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mardi 26 juillet 2011

Münchner Opernfestspiele: le Mitridate de Mozart couronné

Anna Bonitatibus (Sifare), Patricia Petibon (Aspasia)
Mozart avait à peine 14 ans en 1770 lorsqu'il composa en cinq mois seulement son Mitridate, re di Ponto pour le Teatro ducale de Milan, et ce fut déjà alors une belle réussite, puisque la première représentation fut suivie de 22 autres. Mais ce jeune opéra fut ensuite oublié et ne fut plus monté pendant deux cents ans jusqu'à ce qu'en 1971 le Festival de Salzbourg de ressuscite. Et c'est à nouveau dans le cadre d'un festival, celui de Munich, que cette oeuvre de jeunesse est montée avec un immense succès. L'oeuvre n'avait plus été montée à Munich depuis la mise en scène d'Everding en 1993.


Barry Banks (Mitridate), Patricia Petibon (Aspasia)

Pourtant, monter Mitridate tient de la gageure. Et d'abord sur le plan musical. On est encore loin des  compositions complexes et structurées des grands opéras mozartiens: Mitridate est un opéra pour virtuoses qui enfile les arias pour solistes et les récitatifs comme autant de perles rares sur un long collier, quatre heures avec les entractes. Il n'y a qu'un seul duo (entre Aspasia et Sifare, Se viver non degg’io) et un quintette fort bref qui termine l'opéra. Pour réussir le pari musical, il faut réunir un plateau d'artistes rares. Et il faut aussi un chef d'orchestre visionnaire. Ensuite le défi se déplace sur le plan narratif. On se rappelera que le livret est largement inspiré de la traduction italienne du Mithridate de Racine, avec un final adouci puisque dans la versionb mozartienne, Farnace finit par se repentir de ses crimes et recevoir le pardon paternel. Si cette pièce fut la préférée de Louis XIV, elle fut par la suite parmi les moins jouées du répertoire racinien. Si l'on peut comprendre que la volonté de puissance de Mithridate fascina le Roi Soleil, l'argument en est devenu aujourdhui surréaliste: sur fond de guerres, le Roi Mithridate, un roi jaloux et cruel,  met ses deux fils et sa future épouse à l'épreuve en se faisant passer pour mort. Les deux fils sont eux aussi éperdûment épris de leur future belle-mère, ce qui fait beaucoup d'amoureux.

L'Opéra de Munich a su réunir les ingrédients de ce cocktail rare: un chef d'orchestre visionnaire, des chanteurs d'exception et un metteur en scène qui a su jeter un regard enfantin rafraîchissant mais profondément dérangeant sur un sujet cruel et pervers.

Alexey Kudrya (Marzio),
Lawrence Zazzo (Farnace)
Ivor Bolton est parfaitement qualifié pour diriger cette oeuvre de jeunesse de Mozart. Grand connaisseur de la musique baroque, il sait faire jouer cette oeuvre avec toutes les subtilités et la  brillance, quand ce n'est pas une fureur inspirée et passionnée, qui conviennent à ce long ensemble de numéros de virtuoses. L'orchestre s'enrichit d'un invité de marque avec le corniste Zoltran Macsai pour le fameux solo de cor obbligato  qui accompagne la plainte de Sifare. Un moment magique que le metteur en scène a bien saisi en rapprochant le corniste du fils puyné de Mitridate pour un duo dans lequel l'instrument et le chant se répondent 'dans une merveilleuse et profonde unité'!

L'oeuvre est longue, surtout quand elle est exécutée dans son entièreté, ce qui est l'option d' Ivor Bolton; mais ce choix devient un pur bonheur quand on est soumis au feu ardent de la virtuosité de chanteurs dignes de l'Olympe. Patricia Petibon impressionne tant par la voix que par le jeu scénique dans le rôle d'Aspasie et, après avoir fait scintiller d'entrée le lyrisme clair et cristallin de sa voix, avec une perfection dans le staccato,   sait lui donner les couleurs et les profondeurs tragiques aux deuxième et au trosième actes. Elle  sait passer de manière abrupte des notes les plus hautes à une note grave et profonde pour des effets aussi époustouflants qu'appropriés. Son interprétation bipolaire du Nel grave tormento est tout simplement inoubliable. Le contre-ténor Lawrence Zazzo, qui  n'était pas encore monté sur les scènes munichoises, campe un Farnace puissant, odieux et torturé. Connu pour sa maîtrise du répertoire haendélien, il fait une remarquable prise de rôle tant par l'élocution et le contrôle de la voix, le vibrato et le phrasé sont parfaits, que par manière d'habiter ce personnage dans sa folie de pouvoir et de  possession amoureuse. La très  belle colorature et la douceur vocale de l'extraordinaire mezzo qu'est Anna Bonitatibus donne des tendresses touchantes au personnage de Sifare. Elle éblouit aussi par sa technique parfaitement maîtrisée et un tant soit peu posée tant dans le magnifique Se il rigor d'ingrata sorte... que dans le duo avec Aspasie. Le ténor américain Barry Banks fait lui aussi une prise de rôle  remarquée avec son Mitridate: un jeu d'acteur avec une grande souplesse et une vigueur d'interprétation   des noirceurs multiples du rôle: la vaillance de la voix, souveraine dans les plus hautes notes, et la richesse  du timbre confondent. Dans les rôles secondaires, le très beau soprano de Lisette Oropesa captive dans le rôle d'Ismène, Eri Nakamura convainc en Arbate. Enfin si  Alexey Kudrya a de beaux accents dans son interprétation du romain Marzio, il peine un peu dans le staccato.

Faut-il souligner qu'à force d'un travail aussi passionné que rigoureux, Ivo Bolton, l'orchestre et les chanteurs ont su donner à cette oeuvre de jeunesse une ampleur insoupçonnée qui en fait un des points d'orgue de la saison d'opéra munichoise. L'orchestre au grand complet fut appelé à monter sur la scène du Prinzregententheater pour recevoir une part plus que largement méritée d'applaudissements nourris, dont l'enthousiasme confinait au délire.

La mise en scène de David Bösch joue la carte du jeune Mozart contraint à l'écriture par un père qui se fait pressant. Le parallélisme avec la paternité tyrannique de Mitridate était tentante. Bösch est connu et très apprécié à Munich pour sa mise en scène coloriste de L'Elisir d'amore de Donizetti. Il porte ici le même regard d'enfant, mêlant cette fois l'émerveillement à l'horreur qu'inspirent les folies personnelles de Mitridate et de Farnace qui se déroulent sur fond de guerre et de destructions. Les choix scéniques de Bösch sont simples et efficaces: l'utilisation accomplie des techniques de projection video, des dessins d'enfants, fixes ou animés, une unité d'action placée sous le ciel nocturne, et une économie dans le choix d'objets symboliques polysémiques: des mouettes, deux bittes d'amarrage, un bateau (un canot pneumatique), des tableaux et quelques couteaux tranchants.

Le spectateur qui entre dans le Prinzregententheater y trouve quelques touches de l'atmosphère d'un port: des mouettes ont nidifié dans les niches  ou  les tripodes dorés qui décorent les murs latéraux du théâtre, quelques mouettes se reposent sur les barres des grands spots lumineux ou dans les cordages de deux bittes d'amarrage. La fin rejoindra le début, on s'apercevra lorsque les musiciens salueront que les terribles volatiles ont largué leurs flots de guano sur leusr jaquettes.

Le rideau à l'allemande reçoit d'abord la projection d'un dessin animé en ligne claire enfantine avec un générique, où l'on voit un très jeune homme, Mozart en l'occurence,  qui  rédige hâtivement un opéra. Le ton est donné, le regard sur l'action sera celui d'un enfant voire d'un jeune adolescent. Et c'est sans doute ce qui  tout au long du spectacle nous met de plus en plus mal à l'aise, ce regard d'enfant sur les horreurs de la guerre, sur les turpitudes éhontées et maladives  de Mitridate ou de Farnace. Mais ce qui répugne tant aux adultes n'est peut-être pas si étranger au monde adolescent: Mozart a quatorze ans quand il compose son Mitridate, Wagner, qui n'a rien d'un génie précoce, compose une pièce de théâtre à quinze ans, Leubald et Adélaïde, dans laquelle il fait mourir pas moins de 42 personnages. Mais le public de l'opéra n'est sans doute pas toujours en phase avec la violence et les cruautés du monde.

David Bösch crée un monde nocturne dans lequel presque tout est noirceur, le fond de scène est un immense écran concave qui reçoit la nuit parfois étoilée, parfois traversée de mouettes plus chieuses que rieuses. les personnages des dessins blancs qui s'animent sur la toile noire tiennent des dessins du Petit Prince, mais un Petit Prince de la Nuit, dans un monde infiniment plus cruel dans lequel l'amour véritable est interdit, sauf au final, mais au prix de quel charnier. David Bösch et  son équipe( Patrick Bannwart pour les décors, Falko Herold pour les costumes et  Michael Bauer pour les lumières) réalisent un travail d'imagerie scénique à la technique parfaitement maîtrisée.

Lawrence Zazzo (Farnace)

La dimension symbolique multifonctionnelle des objets doit elle aussi être soulignée: l'action  se déroule en Mer Noire (Pont Euxin, il Ponte ) à Nymphée, un port de la Crimée. Pour évoquer le port et l'empire maritime de Mitridate, Bösch procède par touches minimalistes: deux bittes d'amarrage, les mouettes, un canot gonflable. Le canot symbolise la tempête et le naufrage que sont la vie d'Aspasie, entraînée loin des siens vers les bras d'un roi qu'elle n'aime pas et qui veut la posséder, partagée entre le devoir et l'amour, intransigeante sur l'honneur. Le canot fait aussi  débarquer Mitridate vaincu par les Romains et il pourrait aussi  ramener Ismène dans son pays, alors qu'enceinte des oeuvres de son fiancé  , ce dernier, l'immonde Farnace la rejette.  Même traitement multiple pour un lustre d'apparat, symbole des fastes du luxe de l'empire de Mitridate lorsqu'il est couvert des serpentins de la fête, mais qui devient l'expression de la rage de Farnace qui le balance frénétiquement pour finir par s'y accrocher, s'y balancer pour finalement le détruire, comme il détruira un tableau représentant Mitridate en y passant la tête, devenant ainsi calife à la place du calife.

Bösch et son équipe  accentuent les vices des personnages: Mitridate débarque vaincu, moralement cocufié et ensanglanté et se comporte comme un borderliner avec des pratiques d'arrachage de cheveux et d'automutilation qui reviendront comme un leit motiv chez d'autres personnages. Farnace s'aveuglera en s'énucléant les yeux, tant Aspasie que Sifare sont proches de la tentative de suicide. Le Farnace de Bösch a rendu Ismène grosse de ses oeuvres. Cela semble dans l'air du temps: on vient d'apprendre que Baumgartner à Bayreuth vient de présenter une Vénus enceinte d'un enfant de Tannhaüser.

Le  parti pris de la  mise en scène ne dessert pas l'oeuvre, mais contribue au succès musical, elle donne une lecture que l'on ne partagera peut-être pas mais qui est cohérente et qui souligne l'emphase psychologique de la tragédie. Elle contribue aussi à faire passer la lenteur des récitatifs qui, malgré les remarquables performances des chanteurs, pourraient sans elle révéler leurs longueurs.

Ivor Bolton, David Bösch, un plateau de chanteurs exceptionnels et les musiciens du Bayerische Staatsoper ont élevé l'oeuvre du jeune Mozart au rang d'un grand opéra et donné de nouvelles  lettres de noblesse aux Münchner Opernfestspielle

Crédit photographique © Wilfried Hösl



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