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Alors qu'on lui demandait de produire un ballet classique, Neumeier en discuta avec Rose qui eut l'idée de revisiter Le lac des Cygnes en imaginant qu'un Roi, désigné comme Le Roi mais qui est aussitôt identifié comme Louis II de Bavière, assiste à la représentation du ballet de Tchaikovski dans son château de contres de fées. L'idée n'est pas un anachronisme: Tchaikovski vit son ballet exécuté pour la première fois en 1877, mais ne remporta qu'un succès médiocre. Ce n'est qu'à partir de 1895 que les cygnes du grand compositeur russe prirent leur envol dans la choréographie féérique de Petipa/Ivanov à Saint Pétersbourg, soit après la mort de Tchaikovski et de Louis II.
Mais si Louis II de Bavière n'est sans doute pas rentré en contact avec l'oeuvre de Tchaikoski, on peut comme John Neumeier l'a si bien fait, tenter de nombreuses passerelles symboliques entre les deux hommes. A commencer par leur homosexualité qui les écartela: nés dans une période où on ne pouvait vivre sa nature propre en pleine lumière, et difficilement sans doute à l'abri des regards, en tout cas pour des personnalités de premier plan, constamment sous les feux de la rampe.
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Dans les délires de son enfermement, le Roi s'illusionne à partir de trois objets disposés dans la chambrer du palais qui lui sert de celulle: la maquette de Neuschwanstein, un théâtre miniature de carton qui présente ne représentation du Lac des Cygnes et son propre portrait en pied en grand habit de cérémonie. Le décor de la celulle s'ouvrira par trois fois pour laisser place au décor déliré par la folie royale
Le deuxième objet, le théâtre miniature, va conduire le souverain à croire qu'il assiste à une représentation du Lac des cygnes. Dans une mise en abyme très réussie, Neumeier reproduit fidèlement la choréographie d'Iwanow, l'adjoint de Petipa, telle qu'elle fut présentée en 1894 au théâtre Mariinski. Ici Louis II va s'identifier au prince Siegfried, le prince du Lac des Cygnes qui, tombé amoureux d'une femme ensorcellée et métamorphosée en cygne, la princesse Odette, dansée par l'incomparable Daria Sukhorukova, sera victime à son tour de la machination du magicien qui l'abuse en lui faisant épouser sa propre fille, à qui il a donné l'apparence de la femme dont le prince est amoureux. Le Roi d'opérette qu'est Louis II rencontre ainsi et s'identifie au prince de conte de fées. La transition est à nouveau organisée à partir de l'Ombre. Alors que le Roi s'approche du magicien maléfique, il se rend compte qu'il s'agit de l'Ombre, ce qui est lourd de signification symbolique: l'homosexualité est un maléfice qui empêche l'accès à l'amour véritable. Le roi se réveille à nouveau de son illusion dans sa celulle
Lors du premier acte, on est au château de Neuschwanstein encore en chantier mais dont la construction s'achève. Le souverain a convié les paysans du village, qui sont peut-être aussi les ouvriers qui ont participé à la construction, à une fête paysanne où danse et combats de force alternent. Rose et Neumeier convient ici tous les clichés du kitsch bavarois: la bière coule à flots dans de grandes chopes, les paysans portent la culotte de cuir et leurs femmes la robe à tablier (Trachten et Dirndl) sur fond d'échafaudage et panorama alpin. Les paysans s'exercent à des jeux de force et le Roi peut un moment s'illusionner d'une proximité avec son peuple, et particulièrement avec les paysans athlétiques. Arrive ensuite la Cour et la Reine, mère du Roi. Une princesse essaye de le séduire, mais le Roi pris de folie la repousse, la jette à terre et vajusqu'à gifler sa propre mère. Un des personnages se révèle être l'Ombre, le roi est puissamment attiré, d'une manière incoercible, et agit à lencontre de tout ce que l'on attend de lui. L'Ombre fait transition et le Roi se réveille dans la prison qu'il n'a jamais quittée. Il se jette à nouveau sur son prie-Dieu pour une prière énervée, on le sent tiraillé entre un devoir qu'il ne peut accomplir et le besoin constant de se réfugier dans le divertissement.
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Ainsi le ballet s'achève-t-il sur la mort par noyade. Et là aussi les signes se renvoient: Louis II était fasciné par la majesté aquatique des cygnes, et on se souviendra que le Tchaikovski du Lac des cygnes avait tenté de se donner la mort en buvant un verre d'eau contaminé par le bacille du choléra.
On est subjugué par la qualité de la troupe du ballet. On sait combien il est périlleux de s'essayer à reproduire les choréographies d'Iwanow-Petipa si elles ne sont pas dansées à la perfection. Seule l'ascèse, la discipline de travail et le talent artistique des meilleurs danseurs peuvent redonner vie à ce ballet si souvent remâché. Le pari munichois est réussi et la magie est présente au rendez-vous que vous donne le Ballet National bavarois pour les prochaines représentations.
Agenda
Les 23 et 28 avril 2011
Les 6, 15, 18, 21 et 23 mai 2011
Les 2, 6 et 11 décembre 2011
Les 10, 12, 16, 19 et 22 mars 2012
Et le 27 avril 2012.
Réservations, cliquer ici, puis sur la date désirée en bas de page, et suivre la procédure
Crédits photographiques: Hösl, Badekow, Kletzsch
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