C'est la première fois que le chef d'orchestre tchèque Tomas Hanus (photo) dirigeait Rusalka, l'oeuvre la plus connue de son compatriote Antonion Dvorak. Il s'y était toujours refusé parce qu'il attendait que des conditions d'excellence soient remplies avant de s'attaquer à la direction d'un des plus beaux opéras du vingtième siècle, un opéra qui avait ouvert ce siècle puisque Rusalka a connu sa première représentation en 1901.
Le public a ovationné l'interprétation de la jeune soprano lettone Kristine Opolais qui a su exprimer avec délicatesse et pathos toute la palette des souffrances du personnage, même si ses graves ne passaient pas toujours l'orchestre. Opolais a de plus un art consommé de la scène, dont on sent qu'elle apprécie le jeu. Au dernier acte elle a enfin pu donner toute sa force vocale, avec des talents de tragédienne contemporaine. L'Ondin était porté par la voix puissante et chaude de la basse Günther Groissböck, le Prince du ténor Klaus Florian Vogt résonnait avec force et clarté, deux grandes voix wagnériennes qui confinent au sublime, deux talents d'acteur . Les rôles secondaires ont contribué de faire de cette soirée un hymne à la Musique.
Le public dans sa grande majorité n'a pas apprécié les choix du metteur en scène Martin Kusej*, qui a été copieusement hué. On se serait cru à la première de Hernani, dans une querelle des Anciens et des Modernes. Personne n'est resté indifférent dans la salle mais les bravos enthousiastes d'un petit nombre n'ont pu compenser le brouhaha général de la désapprobation.
Dates des représentations:
Le Bayerische Staatsoper a répondu aux exigences du maestro et lui a offert un orchestre renommé qui a su interpréter les douceurs subtiles et la précision de ses indications : on a senti comme une histoire d'amour au service de la musique entre l'orchestre et son dirigeant, avec des choeurs au métier assuré tant dans la maîtrise vocale que dans le jeu théâtral, et enfin un plateau de chanteurs exceptionnels. Le public a été maintenu sous le charme de cette magie musicale synchrone pendant les trois heures de la représentation.
Le public a ovationné l'interprétation de la jeune soprano lettone Kristine Opolais qui a su exprimer avec délicatesse et pathos toute la palette des souffrances du personnage, même si ses graves ne passaient pas toujours l'orchestre. Opolais a de plus un art consommé de la scène, dont on sent qu'elle apprécie le jeu. Au dernier acte elle a enfin pu donner toute sa force vocale, avec des talents de tragédienne contemporaine. L'Ondin était porté par la voix puissante et chaude de la basse Günther Groissböck, le Prince du ténor Klaus Florian Vogt résonnait avec force et clarté, deux grandes voix wagnériennes qui confinent au sublime, deux talents d'acteur . Les rôles secondaires ont contribué de faire de cette soirée un hymne à la Musique.
Le public dans sa grande majorité n'a pas apprécié les choix du metteur en scène Martin Kusej*, qui a été copieusement hué. On se serait cru à la première de Hernani, dans une querelle des Anciens et des Modernes. Personne n'est resté indifférent dans la salle mais les bravos enthousiastes d'un petit nombre n'ont pu compenser le brouhaha général de la désapprobation.
On se rappelera que le livret Rusalka est largement inspiré de la Petite Sirène d'Andersen. Et Kusej a relu le conte en actualisant les horreurs qu'il contient. Dans le conte, la nymphe des eaux, la sirène, appartient au Monde souterrain des eaux qui est régi par des règles strictes et despotiques que nul ne peut transgresser. Pour sortir de son confinement, pour accéder au monde supérieur des humains, il faut endurer des pertes et des souffrances incommensurables: accepter la mortalité, la douleur intense de la naissance des jambes, accepter de devenir muette, sans espoir de retour. Naître à l'humanité est un accouchement extrêmement douloureux au résultat plus qu'incertain. Le prince dont est amoureuse la sirène s'en désintéressera et la laissera sur ses jambes traversées de la douleur de mille poignards, le coeur transpercé, sans qu'un cri libératoire ne puisse sortir de sa gorge condamnée.
Kusej a actualisé ce monde souterrain en s'inspirant de tragédies sinsitres de l'actualité : le monde souterrain devient une vaste cave aux gigantesques tuyauteries pourries qui laissent fuir l'eau. Des enfants et des femmes y sont confinées et y pateaugent. L'Ondin qui règne sur le monde souterrain, le père de Rusalka, est transformé en un monstre pédophile incestueux qui abuse de sa fille et des autres nymphes, violente femmes et enfants, et les maintient en captivité les nourrissant de nourritures chichement achetées dans un supermarché discount. Cela évoque aussitôt les affaires Dutroux, Fourniret ou Fritzl. On repense aux prêtres catholiques pédophiles qui usent de leur influence pour contraindre des enfants à leurs abominations. On pense peut-être que l'on a fermé les yeux dans sa famille proche. Rien d'étonnant à ce que Rusalka essaye d'échapper à un tel univers.
Mais à l'étage supérieur, la société des humains vue par Martin Kusej n'est pas plus engageante: le Prince ne comprendra pas l'amour délicat d'une nymphe rendue muette et Kusej continue dans l'art de la provocation en le faisant copuler sur scène. Le Prince de Kusej plaquera la Princesse étrangère contre un mur et la fornique à souhait sous les yeux désespérés de Rusalka qui n'a que son corps torturé pour exprimer son désespoir et les tourments de son âme à l'agonie. Ailleurs, le garde forestier abuse sexuellement du garçon de cuisine, ou de la fille de cuisine puisque le rôle est ici confié à une femme.
La presse avait déjà monté le public contre Kusej cette semaine en l'accusant à tort de maltraitance envers les animaux: un chevreuil, celui-là même que le prince poursuit lors d'une partie de chasse lorsqu'il rencontre Rusalka pour la première fois, devait être dépiauté sur scène. Un élément que nous avions sorti de son contexte, à tort, il convient tant de le reconnaître que de le souligner. Oui Kusej baigne sa mise en scène dans le sang, ou pour rassurer le lecteur, dans de l'hémoglobine de théâtre: des reproductions de chevreuils sont dépiautés sur scène, les mains du garçon boucher et de la fille de cuisine sont plongées dans de sanguinolentes viscères synthétiques, Kusej organise une valse de figurants et de figurantes en robes blanches de mariées, qui dansent tenant dans leurs bras autant de chevreuils dépiautés, les robes et les visages se couvrent de sang et les mariées en folie se mettent à dévorer la chair cue des chevreuils. Tout ce sang finira par disparaître quand plus tard on retrouvera les enfants dans une chambrée de lits de fer blancs, habillés de vêtements blancs purifiés de leurs souillures. Nos hôpitaux et nos orphelinats sont les lieux où l'on va oublier et laver les corps, redonner une apparence de propreté. Mais les âmes?
Oui nous nous sommes trompés: ce que Kusej dénonce, c'est la perte de l'innocence d'une société carnassière qui tue des animaux fragiles, violente les femmes et abuse sexuellement de ses propres enfants. Exactement le contraire de ce que l'Abendzeitung et une nombreuse presse à sa suite a dénoncé. Non Kusej ne fait pas tuer des chevreuils pour le plaisir d'un acte provocateur gratuit et insensé. Kusej dénonce , pointe du doigt l'inadmissible et, de même que Rusalka crèvera le décor idyllique des montagnes en lacérant la toile qu'elle traverse, Kusej brise nos apparences si bien construites et nous confronte au miroir de nos problèmes sociétaux.
C'est ce que le public n'a pu entendre. Pour ce public, la petite sirène est un dessin animé des studios Disney, le public veut du rêve teinté à la fleur bleue. La musique le lui procure . Mais la grande majorité du public n'a pas voulu de ce miroir tendu par le metteur en scène. Dans la ville opulente de BMW et de Siemens, des fins de semaine à la campagne sur fond idyllique du paysage alpin, on ne veut pas se sentir corresponsable des inégalités femmes-hommes, ni, pire encore, des violences sexuelles contre les enfants et contre les femmes. Le rôle d'un metteur en scène n'est plus d'être un amuseur public, d'ailleurs il y en a plein. Kusej ne provoque pas, il dénonce, il fait prendre conscience, c'est inconfortable et dérangeant, très dérangeant, et la plupart ne sont pas prêts à payer jusqu'à deux cents euros pour être confrontés à cette part de nous que nous occultons si volontiers.
Martin Kusej, un grand metteur en scène, dont la Bavière a eu l'intelligence de se doter pour diriger le théâtre d'Etat, le Bayerisches Staatsschauspiel. Sans doute est-ce une question de temps et d'éducation, mais le public finit toujours par reconnaître le génie.
Dates des représentations:
Octobre 26/28/31 2010
Novembre 4 2010
Mai 22/25/29 2011
Juin 1 et 4 2011
Novembre 4 2010
Mai 22/25/29 2011
Juin 1 et 4 2011
Et dans le cadre du festival d'opéra de Munich: les 15 et 18 juillet 2011
Réservations: cliquer ici
*Photo Peter Uhan
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