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samedi 12 avril 2014

Didon et Enée de Sasha Waltz, en spectacle invité au Festival du Ballet au Théâtre national de Munich


Pour sa semaine de festival du ballet, le Bayerisches Staatsballett a invité Sasha Waltz et sa célèbre mise en scène de Didon et Enée de Purcell. L'occasion pour le public bavarois de découvrir une production majeure de l'art chorégraphique contemporain.

Avec Didon et Enée, Sasha Waltz revisite le concept du Gesamtkunstwerk du point de vue de la danse. Elle utilise simultanément de multiples disciplines artistiques au départ de la musique de Henry Purcell, avec des visées symboliques. Danse, musique, chant et théâtre se mêlent pour former l'unité du spectacle. Le spectacle a été créé en 2005 au Grand Théâtre de Luxembourg, et est depuis lors représenté sur les grandes scènes internationales avec un succès jamais démenti.

Le chef italien Attilio Cremonesi a retravaillé au départ de la partition de Purcell, un travail légitime puisque le livret est plus long que la partition qui est incomplète. Cremonesi connaît particulièrement bien la musique baroque, il a été formé à l'école de René Jacobs dont il fut l'assistant. Rappelons que l'on doit à René Jacobs une très belle interprétation de Didon et Enee (Harmonia Mundi 2001, avec notamment Lynne Dawson). Cremonesi a imaginé une reconstruction de la partition, notamment au niveau du prologue qu'il propose mi parlé-mi chanté, en se servant notamment de fragments d'autres musiques de Purcell, et en restant bien dans l'esprit du maître du baroque anglais. Avec les jeux scéniques, cela double le temps de la partition initiale ( environ 50 minutes pour l'original, 1H40 de représentation dans la version reconstruite). Cela présente le désavantage de rompre le rythme musical, un inconvénient que Sasha Waltz s'efforce compenser par un surcroît de théâtralité à la lisibilité sans doute volontairement embrouillée. Christopher Moulds a repris depuis la direction musicale de cette production. Il dirige l' Akademie für Alte Musik de Berlin avec beaucoup de finesse, un grand sens des nuances théâtrales et de la dramatisation.

Le travail des choeurs du Vocal Consort Berlin séduit, comme celui des musiciens. L'Enée de Reuben Willcox passe bien la rampe, mais les voix de femmes manquent souvent de projection. Le volume de la salle du Théâtre national de Munich avec plus de 2000 places dépasse celui du Grand Théâtre de Luxembourg (940 places). Ainsi Aurore Ugolin donne-t-elle une Didon vocalement faible, ce qu'elle compense par un jeu scénique magistral, particulièrement remarquable dans les scènes finales.

On ne vient pas voir le spectacle de Sasha Waltz pour la seule musique, mais pour faire le voyage d'un spectacle total qui décloisonne les genres et multiplie les points de vue. Chaque chanteur est doublé d'un danseur, parfois de deux, dont l'expression corporelle incarne les sentiments du personnage. L'art de Sasha Waltz ne permet pas nécessairement une compréhension rationnelle du spectacle, on ne sait pas toujours qui chante, qui danse, qui représente quel personnage. La danse déborde le chant, et les chanteurs et les choristes, souvent mêlés aux danseurs, participent d'une vaste sarabande. S'il est parfois difficile de discerner qui est qui,  les aspects fusionnels et les mouvements de groupe dépassent de loin l'individualisation. 

On est séduit dès le premier tableau présentant un aquarium géant, qui est devenu l'image d'Epinal de ce spectacle, dans lesquels des plongeurs évoluent dans une danse aquatique expressive. Une image bienvenue puisque Didon et Enee est un opéra éminemment marin. 
Les groupes en grappes se meuvent et se transforment en une progression de tableaux colorés, avec les magnifiques costumes de Christine Birkle. La mer est très présente,  les mondes souterrains sont évoqués par des trappes qui s'ouvrent et d'où des personnages, où d'autres disparaissent et s'engloutissent, l'aérien est aussi de la partie avec un suspensoir en forme de balance qui permet de beaux mouvements de danses en vol suspendu. Du final, on retiendra l'image effrayante de Didon et de ses doubles danseuses emprisonnées dans leurs longues chevelures qui deviennent arachnéennes. On est transporté dans un univers mythique où l'amour et la haine s'affrontent sur fond de guerre, et où l'amour sort triomphant au prix de la mort. 

Le public conquis à l'art de Sasha Waltz salue cette production d'un enthousiasme quasi unanime pour cet opéra chorégraphique transmué en un spectacle visionnaire qui porte davantage la marque de la chorégraphe que celle du compositeur. 

Pour suivre le travail de Sasha Waltz, visiter  le site de la chorégraphe.



Dido & Aeneas - trailer from Sasha Waltz & Guests on Vimeo.

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