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lundi 10 novembre 2014

L' Aïda de Torsten Fischer, une mise en scène qui va au coeur du drame

Gaston Rivero (Radamès), Sergii Magera (Ramphis),
Holger Ohlmann (Pharaon),Monika Bohinec ( Amneris)
Le Theater-am-Gärtnerplatz reprend pour trois représentations la mise en scène pénétrante de Torsten Fischer dont la première, qui avait eu lieu en juin dernier, avait déchaîné l'enthousiasme du public et de la critique. La direction d'opéra est un art complexe que Josef Köpplinger, le Superintendant du Gärtnerplatztheater, maîtrise avec brio et succès, ce dont il donne une nouvelle fois la preuve avec cette Aïda. Le choix des metteurs en scène invités en constitue un pari difficile, que Köpplinger a remporté haut la main avec Torsten Fischer. 

Berlinois d'origine, Torsten Fischer a fait la plus grande partie de sa carrière dans le monde du théâtre à Brême et Cologne et également à Vienne, comme metteur en scène et directeur de théâtre. On lui doit également une vingtaine de mises en scène d'opéra, dont une Bohême à l'Opéra national du Rhin à Strasbourg. Sa mise en scène du Telemaco de Gluck au Theater-an-der-Wien en 2012 a été couronnée l'an dernier par l'attribution du Goldener Schikaneder de la meilleure mise en scène , un prix centré sur les productions de théâtre musical en Autriche.

A Munich, Fischer a monté une Aïda débarrassée de l'écueil du  kitsch orientaliste des pyramides et autres chameaux, une Aïda qui va au coeur du drame des personnages et privilégie la dimension humaine en réduisant autant que faire se peut les références à l'histoire. Le cadre est contemporain, Aïda est présenté comme un drame de l'amour en butte aux intérêts de la politique et de la guerre. 

Aïda (Sae Kyung Rim)
Pendant le prologue, une femme en burqa se tient devant un rideau d'avant-scène fait de papier blanc. Derrière elle des ombres chinoises essayent de l'agripper jsuqu'au moment où un bras déchire le rideau. Aïda, éthiopienne voilée et pudique,  convoitée pour sa beauté par des hommes lubriques, conquiert le coeur de Radamès qui la protège. Lors de la marche triomphale, le rideau de papier est déchiqueté par la projection du corps des vaincus que l'on humilie en les jettant à terre.

Le décor minimaliste et ingénieux, de froides  parois aux reflets d'acier évoquent la réclusion et la perte de liberté. Parfois une toile de fond reçoit la projection d'une écriture peut-être démotique. Le décor sert surtout de faire valoir aux personnages constamment mis en lumière, souvent présents en scène comme témoins muets de l'action ou pour évoquer la place qu'ils tiennent dans les préoccupations des protagonistes. Le Grand Prêtre Ramphis concentre le pouvoir, Fischer lui donne des allures de parrain aux lunettes noires. Face à lui, la faiblesse de Pharaon est accentuée par sa couronne ubuesque, élément de ridicule dans un monde triste en noir et blanc, avec les costumes sombres des hommes et la robe de mariée dont s'affuble Amnéris qui parade dans la folie de ses espérances amoureuses. Seul le rouge du sang qui recouvre le visage et le torse nu de Radamès vient colorer la grisaille angoissée des jeux de pouvoir et des fureurs guerrières.

Fischer excelle dans l'art des tableaux et des mouvements de scène. L'évocation visuelle des sentiments qui animent les protagonistes ou qui mobilisent les foules fait de sa mise en scène une oeuvre chorégraphée qui sollicite constamment l'attention de spectateurs captivés, avec une très belle rythmique des mouvements de foule, et pour certaines scènes, avec un sens du rituel antique. Il donne à voir, il concrétise ce que l'on entend, ce qui a pour résultat que l'on est rendu plus accessible à la musique et au chant, dont on comprend mieux un contenu que la plupart connaissent pourtant déjà fort bien. Fischer est  un révélateur, Sa mise en scène est au service de l'opéra qu'elle met en valeur en soulignant les déchirements internes des partenaires d'un couple impossible ou d'une amante infortunée.  Le metteur en scène berlinois trouve de plus des solutions ingénieuses à des problèmes récurrents de la mise en scène d'Aïda. Ainsi, dès la condamnation de Radamès, deux rideaux des scène descendent du cintre pour le séparer du Grand Prêtre et du choeur qui viennent de la condamner. Pour la scène finale, un grand grillage sur lequel se tient Amnéris à présent en robe de deuil descend sur les amants qui se préparent à leur mort exaltée et les confine dans un espace de plus en plus réduit, comme s'ils allaient y être écrasés. La visulisation de l'enfermement puis la de l'agonie et de la mort d'Aïda et de Radamès est ainsi pleinement réussie.

Les décors et les costumes d'Herbert Schäfer et de Vassilis Triantafillopoulos rencontrent l'atemporalité de la mise en scène et la focalisation dramaturgique sur la psychologie des personnages. Le remarquable  travail de mise en lumière de Wieland Muller-Haslinger y contribue par ses très beaux effets.

L'orchestre et les choeurs magnifiquement entraînés par Jörn Hinnerk Andresen sont à présent dirigés par Michael Brandstätter, qui a pris le relais de Mario Comin qui était au pupitre en juin dernier. Ils fournissent un travail de fort belle tenue qui leur vaut les acclamations nourries  un public enthousiaste et reconnaissant. Sae Kyung Rim donne une Aïda émouvante, avec un soprano puissant qui parvient à bien passer l'orchestre et les choeurs dans les ensembles, elle excelle dans l'expression dramatique. Si les nuances émotionnelles ne sont pas toujours présentes, on en pressent le potentiel chez cette chanteuse que la Scala a déjà retenu à plusieurs reprises pour des rôles secondaires. Le Radamès de Gaston Rivero passe en force, à l'aune de sa présence scénique. Monika Bohinec, plus à l'aise dans le grave que dans l'aigu, séduit par la conviction de son jeu théâtral.  La basse Sergii Magera  donne une belle ampleur au personnage de Ramphis, avec un bémol cependant pour le nonuple appel à Radamès au moment du jugement, qu'on imaginerait volontiers plus différencié. 

La palme de la soirée revient sans conteste à l'excellente mise en scène de Torsten Fischer, qu'on aimerait voir revenir pour d'autres productions sur les scènes munichoises.

Prochaines représentations au Prinzregententheater: les 10 et 12 novembre 2014, quelques places restantes. Vente des billets: cliquer ici

Crédit photographique: Christian POGO Zach

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