Dans le quotidien parisien Le Matin du 30 décembre 1934 (p.4), Germaine BEAUMONT, consacre un article au roman de Leo Larguier intitulé Le roi sans reine: Louis II de Bavière, paru la même année. Le dessin, peu ressemblant à son modèle, est de Dignimont, qui avait également dessiné la couverture et le frontispice du livre de Larguier, paru chez Arthaud éditeur, à Grenoble en 1934 (In-8° broché, 118 pages).
LOUIS II, LE ROI SANS REINE
De toutes les figures de l'histoire, qui, réelles, sont néanmoins fabuleuses, et qui vécurent leur légende en même temps que se déroulait leur histoire, en est-il beaucoup qui présentent un caractère plus mystérieux et plus fantastique que Louis II, roi de Bavière ? En est-il qui, poétiques, connurent la bonne fortune de trouver pour historien un aussi authentique poète que Léo Larguier ?
Ce n'était cependant pas une tâche facile, même pour un poète si magicien qu'il soit, de pénétrer au plus profond d'une âme qui jusqu'à l'a fin déroba un secret, et que de livrer au jour les replis d'une destinée dont la vie quotidienne et la fin tragique furent autant de mystères.
Rien ou presque ne destinait Louis II à se montrer un personnage de féerie, un souverain digne de Shakespeare. Rien, sauf le sang inquiet et chargé des Wittelsbach, cette lignée secouée par moments de remous et d'éclairs. Pourtant le père de Louis II était un bon et, probe monarque bavarois qu'une révolution de palais avait amené précocement à remplacer Louis I son père, par trop épris d'art chorégraphique en la personne de Lola Montes, et par trop insoucieux des deniers publics qu'il gaspillait en monuments, en palais, en théâtres. Un dangereux grand-père en somme, et qui, par-dessus la tête bonasse de Maximilien II, léguait à son petit-fils le goût passionné de la poésie et de la musique, une tendance à préférer l'anormal au normal, un penchant vertigineux pour le luxe, le faste (et pas toujours d'une manière exigeante ni épurée) une excentricité enfin telle qu'on n'en trouve que chez certains Anglais, aristocrates et neurasthéniques.
Il se trouvera peut-être, un jour, quelqu'un pour écrire, à la mode d'autrefois, un parallèle entre le duc de Portland et Louis II. Louis II en tout cas suffit à faire éclater les bornes conventionnelles d'une biographie royale. D'abord il était d'une beauté exquise, parfaite, légendaire, avait ces sombres cheveux frappés de cuivre qui furent une des gloires de son étrange cousine, Elisabeth d'Autriche, d'admirables yeux de myope, pales, étincelants, lointains, une taille élevée, la plus chevaleresque allure. Il réussissait, comble de la grâce physique, et privilège conféré à peu d'hommes, à ne pas succomber sous le ridicule des vêtements romantiques dont il s'affublait. Enroulé dans une cape byronnienne, et portant en sautoir, comme un membre du. Jockey, une petite lorgnette, mais d'opéra, et incrustée de diamants, car sa myopie lui brouillait le détail des choses, et cela explique beaucoup de ses erreurs et beaucoup de ses phobies, il était, la fois, Hamlet et La Palférine. Il fut surtout, pour ses Bavarois, d'abord un sujet d'émerveillement, à cause de sa jeunesse et de sa beauté puis un sujet d'inquiétude quand il se mit à considérer ouvertement la laideur physique comme une tare, et la musique comme un art sacré, puis un sujet de malaise quand il fit de Wagner le premier sujet de son royaume et le grand favori de sa cour, puis un sujet de méfiance quand, fou d'harmonie, de poésie. il préféra Vivre parmi les roses, dans une île, plutôt, que de présider des séances de conseil d'Etat et des banquets puis un sujet de mépris, quand son amour de la solitude le porta à certaines démences d'allures et d'habitude.; puis un sujet d'aversion quand il parut nécessaire, à tous, de prier le prince Luitpold, son cousin, de prendre la régence.
Louis II en tant que souverain fut déplorable. Il décourageait ses ministres, refusa de fonder une dynastie en épousant sa cousine Sophie, réussit à deux reprisses à ne pas prendre la tête de ses troupes quand ses devoirs d'homme et de chef l'y contraignaient. Eût-il refusé son alliance à Frédéric de Prusse - il l'accorda par paresse, parce qu'une molle promesse antérieure l'y incitait - Sedan eût été peut-être évité. Ce prince allemand qui incarnait l'Allemagne romantique des burgs et des lorelei, la charmante et sensible Allemagne des morcelés, fit par son adhésion à la Prusse, le pas le plus grave vers l'unité allemande et porta inconsciemment la-ruine dans tout ce qu'il aimait. Il fut l'instrument de sa propre ruine et comme la plupart des hommes, son bourreau.
Que pouvait-il devenir après Sedan ce prince d'une autre ère? Des exigences populaires l'avaient contraint à exiler Wagner. Il n'eut désormais comme compagnon que son propre délire. Seul dans ses palais, dans ses parcs, dans ses îles; seul dans son théâtre, dans la salle où on lui servait ses repas et où pourtant il exigeait qu'un autre couvert fût dressé, car il invitait toujours un fantôme à sa table, il vécut de plus en plus mystérieusement. Cette vie, cette solitude durèrent de 1871 à 1886.
En 1886. il avait alors 41 ans, ses ministres décidèrent qu'il était fou et qu'il fallait l'interner, et. confièrent cette tâche révoltante car nul aliéniste n'avait été commis pour l'examiner à un certain docteur von Gudden, qui réussit, au delà de ce qu'il espérait, car Louis II, dont on craignait la résistance, n'en opposa aucune. Le roi fut donc ramené dans son palais de Starnberg et tenu sous bonne garde. Mais le jour de la Pentecôte, longeant avec son geôlier les bords du lac, il se jeta dans les flots et tua à coups de lorgnette le médecin qui avait voulu le ramener au rivage. On parla de suicide, on parla aussi d'une tentative d'évasion. Mais, qui peut en être certain ? Et qui eût tenté de faire évader le roi, sinon le seul être qu'il aima probablement d'un mystique amour: sa cousine Elisabeth, impératrice d'Autriche, cette autre Wittelsbach dont on disait aussi qu'elle était folle. Parce que Louis II ne voulut jamais se marier et n'eut jamais de liaison notoire, Léo Larguier nomme, à juste titre, son beau livre le Roi sans reine. Faut-il conclure à une anomalie grave, ne faut-il pas plutôt admettre que certains êtres sont si exigeants en matière de poésie et d'amour, que faute de trouver le bonheur dans une union parfaite, c'est dans la solitude qu'ils le cherchent orgueilleusement?
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