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samedi 30 novembre 2013

La Femme sans ombre, Petrenko/Warlikowski, Munich novembre 2013

 
Deborah Polaski, Elena Pankratova,
Adrianne Pieczonka
La nouvelle production de la Femme sans ombre de Richard Strauss par le Bayerische Staatsoper a rencontré dès sa première une unanimité sans pareille: une direction musicale hors pair, une mise en scène intelligente avec des décors de scène et des costumes remarquables, des techniques vidéos de pointe, un plateau homogène et brillant au service d'une oeuvre difficile et exigeante qui en sort magnifiée. 

Cette nouvelle production c'est d'abord l'entrée en scène d'un prodige de la direction d'orchestre. Le Directeur général de l'Opéra de Bavière a réussi un coup de maître en parvenant à engager le chef d'orchestre russe Kirill Petrenko comme directeur musical de la maison en remplacement de Kent Nagano. Pendant six ans, le maestro russe s'était refusé à accepter de telles responsabilités et une telle charge, pour revenir de manière éclatante à la fonction à l'Opéra de Munich, une tâche qu'il combinera avec celle, tout aussi prestigieuse, de son engagement à Bayreuth. Si le public munichois regrette Nagano, on se rend compte dès cette première production que, malgré les températures hivernales de saison, ces regrets ont déjà presque fondu comme neige au soleil tant Kirill Petrenko a de charisme, de vision et de génie. On sent chez lui une personnalité tout au service de la musique, un être extrêmement rigoureux, avec une précision technique remarquable et qui a les exigences de sa rigueur, on perçoit à le voir et à écouter l'orchestre qu'il dirige qu'il ira chercher le meilleur de chaque musicien et de chaque chanteur. On peut imaginer que les excellents musiciens de l'Orchestre d'Etat bavarois travaillent déjà avec bonheur sous la direction d'un maître qui dispose d'un tel talent. D'emblée on perçoit la complicité dans l'exécution d'une oeuvre qui en sort grandie et qui en est rendue plus lisible. Petrenko réussit l'intégration des diverses composantes du champ musical de l'opéra comme peu y parviennent: l'instrument des voix des solistes et des choeurs trouve sa place exacte grâce au soutien d'un orchestre au volume parfaitement maîtrisé. C'est par trop rare et confondant de beauté. De la musique avant toute chose.

Sur scène, un plateau de cinq grands virtuoses. Elena Pankratova habite le personnage de la femme du teinturier avec une puissance impériale et donne  une prestation époustouflante qui visite toute la complexité psychologique du personnage. Wolfgang Koch avec son beau baryton dramatique et puissant donne toute son ampleur au bienveillant teinturier. Le couple est musicalement proche de la perfection. C'est d'une telle beauté que l'action en est presque modifiée, le drame que vit le couple prolétaire en devient presque plus important que celui du couple impérial, et cet effet est dû à l'excellence et à l'intensité de la prestation de ces deux chanteurs exceptionnels. Adrianne Pieczonka, malgré une technique avérée, ne parvient pas à faire passer avec la même intensité les déchirures et les tourments intérieurs de l'impératrice, on aurait aimer ressentir davantage et l'enjeu et l'urgence de sa situation. Elle incarne davantage une femme aux émotions délicates, avec un chant élégant, extrêmement nuancé, aux beautés aristocratiques, et une superbe diction. On trouvera peut-être aussi fort débonnaire la nourrice de Deborah Polaski qui ne communique que peu la méchanceté du personnage, mais qui déploie un très grand jeu d'actrice avec une voix désormais plus installée dans le mezzo, et qui compense un léger manque de puissance par  la technique assurée d'une grande interprète. Johan Botha donne un bon empereur, avec un chant précis parfois un peu étroit dans l'aigu. Parmi les rôles secondaires, tous bien tenus, la palme revient au messager de Sebastian Holecek ou encore à la belle voix du faucon d'Eri Nakamura.

La mise en scène de Krzysztof Warlikowski s'inscrit volontairement dans l'histoire de La femme sans ombre et de sa célèbre production munichoise il y a exactement 50 ans. Munich vient de célébrer les 50 ans de la réouverture du Théâtre national qui avait été reconstruit à l'identique après sa destruction par les bombardements de 1943. En 1963, La femme sans ombre fut l'opéra de la réouverture. Un opéra créé juste après la première guerre mondiale, et qui met en scène deux couples inféconds. La nécessité de se relever et de repeupler se retrouve en filigrane: c'est évident en 1919, le baby boom des années soixante résulte d'une abondance retrouvée après la deuxième guerre mondiale, et aujourd'hui une société allemande consumériste et hyper-productive se trouve confrontée à un taux de natalité parmi les plus faibles en Europe. Warlikowski magnifie le désir d'enfants et l'enfance dans sa mise en scène en introduisant un nombre impressionnant d'enfants sur le plateau, bien au-delà du nombre requis par les choeurs. Choeurs d'enfants, corps d'enfants figurant des enfants ou des faucons, enfants habillés en adultes et mimant le sérieux d'une femme du monde ou d'une institutrice. Myriades d'enfants en contraste et en renforcement du drame de deux femmes en mal d'enfants.

Avant que ne s'élèvent les premières notes, Warlikowski projette durant quelques minutes des extraits du film d'Alain Resnais tourné notamment à Munich en 1961, deux ans avant que le Théâtre national ne rouvre ses portes: L'année dernière à Marienbad, un film aristocrate qui a pour décor le parc et le château munichois de Nymphenburg. L'affirmation de continuité ne pouvait être plus claire. Quand se terminent les applaudissements d'accueil du chef Petrenko, ils sont aussitôt relayés par les applaudissements d'une scène du film, dans laquelle on voit des acteurs applaudis alors qu'ils terminent une performance théâtrale. Un effet sonore inattendu. Ces projections reviendront comme un leit-motiv tout au long de l´opéra. 

Les décors de Malgorzata Szczesniak présentent alternativement une grande salle entièrement lambrissée du palais impérial avec une biche empaillée qui rappelle l´incarnation terrestre magique de la fille de Keikobad. De simples glissements de parois révèlent les grandes machines à laver et le lit du teinturier. Pour d´autres scènes, un dispositif plus important se met en branle et ce sont les parois latérales entières ainsi qui le mur du fond qui coulissent pour révéler une autre salle gigantesque aux murs tout entiers recouverts de briques blanches vernissées, une salle polyvalente qui par de brefs aménagements sert par exemple de piscine ou de cour de récréation pour une multitude d´enfants ou encore de salle d´opération lorsque, au troisième acte, il s´agira de pétrifier l´empereur. Les costumes et les masques de la décoratrice sont pertinents: elle habille l ´impératrice en une femme élégnate avec sa fourrure jetée sur une petite robe noire des plus seyantes, alors que la femme du teinturuer est affublée d´un corset de dentelles trop serré qui lui donne des allures vulgaires. Pourtant ce sont des coeurs semblables qui battent dans les poitrines de ces femmes que l´origine et la classe opposent. Les grands masques des enfants et des adolescents de têtes de faucons sont des plus réussis.

Krzysztof Warlikowski propose une mise en scène plus suggestive qu´explicative, ce qui, au regard des complexités psychologiques, symboliques et mythiques du livret de Hoffmanstahl, est un facteur de réussite. De ne pas forcer l´explication, de travailler davantage sur l´image et l´atmosphère ne bride pas le spectateur et ouvre la porte au champ interprétatif, ce qui est tout au bénifice et de l´oeuvre dont la complexité se trouve davantage dévoilée et du spectateur qui peut ainsi dessiner sa propre esquisse créative. Il y a là une sensibilité baudelairienne et l´invitation à pénétrer dans un monde de correspondances, où les couleurs et les sons se répondent.  Invitation à un voyage mythique avec encore les vidéos quasi holographiques de Denis Guéguin qui transforment l´univers scénique en un vaste aquarium glauque  où coulent un cheval ou des enfants noyés, au plus grands moments de désespérance de l´action, à la surface duquel au moment de la renaissance de l´espoir vient briller la lumière d´un soleil levant. La mise en scène nous baigne dans des atmosphères sans vouloir nous donner toutes les clés, c´est un beau succès. A nouveau un grand moment d´opéra au Bayerische Staatsoper.

La femme sans ombre se joue à guichets fermés, mais on pourra voir gratuitement le spectacle ce dimanche: Le Bayerische Staatsoper le retransmet en direct sur son site ce dimanche à partir de 18 heures.

Crédit photographique: Wilfried Hösl

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