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jeudi 13 juillet 2017

Anja Harteros donne un récital de Lieder triomphant au Festival d'opéra de Munich

Les photos sont empruntées à la publication facebook de Bodo Hofstetter

L'Opéra d'Etat de Bavière peut se flatter de souvent accueillir Anja Harteros, une des plus grandes chanteuses lyriques contemporaines. A l'heure de son festival d'été, des Münchner Opernfestspiele, la soprano s'y produit à quatre reprises: elle vient de triompher en Elisabeth dans un Tannhäuser de rêve dirigé par le maestro Petrenko, on pourra dans quelques jours l'entendre en Leonora dans la Forza del destino et, en clôture de festival, elle interprétera Maddalena de Coigny dns la belle oeuvre de Giordano. Hier soir, elle a offert à son public bavarois et international le collier de perles d'un récital de Lieder dont le public parisien du Palais Garnier a reçu la primeur à la mi juin et que la Wiener Konzerthaus accueillera le 21 juillet. Le pianiste Wolfram Rieger l'accompagnait au piano, confondant de précision.

Anja Harteros, qui portait une  ravissante robe vert sombre sans manches au corsage décolletté en V et à la longue jupe pailletée, est apparue telle qu'en elle-même avec une simplicité réservée, une gentillesse chaleureuse et discrètement souriante, une haute stature au port noble sans être hautain, une assurance sans prétention aucune sinon celle d'être toute entière au service de son art, divine, olympienne sans être diva, en un mot une grande dame de la chanson lyrique.

Le programme de son récital suit la logique de l'évolution du genre: des Lieder soigneusement choisis de Schubert, Schumann, Alban Berg et Richard Strauss. Le début du programme schubertien est léger et souriant, avec la forme strophique simple de Fischerweise puis tripartite de La Truite. Le chant d'Anja Harteros s'épanouit dans l'apparence d'une simplicité naturelle qui est en fait le résultat du travail abouti d'une technique maîtrisée à la perfection. La chanteuse prend appui une main posée sur le piano. Changement de ton, l'émotion monte en puissance avec le Schwanegesang, ce chant élégiaque du poète Johann Senn, emprisonné puis exilé, avec un piano plus en retrait pour laisser place aux notes hautes prolongées. La chanteuse atteint ici une intensité d'expression peu commune, avec une ligne vocale complexe, nuancée et superbe pour le dernier vers "Das bedeutet des Schwanen Gesang" ("Voilà ce que signifie le chant du cygne."). Le Lied suivant, An die Laute, revient à un ton plus amusé et complice dont Anja Harteros souligne la légéreté et l'humour. Im Haine enfin, un poème en cascade de Franz Bruchmann, clôture  la série des Lieder de Schubert avec d'extraordinaires moments de vocalises colorature en dentelles et un accompagnement pianistique tout en douceur.

La chanteuse approche les Lieder de Schumann de manière plus sentimentale que ceux de Schubert, la forme cédant le pas à l'atmosphère, sans pour autant se perdre. La voix nous invite à la promenade sous les frondaisons de Heinrich Heine (Ich wandelte unter der Baüme) avec de belles variations dans les graves et des aigus légers et délicats pour exprimer la rêverie romantique dans la nature et la souffrance de l'amour. Le Stille Tränen (Larmes silencieuses) est un moment de pur bonheur musical dans lequel le chant finit par triompher de la douleur dans la puissance proclamée du dernier vers "Stets frölich sei sein Herz". La chanteuse ne lâche cependant jamais la bride au romantisme; à chaque instant la technique parfaitement maîtrisée et la  perfection formelle servent de cadre à l'expressivité sentimentale. Les Zwei Venetianische Lieder sont par contre chantés avec le ton léger et coquin qui leur ressemble. Der Hidalgo, un poème où Séville rime avec mantille et baigne dans la clarté lunaire d'une nuit d'été chaude et sensuelle, termine joyeusement la première partie du récital.

La seconde partie s'ouvre avec  les Sieben frühe Lieder d'Alban Berg, une oeuvre sans doute de jeunesse mais très accomplie du compositeur qui écrit ces Lieder alors qu'il est encore l'élève de Schönberg. Anja Harteros traduit admirablement l'harmonie tourmentée de l'écriture musicale, l'expression d'un désir qui contient dès sa naissance la connaissance intime de  l'imposssibilité de sa satisfaction. Ces Lieder encore romantiques participent déjà d'une réflexion sur le romantisme. La chanteuse déploie doucement, avec une tendresse douloureuse, la palette émotionnelle complexe des sept poèmes et tient l'énorme audience captive et suspendue à la ligne très pure de son chant.Si les thèmes en sont bien romantiques (la nuit, le chant du roseau, le rossignol. l'ode d'amour,...), le chant se fait aussi  plus expressionniste. Un silence impressionnant règne dans la salle et l'intensité de l'écoute se fait palpable.

La soirée se termine avec une plus grande douceur, dans l'atmosphère plus intime, familière et familiale des Lieder de Richard Strauss. C'est l'amour poignant dans les couleurs de l'automne au moment de la Toussaint, c'est la tendresse toute émue de l'observation d'un enfant qui dort et de son souffle qui s'élève vers le ciel comme s'élève la voix de la chanteuse qui en transmet la magie, c'est ce poème d'Adolf Friedrich von Schack qui m'évoque irrésistiblement La courbe de tes yeux d'Eluard* et c'est ensuite le célèbre Cäcilie qui vient clôturer la soirée en apothéose triomphante.

A chaque moment, Wolfram Rieder a donné le meilleur de l'accompagnement pianistique en soutien du chant plus sans doute qu'en dialogue. Son grand art se manifestait à chaque fois de manière impressionnante dans ces finales où le piano s'exprime seul, avec une Anja Harteros toute à l'écoute, et conduit doucement vers le moment méditatif où le Lied s'achève et où le silence s'installe dans sa densité éphémère.

Un tonnerre d'applaudissements a salué l'exquise performance de cette chanteuse et de ce pianiste d'exception, qui par trois fois ont remercié le public avec un délicieux encore.

*La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Première strophe de La courbe de tes yeux, in Capitale de la douleur.



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