtre de la Passion, ouverte en hémicycle sur le ciel et des frondaisons arborées peuplées d'oiseux limite les possibilités de décors: Stefan Hageneier a conçu un décor simple aux tonalités bleu nuit qui se focalise sur un grand moulin central dont la paroi convexe porte la représentation des vagues de la mer en furie, et qui s'ouvrira plus tard sur le vaisseau fantôme puis sur le ponton et, en découpe, la cale du navire du Hollandais. Un décor simple et efficace qui sert surtout à recevoir la plastique mouvante des choeurs dont Christian Stückl, en magicien de la scène, organise les tableaux et les déplacements. Par le placement des choeurs, le metteur en scène insiste sur le grégarisme des marins et des femmes qui les attendent au village portuaire, un grégarisme que souligne encore les costumes (également de Stefan Hageneier) aux camaïeux beiges et bruns pour les femmes, ou bleus et brun clair pour les marins. Les sexes, sils s'entrecroisent parfois, ne se mélangent que rarement.
La mise en scène représente le fameux choeur des fileuses sans les traditionnels métiers à filer. Christian Stückl a imaginé une répétition chorale avec partitions dirigée par Mary en maîtresse des choeurs. Les villageoises chantent le défilement du rouet en mouvant leurs corps dans un rythme ondoyant pour un bref intermède d'un comique souriant très réussi, seule légèreté dans cette tragédie romantique.
Un tableau symbolise la légende du Hollandais dans la production d'Oberammergau: de même que la légende se répand de bouche à oreille, le tableau circule de mains en mains, les femmes du petit port le manipulent avec un mélange d'attirance et surtout de répulsion. La seule Senta se montre fascinée par cette légende sur laquelle elle fait une fixation romantique, et par le portrait qu'elle s'approprie, malgré les remontrances de Mary, la doyenne. Erik, à qui elle s'est promise, sent que la jeune femme ne lui appartient pas vraiment. Stückl ne fait pas de Senta une femme partagée entre deux hommes, mais en dresse un portrait romantique qui rappelle les rêveries de l'héroïne de Flaubert. Les jeux de l'amour sont faits dès avant l'arrivée du Hollandais.
La narration scénique est conçue à la manière d'un conte de fées. L'arrivée du vaisseau fantôme plonge les marins de Daland dans la magie d'un sommeil profond auquel n'échappe pas la vigie. Vers la fin de l'opéra, les villageois découvrent avec horreur que le vaisseau du Hollandais n'a pas d' équipage et que la cale est peuplée de cadavres qui reprennent vie et moment et se mêlent aux vivants. Lors de la scène finale, le Hollandais se trouve sur le pont de son navire sur lequel la paroi convexe porteuse du mur de vagues se referme, mais au dernier moment Senta se précipite pour rejoindre l'homme de ses rêves et le bateau disparaît avec les amants réunis derrière le mur de vagues.
Christian Stückl opte ici pour la rédemption du Hollandais qui grâce à l'amour de la jeune fille pourra enfin mourir et échapper à l'éternité de son châtiment, dans ce paradoxe d'un amour plus fort que la peur de la mort mais qui conduit les amants à une mort certaine.
La réussite scénique s'accompagne d'un succès musical quelque peu entaché par un problème de décalage dans la sonorisation en début de soirée, heureusement assez rapidement rectifié. L'orchestre de très jeunes musiciens de la Neue Philarmonie München (La nouvelle philharmonie de Munich) réunit de jeunes musiciens âgés de 15 à 25 ans qui, conduits par la baguette experte d'Ainars Rubikis, reçoivent ici la chance unique de pouvoir jouer un grand opéra, l'enthousiasme et des compétences prometteuses remplaçant l'expérience, et participant au côté populaire, dans le meilleur sens du terme, du spectacle. Les chanteurs, pour la plupart jeunes eux aussi, sont des valeurs plus affirmées et ont tous reçu le baptême du feu des plus grandes scènes internationales. L' excellente basse hongrois Gábor Bretz domine la production de sa haute stature et des profondeurs d'une voix au timbre remarquable qui sait rester lumineux jusque dans le tragique, un des grands bonheurs de la soirée. La soprano lettone Liene Kinča donne elle aussi une interprétation admirable passant de la légèreté charmante de son entrée en scène à la tension dramatique paroxystique du final, avec un jeu de scène tout aussi remarquable. Guido Jentjens, souffrant, a fait l'effort de monter en scène et assure le rôle de Daland avec les moyens du bord, et la reconnaissance du public. David Anholt, un superbe Heldentenor wagnérien au timbre élégant et racé et au phrasé impeccable, donne un Erik des plus convaincants, torturé par la perte de la femme qu'il aime. La Mary très autoritaire d'Iris van Wijnen domine avec l'aisance de sa voix puissante le choeur de ses compagnes; on la retrouve avec plaisir à Oberammergau où elle avait déjà remporté un franc succès pour sa Fenena dans Nabucco. Enfin le ténor belge Denzil Delaere en Steuermann vient compléter ce plateau d'exception.
Un beau spectacle en ouverture de la saison des festivals.
Prochaines représentations au Théâtre de la Passion d'Oberammergau les 2, 14, 16, 21 et 23 juillet. Billetterie en ligne.
La narration scénique est conçue à la manière d'un conte de fées. L'arrivée du vaisseau fantôme plonge les marins de Daland dans la magie d'un sommeil profond auquel n'échappe pas la vigie. Vers la fin de l'opéra, les villageois découvrent avec horreur que le vaisseau du Hollandais n'a pas d' équipage et que la cale est peuplée de cadavres qui reprennent vie et moment et se mêlent aux vivants. Lors de la scène finale, le Hollandais se trouve sur le pont de son navire sur lequel la paroi convexe porteuse du mur de vagues se referme, mais au dernier moment Senta se précipite pour rejoindre l'homme de ses rêves et le bateau disparaît avec les amants réunis derrière le mur de vagues.
Christian Stückl opte ici pour la rédemption du Hollandais qui grâce à l'amour de la jeune fille pourra enfin mourir et échapper à l'éternité de son châtiment, dans ce paradoxe d'un amour plus fort que la peur de la mort mais qui conduit les amants à une mort certaine.
A gauche Iris van Wijnen (Mary) © Arno Declair |
La réussite scénique s'accompagne d'un succès musical quelque peu entaché par un problème de décalage dans la sonorisation en début de soirée, heureusement assez rapidement rectifié. L'orchestre de très jeunes musiciens de la Neue Philarmonie München (La nouvelle philharmonie de Munich) réunit de jeunes musiciens âgés de 15 à 25 ans qui, conduits par la baguette experte d'Ainars Rubikis, reçoivent ici la chance unique de pouvoir jouer un grand opéra, l'enthousiasme et des compétences prometteuses remplaçant l'expérience, et participant au côté populaire, dans le meilleur sens du terme, du spectacle. Les chanteurs, pour la plupart jeunes eux aussi, sont des valeurs plus affirmées et ont tous reçu le baptême du feu des plus grandes scènes internationales. L' excellente basse hongrois Gábor Bretz domine la production de sa haute stature et des profondeurs d'une voix au timbre remarquable qui sait rester lumineux jusque dans le tragique, un des grands bonheurs de la soirée. La soprano lettone Liene Kinča donne elle aussi une interprétation admirable passant de la légèreté charmante de son entrée en scène à la tension dramatique paroxystique du final, avec un jeu de scène tout aussi remarquable. Guido Jentjens, souffrant, a fait l'effort de monter en scène et assure le rôle de Daland avec les moyens du bord, et la reconnaissance du public. David Anholt, un superbe Heldentenor wagnérien au timbre élégant et racé et au phrasé impeccable, donne un Erik des plus convaincants, torturé par la perte de la femme qu'il aime. La Mary très autoritaire d'Iris van Wijnen domine avec l'aisance de sa voix puissante le choeur de ses compagnes; on la retrouve avec plaisir à Oberammergau où elle avait déjà remporté un franc succès pour sa Fenena dans Nabucco. Enfin le ténor belge Denzil Delaere en Steuermann vient compléter ce plateau d'exception.
Un beau spectacle en ouverture de la saison des festivals.
Prochaines représentations au Théâtre de la Passion d'Oberammergau les 2, 14, 16, 21 et 23 juillet. Billetterie en ligne.
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"La soprano lithuanienne Liene Kinča" est en effet une lettone.
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