Rechercher dans ce blog

jeudi 19 mai 2011

Rusalka à l'opéra de Munich: les provocations de Kusej visent juste et la musique est sublime!

Le chef d'orchestre tchèque Tomas Hanus  dirigera la reprise de Rusalka, l'oeuvre la plus connue de son compatriote Antonin Dvořák, dont la première a eu lieu en ouverture de saison. Hanus a attendu que des conditions d'excellence soient remplies avant de s'attaquer à la direction d'un des plus beaux opéras du vingtième siècle, qui a connu sa première représentation en 1901. Le Bayerische Staatsoper a répondu aux exigences du maestro et lui a offert un orchestre renommé qui sait interpréter les douceurs subtiles de l'oeuvre et répondre à la la précision de ses indications : en octobre, on avait senti comme une histoire d'amour au service de la musique entre l'orchestre et son dirigeant, avec des choeurs au métier assuré tant dans la maîtrise vocale que dans le jeu théâtral, et enfin un plateau de chanteurs exceptionnels. Le public est maintenu sous le charme de cette magie musicale synchrone pendant les trois heures de la représentation.




La jeune soprano lettone Kristine Opolais sait exprimer avec délicatesse et pathos toute la palette des souffrances du personnage. Opolais a de plus un art consommé de la scène, dont on sent qu'elle apprécie le jeu. Pourtant la mise en scène est exigeante, la sirène est par exemple plongée dans un aquarium, mais cela ne semble pas inquiéter Opolais qui  donne toute sa force vocale, avec des talents de tragédienne contemporaine. L'Ondin est porté par la voix puissante et chaude de la basse Günther Groissböck, une voix wagnérienne qui peut confiner au sublime, avec un grand talent d'acteur. Le prince sera cette fois chanté par Dmitry Popov.

Les choix du metteur en scène Martin Kusej ne laisseront personne indifférent. On se rappelera que le livret de Rusalka est largement inspiré de la Petite Sirène d'Andersen. Et Kusej a relu le conte en actualisant les horreurs qu'il contient. Dans le conte, la nymphe des eaux, la sirène, appartient au Monde souterrain des eaux, un monde régi par des règles strictes et despotiques que nul ne peut transgresser. Pour sortir de son confinement, pour accéder au monde supérieur des humains, il faut endurer des pertes et des souffrances incommensurables:  perdre son immortalité, supporter la douleur intense de la naissance des jambes, accepter de devenir muette, sans espoir de retour. Naître à l'humanité est un accouchement extrêmement douloureux au résultat plus qu'incertain. Preuve en est que le prince dont est amoureuse la sirène s'en désintéressera et la laissera sur ses jambes traversées de la douleur de mille poignards, le coeur transpercé, sans qu'un cri libératoire ne puisse sortir de sa gorge condamnée.


Kusej actualise ce monde souterrain en s'inspirant des sinistres tragédies  de l'actualité : le monde souterrain devient une vaste cave aux gigantesques tuyauteries pourries qui laissent fuir l'eau. Des enfants et des femmes y sont confinées et y pateaugent. L'Ondin qui règne sur le monde souterrain, le père de Rusalka, est transformé en un monstre pédophile incestueux qui abuse de sa fille et des autres nymphes, violente femmes et enfants, et les maintient en captivité les nourrissant de nourritures chichement achetées dans un supermarché discount. Cela évoque aussitôt les affaires Dutroux, Fourniret ou Fritzl. On repense aux prêtres catholiques pédophiles qui usent de leur influence pour contraindre des enfants à leurs abominations. On pense peut-être que l'on a fermé les yeux dans sa famille proche. Rien d'étonnant à ce que Rusalka essaye d'échapper à un tel univers.

Mais à l'étage supérieur, la société des humains vue par Martin Kusej n'est pas plus engageante: le Prince ne comprendra pas l'amour délicat d'une nymphe rendue muette et Kusej continue dans l'art de la provocation en le faisant copuler sur scène. Le Prince de Kusej plaquera la Princesse étrangère contre un mur et la fornique à souhait sous les yeux désespérés de Rusalka qui n'a que son corps torturé pour exprimer son désespoir et les tourments de son âme à l'agonie. Ailleurs, le garde forestier abuse sexuellement du garçon de cuisine, ou de la fille de cuisine puisque le rôle est ici confié à une femme.


Kusej baigne sa mise en scène dans le sang, ou, plutôt, si cela peut rassurer, dans l'hémoglobine de théâtre: des reproductions de chevreuils sont dépiautées sur scène, les mains du garçon boucher et de la fille de cuisine sont plongées dans de sanguinolentes viscères synthétiques, Kusej organise une valse de figurants et de figurantes en robes blanches de mariées, qui dansent tenant dans leurs bras autant de chevreuils dépiautés, les robes et les visages se couvrent de sang et les mariées en folie se mettent à dévorer la chair crue des chevreuils. Tout ce sang finira par disparaître quand plus tard on retrouvera les enfants dans une chambrée de lits de fer blancs, habillés de vêtements blancs purifiés de leurs souillures. Nos hôpitaux et nos orphelinats sont les lieux où l'on va oublier et laver les corps, redonner une apparence de propreté. Mais les âmes?

Ces scènes sont autant de miroirs qui nous interrogent. Ce que Kusej dénonce, c'est la perte de l'innocence d'une société carnassière qui tue des animaux fragiles, violente les femmes et abuse sexuellement de ses propres enfants. Kusej pointe du doigt l'inadmissible et, de même que Rusalka crèvera le décor idyllique des montagnes en lacérant la toile qu'elle traverse, Kusej brise nos apparences si bien construites et nous confronte en nous obligeant à considérer de front nos problèmes sociétaux.

Il y a eu lors de la première, et il y aura peut-être encore lors de cette reprise, un public qui ne peut ou ne veut pas entendre ce type de messages, un public pour qui  la petite sirène est un dessin animé issu des studios Disney, un public qui veut du rêve teinté à la fleur bleue. La musique le lui procure . Sans doute ne veut-on pas se sentir corresponsables des inégalités femmes-hommes, ni, pire encore, des violences sexuelles contre les enfants et contre les femmes. Le rôle que se donne un metteur en scène du format de Kusej n'est pas celui de l' amuseur public, d'autant qu'il  en a des tas qui font cela, et fort bien du reste. Kusej ne provoque pas, il dénonce, il fait prendre conscience, c'est inconfortable et dérangeant, très dérangeant.
Martin Kusej, un grand metteur en scène, dont la Bavière a eu l'intelligence de se doter pour diriger le théâtre d'Etat, le Bayerisches Staatsschauspiel. Ce n'est sans doute qu' une question de temps et d'éducation, mais le public finit toujours par reconnaître le génie.

Dates des représentations:
Les 22/25/29 mai 2011
Le 1et et le 4 juin 2011

Et dans le cadre du festival d'opéra de Munich: les 15 et 18 juillet 2011

Réservationscliquer ici

*Photo Peter Uhan

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire