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mardi 28 décembre 2010

Fidelio à l'opéra de Munich: apologie de Calixto Bieito

La réputation sulfureuse des mises en scène de Calixto Bieito (photo Thilo Schulz) l'a précédé et un certain public munichois avait déjà fait des réserves de huées avant même le spectacle. Et ceux-là qui n'attendaient que cela ont pu trouver ce qu'ils attendaient: du sang, du sans-gêne et du sexe. Jaquino viole Marceline, Rocco vide de force de l'alcool dans la gorge de Florestan, Don Fernando travesti en Joker batmanesque flingue Florestan...
Mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, ce qui est dommage à l'opéra. La lecture que donne Bieito de Fidelio est sans doute plus complexe que ce que proposait le livret original, mais ne le dénature pas. Elle l'enrichit. On connaît l'histoire: Florestan, un espagnol injustement condamné par un tyran est incarcéré et va être mis à mort. Son épouse, Léonore, se travestit en homme pour infiltrer la prison et essayer de libérer son mari. L'opéra de Beethoven dénonce l'arbitraire et magnifie l'amour conjugal. L'histoire est inspirée d'un fait divers qui a eu lieu à Tours pendant la Terreur. Beethoven est épris des idéaux de justice, de liberté et de fraternité. Un bon Ministre, Don Fernando, finira par libérer Florestan. En intrigue secondaire, la fille du geôlier, Marzelline, dont est épris le gardien Jaquino, tombe amoureuse de Léonore déguisée en Fidelio. A l'origine, il s'agit donc d'un drame de l'enfermement qui se conclut de manière morale exemplaire: la justice finit par être rendue aux bons et les méchants sont condamnés, à la noirceur morale du tyran s'oppose le courage d'une femme qui n'hésite pas à risquer sa vie pour sauver son amour, un triomphe de la pureté et une parfaite dichotomie morale.
Bieito a relu le drame en dynamisant la thématique de l'enfermement: à l'incarcération inique il ajoute l'enfermement psychique que les humains s'imposent à eux-mêmes. Nous sommes tous des enfermés, notre égoïsme, nos désirs de possession, que nous appelons de l'amour, et de pouvoir, créent les parois de nos prisons, et nous finissons enfermés sans qu'aucune communication soit possible. Les humains se heurtent aux parois de verre d'un gigantesque labyrinthe, et lorsqu'ils se croisent, c'est pour exercer leur violence. La prison de Bieito devient tout à la fois un château à la Kafka ou un labyrinthe à la Escher que rendent magistralement les décors de Rebecca Ringst et le magnifique travail des lumières de Reinhard Traub. Un labyrinthe dans lequel viennent se perdre les figurants-acrobates qui partent à l'assaut d'une Bastille qui semble imprenable. Toutes les dimensions de l'espace scénique sont occupées: les acrobates deviennent des poupées désarticulées par une machine qui les broie net et se contorsionnent dans les airs, des musiciens encagés descendent du cintre, le décor-labyrinthe vertical d'acier, de verre et de lumière finit par être abattu sur la scène pour figurer le labyrinthe horizontal d'un palais des glaces où l'on ne peut faire rien d'autre que se heurter à des parois sans jamais trouver la sortie.
Le pouvoir, qui chez Beethoven finissait par faire triompher la justice, est à l'image de certains de nos chefs d'état contemporains travestis en des clowns soi-disant démocrates dont il faut être aveugle pour être dupe. Don Fernando devient le Joker du film Batmann, un clown fantasque et cynique qui rend une justice de pacotille et use des lumières de la scène, ou des medias, pour attirer l'attention sur sa dangereuse personne. Bieito stigmatise aussi l'arbitraire de ces dirigeants qui créent des lois qui les protègent ou parviennent à incarcérer des opposants au mépris de toute justice. L'actualité récente en fourmille, hélas.
Ainsi Bieito nous met-il à nu en nous offrant le miroir sinistre du labyrinthe de nos folies et de nos enfermements. Le refus du miroir se traduit par les huées. Un instant significatif de la mise en scène a d'ailleurs créé la consternation: à la fin de l'opéra, Fidelio se dévoile comme Léonore et l'innocence de Florestan va être proclamée. Bieito fait se déshabiller les chanteurs qui vont quitter leurs vêtements: Léonore se dépouille sur scène de ses vêtements d'homme et Florestan de son costume de prisonnier. Un moment, ces héros apparaissent dans leur plus grande fragilité, en petites culottes, avant de revêtir des habits bourgeois. C'est précisément ces aspects de nous-mêmes que nous ne voulons jamai s montrer. Nouvelles huées du public qui a lui aussi ce soir revêtu ses habits de fête. Il y avait bien sûr du Bunuel dans ce petit morceau de choix, on ne peut s'empêcher de repenser à la scène de la défécation en commun des protagonistes des Charmes discrets de la bourgeoisie. Mais Bieito comme Borgès et Bunuel sont des provocateurs, ce n'est sans doute pas par goût du scandale, ce sont des provocations qui nous interrogent et, à l'instar du Fidelio de Beethoven, nous purifient et nous invitent à l'élévation morale.
Un quidam a cru bon d'interrompre la musique pour crier Mais arrêtez donc votre théâtre! Mais l'opéra, c'est justement cela, un spectacle total aux effets cathartiques certains.

Calixto Bieito n'a pas en tout cas pas laissé le public indifférent, et à côté des huées, a suscité des applaudissements nourris. Ce qui ne fut pas le cas de la direction musicale de Daniele Gatti, qui a fait une large unanimité contre elle. Là encore un certain public munichois se croit faiseur de roi, on se serait cru au Colisée avec les dos tournés au chef d'orchestre comme autant de pouces baissés. Ce manque de respect pour le travail des artistes, quelle que soit l'appréciation que l'on en ait, ne fait que confirmer et renforcer la lecture et le décodage de Bieito.
Le spectacle affiche complet pour la saison, mais on pourra trouver des places pour voir cette production cet été au Bayerische Staatsoper, les 4 et 8 juillet, cette fois sous la baguette du maestro Fabio Luisi.


Trailer

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