Munich and Company
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dimanche 30 mars 2025
Total Baroque, un nouveau magazine en ligne pour les passionnés de musique ancienne
jeudi 27 mars 2025
Corinne Winters triomphe en Káťa Kabanová pour ses débuts à l'Opéra de Munich
Dans l'opéra Káťa Kabanová, l'héroïne est prise au piège dans le maillage d'un réseau de relations malsaines : Kabanicha, sa belle-mère autoritaire, opprime et contrôle son fils Tichon, dont le mariage avec Káťa souffre considérablement de cette domination étrangère. Comme Káťa ne trouve pas son compte dans cette famille, elle se réfugie, elle et ses désirs érotiques insatisfaits, dans une liaison avec Boris.
En tant que compositeur et librettiste, Janáček concentre l'action de l'œuvre littéraire d'origine, le drame Orage d'Alexander N. Ostrowski : le livret renonce en grande partie à décrire les circonstances sociales extérieures, qui déterminent de manière décisive la nature et les décisions de Káťa. Au lieu de cela, Janáček retrace l'évolution du personnage-titre dans un langage musical psychologique et délicat. Le sentiment de culpabilité de Káťa ne cesse de croître jusqu'à ce qu'il éclate dans une confession publique qui prend la forme d'un orage émotionnel. La musique tumultueuse et parfois survoltée ouvre l'espace à des passages de grâce lyrique et nous permet de ressentir l'essence la plus intime des personnages.
Le metteur en scène Krzysztof Warlikowski voit en Káťa une marginale à qui l'on refuse une vie en accord avec ses aspirations et qui finit par préférer la mort au mensonge. Le pouvoir destructeur sous-jacent de la religion ne se trouve pas seulement dans une petite ville russe sur la Volga dans les années 1860, où le livret situe l'action, mais peut être observé partout dans le monde. À l'aide d'une équipe soudée, composée du chorégraphe Claude Bardouil, de la créatrice de lumières Felice Ross et du vidéaste Kamil Polak, Krzysztof Warlikowski a traqué les processus les plus profonds de la psyché humaine dans les espaces de la scénographe Małgorzata Szczęśniak et livre une vision de l'oeuvre d'une intelligence et d'une profondeur magistrales.
Mais où est donc passée la Volga ? Cette question à laquelle tous les metteurs en scènes et les scénographes qui montent Katia Kabanova doivent tenter d'apporter une réponse, reçoit un traitement original et subtil dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski et la scénographie de Małgorzata Szczęśniak, aussi en charge des costumes. La Volga est au coeur du livret et de la musique de Leoš Janáček qui s'est attaché à en évoquer " la mélancolie et les pleurs feutrés " du fleuve. Mais la nouvelle production munichoise ne présente pas de manière directe le grand fleuve et déplace l'action, initialement située dans un village sur la Volga en 1860, dans les années 1960 ou 70 dans la salle polyvalente d'une commune au bord d'un fleuve. Le pouvoir destructeur sous-jacent de la religion n'agit pas seulement là où le livret situe l'action, mais peut être observé partout dans le monde.
Alors que le public s'installe, l'action a déjà commencé sur le plateau où des couples dansent le tango. Pour Warlikowski, " les cours de tango appartiennent au domaine de cette maladie contemporaine qui pousse les gens à vouloir faire partie d’une communauté. Le tango est une image fantastique de l’harmonie. Deux corps. Une étreinte. Une passion feinte. C’est peut-être seulement en observant ces corps danser que Káťa a été inspirée à toucher un autre corps, à le presser contre elle, à l’embrasser. " L'absence de lever de rideau est sans doute une manière de réduire le fossé qui sépare la salle de la scène et d'inclure le public dans l'espace de la salle polyvalente. La salle communale est sobrement décorée par trois vitrines, un aquarium, un juke-box, une machine à sous, une horloge et une enseigne lumineuse indiquant l'emplacement des lieux d'aisance. Toute l'action prend place dans le huis-clos de la salle polyvalente dans laquelle l'assistance sera constamment le témoin des événements et notamment de la terrible confession publique de Kat'a. Un figurant insolite porte des palmes, un masque et un snorkel. Dans une des vitrines, on voit des animaux naturalisés, des gravures anciennes, une télévision d'un modèle ancien mais déjà en couleurs qui diffuse un reportage sur un fleuve dont on se plaît à imaginer qu'il s'agit de la Volga. À divers moments, l'aquarium se reflète sur la paroi qui lui fait face. La paroi du fond est modulable, en son centre on voit apparaître un bar avec un grand comptoir dont l'enseigne, — Bar Minéral — est évocatrice du thème aquatique. Deux vitrines nous renseignent sur les activités et les mœurs villageoises : une vitrine pour les hommes, avec un mannequin arborant un costume de policier et peut-être un pêcheur en vêtements de pluie et, de l'autre côté de la salle, une vitrine présentant des mannequins féminins dont les pauvres robes décrivent très exactement la place subalterne de la femme vouée aux tâches ménagères dans une société très codifiée. La mise en scène assure une présence discrète et éparpillée au long fleuve, à cette " fontaine où l'accord est enfanté, dont il porte les ondulations ". Voici comment Krzysztof Warlikowski approche le fleuve tel que le décrit l'opéra :
" La rivière et l’eau sont un élément central. La rivière est l’endroit où les chiots se noient. Le fleuve est également à l’origine de catastrophes dues à des inondations ou à d’autres scénarios où il sort de son lit. La rivière représente la beauté et le danger, la disparition. Il y a une vie sombre dans cette rivière. Une vie tentante peut-être. Une disparition dans la nature. "
Si la Volga est le plus long fleuve d'Europe, le fleuve de la mise en scène peut couler n'importe où dans le monde. La communauté villageoise veut faire belle figure, mais ce masque apparent cache la strate nauséabonde des relations malsaines, du non-dit généralisé auquel on tente d'échapper par l'alcool ou le sexe, l'un n'excluant évidemment pas l'autre.
Le chef Marc Albrecht est familier de l'œuvre. Il a choisi de la présenter sans entracte de manière à préserver la tension et faire en sorte que les éléments convergents qui aboutissent à la catastrophe finale fassent pleinement leurs effets. Le chef évoque la musique de Janáček avec passion :
"Je trouve simplement que c'est une musique qui brûle toujours, d'une bonne manière. Elle est toujours très proche de la personne qui agit, elle est douloureusement précise parfois, ça peut aussi faire mal (parfois en l'écoutant et aussi en l'exécutant). Il y a aussi des moments très abrupts, selon les cas, mais aussi des délicatesses, des vulnérabilités incroyablement touchantes. C'est donc une musique qui se glisse tout simplement sous la peau des gens sur scène, et là, elle fait des merveilles. Donc cette grande authenticité. Cette immédiateté (il n'y a pas de fausse note, pas de geste artificiel, pas d'effet non plus) - c'est tout simplement sincère. Et c'est toujours choquant aujourd'hui, si on le pense vraiment, si on le fait et si on le perçoit comme tel, alors cela a aussi ses moments inquiétants et aussi de grandes forces et de la confiance. Et Káťa, qui est au centre, est saisie par Janáček d'une manière dont peu de personnages d'opéra bénéficient. Donc : c'est une musique incroyable ".
Corinne Winters en Kat'ja |
La soprano américaine Corinne Winters vient de faire des débuts très remarqués à la Bayerische Staatsoper en Káťa, un rôle qu'elle a joué à de nombreuses reprises, notamment au Festival de Salzbourg 2022. Elle dispose de l'énorme avantage de parler le tchèque, ce qui lui permet de connoter et de colorer très exactement ce qu'exprime le texte. Elle apprécie la mise en scène différente et audacieuse de Krzysztof Warlikowski et le défi qu'elle représente sur le plan dramatique. Son interprétation est à la fois parfaitement ciselée et parfaitement authentique. Elle décline avec une habileté stupéfiante toutes les composantes d'une personnalité empreinte de spiritualité emprisonnée dans les carcans étouffants de la religion et de la société, desquels elle tente de se libérer sans y parvenir, ne trouvant qu'une porte de sortie, celle du suicide. Pendant tout le temps de l'opéra, on reste suspendus aux lèvres de la chanteuse qui livre une interprétation émotionnelle d'une précision stupéfiante, dont l'effet est encore décuplé par les vidéos de Kamil Polak dont les projections agrandissent les expressions de la chanteuses. La vidéo devient ici un instrument redoutable qui ne laisse pas le droit à l'erreur, mais Corinne Winters se joue de cette difficulté en livrant un jeu sensible, véridique et naturel.
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Kabanicha (Violeta Urmana) et Corinne Winters (Kat'a) |
Violeta Urmana dessine avec un talent d'actrice consommé un portrait menaçant de Kabanicha, une matrone castratrice odieuse qui tient son fils Tikhon en laisse comme un caniche bien dressé. Małgorzata Szczęśniak lui a taillé un vestiaire évocateur d'une femme égocentrique qui parade en grande bourgeoise. Elle se croit d'une classe supérieure à celle des femmes de son village et tient à ce que cela se sache. John Daszak joue avec maestria le rôle du fils entièrement soumis à sa génitrice. Pavel Černoch campe un Boris marginal, en complet contraste avec le portrait du mari de Kat'a, et c'est sans doute ce contraste qui a séduit la jeune femme à la recherche d'une porte de sortie du monde étouffant dans lequel elle est cloisonnée. Ena Pongrac donne une exceptionnelle Varvara, la confidente et la complice de Kat'a.
Une grande soirée d'opéra, avec une ligne de chant basée sur " les petites mélodies de la parole " qui selon les termes du compositeur devaient exprimer les pulsions, les affects et la vérité intérieure des personnages. Marc Albrecht et l'orchestre ont livré un travail d'orfèvre qui fait honneur au compositeur et, avec Corinne Winters, remportent un triomphe des plus mérités.
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Kat'a (Corinne Winters), Boris (Pavel Černoch) et Kabanicha (Violeta Urmana) |
Distribution
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Małgorzata Szczęśniak
Lumières Felice Ross
Vidéo Kamil Polak
Chorégraphie Claude Bardouil
Chœur Franz Obermair
Dramaturgie Christian Longchamp, Lukas Leipfinger
Dikoj Milan Siljanov
Boris Pavel Černoch
Kabanicha Violeta Urmana
Tichon John Daszak
Káťa Corinne Winters
Kudrjáš James Ley
Varvara Ena Pongrac
Kuligin Thomas Mole
Glaša Ekaterine Buachidze
Fekluša Elene Gvritishvili
Un homme Samuel Stopford
Une femme Natalie Lewis
Bayerisches Staatsorchester
Bayerischer Staatsopernchor
Crédit photographique © Geoffroy Schied
(1) Sources : le programme de la Bayerische Staatsoper, dont les " Réflexions de Krzysztof Warlikowski sur Káťa Kabanová " compilées par Christian Longchamp, des extraits de la médiathèque de la presse. Les citations sont traduites.
Bibliographie : Leoš Janáček, Ecrits, Choisis, traduits et présentés par Daniela Langer, Fayard, 2009.
dimanche 23 mars 2025
L'Orphéon catalan et le Palau de la Música catalana — Reportage photos
Le Palau de la Música Catalana est une salle de concerts barcelonaise déclarée Monument national en 1971 et inscrite au Patrimoine mondial de l'Humanité par l'UNESCO en 1997. Construit par l'architecte Lluis Domènech i Montaner pour être le siège de l'Orfeó Català et financé par des dons privés, c'est une perle du patrimoine architectural et musical de Barcelone.
jeudi 20 mars 2025
Le Lohengrin iconoclaste de Katharina Wagner au Liceu de Barcelone
Klaus Florian Vogt (Lohengrin) et le cygne noir © A. Bofill |
La nouvelle production de Lohengrin mise en scène par Katharina Wagner au Liceu vient enfin d'être portée sur les fonts baptismaux après avoir connu une double annulation, d'abord à Barcelone en 2020 en raison du confinement lié au Covid, puis à Leipzig en 2022 à cause de problèmes logistiques (voir notre article). Katharina Wagner a repris son projet initial en y apportant de légères modifications. La metteure en scène, qui avait déjà mis en évidence la face sombre et cachée du personnage principal dans son Lohengrin de Budapest en 2004, a tenté de l'explorer en profondeur : elle fait de Lohengrin un être manipulateur, ambitieux et criminel capable de tuer pour accéder au pouvoir. Le cygne, témoin de son crime, le hantera tout au long de l'opéra, tourmentant sa conscience jusqu'à ce qu'il craque et passe aux aveux.
Dès le prélude d'ouverture, on suit les jeux d'une paire de jeunes gens en train de mimer un combat puis un couronnement, comme le feraient des enfants : le jeune homme porte une épée en bois, la jeune femme le sacre roi en posant une couronne de carton sur sa tête. La jeune fille s'éloigne, apparaît alors Lohengrin qui se met à livrer combat contre le jeune homme, il l'accule dans un marais dans lequel le jeune homme tombe. Lohengrin lui maintient la tête sous l'eau jusqu'à ce que mort s'ensuive. Derrière le marais s'élève un monticule de schiste feuilleté sur lequel repose un cygne noir grandeur nature qui fait froufrouter les plumes de ses ailes et dont la tête et le col sont mobiles, une petite merveille de mécanique. Le cygne est le témoin du meurtre de Gottfried, le frère d'Elsa de Brabant. Lohengrin laisse le cadavre au fond de la mare et cache la couronne sous des strates de schiste. La scène se passe dans une forêt sombre, des séries d'arbres morts placés aux entrées des coulisses encadrent la scène. Derrière le monticule schisteux l'image boisée en fond de scène accroît encore l'effet de profondeur. Le scénographe Marc Löhrer a réussi un décor spectaculaire qui nous transporte dans l'atmosphère froide et glaciale du Duché de Brabant.
La metteure en scène s'éloigne délibérément de la définition romantique de l'opéra Lohengrin qui est traditionnellement perçu comme un conte fantastique et mythique. Elle dépouille l'opéra de ses composantes surnaturelles pour nous offrir un roman noir, un thriller qui fait de Lohengrin un être double, rayonnant dans la blancheur lumineuse de ses vêtements et dans la ligne romantique de son chant, mais dont la noble apparence cache une personne fourbe sans foi ni loi, sinon la sienne propre. Katharina Wagner provoque et déstabilise le public en pratiquant une inversion des rôles, qui blanchit l'ambitieux Telramund et donne à Ortrud une dimension jusqu'ici inconnue. Si cette perspective nouvelle surprend, on peut l'accueillir avec étonnement et curiosité pendant le premier acte. Mais elle devient bien vite incompréhensible, tant le livret et la musique la contredisent. La dichotomie entre l'opéra d'origine et le concept de la mise en scène s'exacerbe. À la fin de l'opéra on assiste à un bain de sang shakespearien. Ortrud, qui en fouillant le marais avec Telramund avait déjà retrouvé le vêtement de Gottfried, le frère d'Elsa, retire son corps sans vie des eaux fétides. Ce cadavre ne ressuscitera pas, Lohengrin étranglera Ortrud avant de se suicider en se taillant les veines des poignets. Elsa s'effondre pour ne plus se relever. La metteure en scène n'a pas servi l'oeuvre mais s'en est emparée pour la détourner au profit de l'expression de sa propre vision. Lors des salutations, le public, enchanté par l'excellence de la direction d'orchestre, des choeurs et des chanteurs, les acclame avec vigueur, mais il va marquer sa mauvaise humeur par une houle de huées quand apparaît l'équipe de production.
Pourquoi avoir choisi un cygne noir en lieu et place de l'habituel cygne à la blancheur immaculée qui souligne l'innocence du jeune Gottfried ? C'est au spectateur d'en déterminer la symbolique. Peut-être le cygne noir porte-t-il le deuil de la mort de Gottfried. Les doctes wagnériens se souviennent sans doute du récit qu'a donné Richard Wagner dans Mein Leben (Ma vie) des circonstances de son séjour dans le somptueux immeuble qui était alors la résidence de l'ambassadeur de Prusse à Paris. Wagner y fut accueilli du 11 au 31 juillet 1861. Wagner, en proie aux soucis d'argent et sans domicile, avait été discrètement soutenu par le comte Albert de Pourtalès, ambassadeur de Prusse à Paris, et par sa femme Anna, née Bethmann-Hollweg. « On m’y donna une jolie chambrette avec vue sur le jardin et d’où l’on apercevait les Tuileries. Dans le bassin se baignaient en solitaires deux cygnes noirs qui me plongeaient dans une douce rêverie. […] J’y composai deux pages d’album : l’une, destinée à la princesse Metternich […] l’autre, dédiée à la comtesse de Pourtalès, a été perdue ». La page d'album pour piano datée du 29 juillet 1861 a été retrouvée, elle a pour titre Ankunft bei den schwarzen Schwänen [WWV 95]. Dans la nouvelle production, le cygne noir accompagne Lohengrin tout au long de l'opéra, témoin silencieux du meurtre. Lohengrin tentera à plusieurs reprises de s'en débarrasser, d'abord en lui décochant un coup de pied qui le fait disparaître en coulisse, ce qui déclenche le rire des spectateurs, puis en essayant de l'enfermer dans une des nombreuses malles militaires. Mais le cygne accusateur revient toujours hanter le fils de Parsifal, comme un boulet au pied d'un condamné à mort.
Miina-Liisa Värelä en Ortrud © David Ruano |
Les malles militaires constituent un autre leitmotiv scénique, et ici aussi c'est au spectateur d'en interpréter la fonction. Elles peuvent être les malles du voyageur Lohengrin arrivé d'un pays lointain ("In fernem Land"). Ou encore les malles militaires qui accompagnent les troupes parties au combat. Elles sont empilées pour servir d'estrade à un échafaud de fortune érigé par Telramund après qu'il a réalisé un noeud coulant dans la corde avec laquelle il compte bien faire pendre Elsa, dès que le roi aura reconnu sa légitimité de suzerain du peuple de Brabant. La couronne est un autre leitmotiv : elle est la couronne destinée à Gottfried, elle est la couronne convoitée avec avidité par Ortrud qui lorsqu'elle se retrouve seule s'en pare pour une parade solitaire, elle devient un objet dérisoire en fin d'opéra parce que tous les prétendants sont morts. La corde est un autre thème récurrent : destinée à la pendaison d'Elsa, elle retourne à son expéditeur qui veut s'en servir pour se suicider alors qu'il a perdu son honneur.
Le paysage naturel et désolé du prélude et du premier acte se voit ensuite complété par les trois grands cubes suspendus qui apparaissent au troisième acte, symbolisant les trois mondes de Lohengrin, d'Elsa et du couple Teralmund et Ortrud, des mondes condamnés à ne pas se comprendre. Les trois cubes sont juxtaposés et situés en surplomb de la scène, les personnages y accèdent par des escaliers de fer. Ce sont trois chambres au mobilier blanc, identique et spartiate, trois espaces qui viennent renforcer la psychologie complexe du drame, trois espaces dans lesquels les protagonistes peuvent dévoiler leur vrai visage et se laisser aller à leurs émotions, parce qu'ils ne s'y sentent pas surveillés : Elsa peut y donner libre cours à sa suspicion, Ortrud et Teralmund se laisser aller à leurs ambitions régaliennes et fomenter leurs projets malveillants, Lohengrin y retrouve son cygne dont il ne parvient pas à clouer le bec.
En choisissant d'écarter le caractère fantastique et mythique du drame, la metteure en scène a tenté d’interpréter Lohengrin d’une manière qui soit socialement pertinente et contemporaine. Elle met en exergue des thèmes tels que l'identité, le secret, le pouvoir, la confiance et la méfiance et interprète l'opéra comme une œuvre qui traite de questions actuelles. Mais voilà, ce qui en début de soirée a pu attiser la curiosité du public retombe aussi vite qu'un soufflé raté. Les ingrédients du sublime poème wagnérien et de sa musique grandiose contredisent constamment le propos de la mise en scène, et cela d'autant plus qu'ils sont portés par un chef wagnérien étoilé, par un orchestre et des choeurs de tout premier plan et par une constellation de chanteurs brillantissimes.
Miina-Liisa Värelä en Ortrud Ólafur Sigurdarson en Telramund © David Ruano |
Depuis qu'il a pris la direction musicale de l'Orchestre du Gran Teatre del Liceu lors de la saison 2012-2013, Josep Pons s'est déjà illustré en y dirigeant des œuvres de Wagner :le Ring du Nibelungen, Tristan et Isolde et Parsifal. Il a fait de la musique de Wagner son fer de lance et est parvenu à faire en sorte que l'orchestre atteigne un degré de perfection rare. La beauté lyrique, la vivacité des tempi et la dynamique de l'exécution sont exceptionnels dans cette direction amoureuse de l'oeuvre. Dirigé par Pablo Assante, le choeur, dont le rôle est essentiel dans Lohengrin, atteint lui aussi un niveau d'excellence maximal. On retrouve des chanteurs et des chanteuses adoubés à Bayreuth. Günter Groisböck prête sa stature athlétique et les chaleurs de son timbre à un roi Heinrich solide sur le plan scénique mais qui peine à convaincre sur le plan vocal. Roman Trexel donne lui aussi un Héraut trop en retrait du rôle qui aurait pu recevoir un développement plus convaincant. Ólafur Sigurdarson dans le rôle de Friedrich von Telramund reste fort discret et linéaire au premier acte, mais parvient à prendre son envol aux deuxièmes et troisièmes actes et à donner toute sa dimension à son personnage. Parmi les protagonistes masculins, la palme revient sans conteste au Lohengrin de Klaus Florian Vogt qui reprend ici son rôle fétiche déjà chanté au Liceu lors de la saison 2012/2013. Son chant, d'un raffinement délicat et nuancé, peut devenir puissant et gagner en intensité, la projection, la diction et le phrasé sont irréprochables. Mais à l'impossible nul n'est tenu : le ténor reste fidèle à la partition et ne semble pas chercher à rendre compte de la duplicité imputée à son personnage par la mise en scène. Elisabeth Teige donne une Elsa d'une sensibilité à fleur de peau, elle dresse le portrait d'une femme juvénile, fragile, malheureuse et craintive, dépassée par les événements, influençable à souhait. La révélation de la soirée, le rôle le plus puissant est l'Ortrud de Miina-Liissa Värelä qui confirme sa vocation de grande soprano dramatique. Elle a brûlé les planches avec son total investissement dans le rôle,une présence scénique inouïe .Une telle qualité d'interprétation rend le personnage moins maléfique et en nuance les contours. Et si Ortrud n'est pas parvenue à ses fins en devenant duchesse de Brabant, son interprète est sans conteste la reine d'une soirée qui a connu le triomphe de la musique sur les errances de la mise en scène.
Distribution du 17 mars 2023
Mise en scène Katharina Wagner
Scénographie Marc Löhrer
Costumes Thomas kaiser
Lumières Peter E. Younes
Dramaturgie Daniel Weber
Heinrich Günter Groissböck
Lohengrin Klaus Florian Vogt
Elsa von Brabant Elisabeth Teige.
Telramund Ólafur Sigurdarson
Ortrud Miina-Liisa Värelä
Héraut Roman Trekel
Chevaliers Jorge Rodríguez Norton, Gerardo López, Guillem Batllori, Toni Marsol. Jeunes nobles Carmen Jiménez / Mariel Fontes / Mariel Aguilar / Elizabeth Gillming
Orchestre symphonique du Gran Teatre del Liceu
Choeur du Gran Teatre del Liceu
Chef du choeur Pablo Assante
dimanche 16 mars 2025
Proyecto Zarza - Le Teatro de la Zarzuela offre Gran Via dans une version rajeunie
Direction musicale, Néstor Bayona; mise en scène, Enrique Viana ; scénographie, Carmen Castañón; costumes, Gabriela Salaverri; lumières, Alfonso Malanda; chorégraphie, Cristina Arias; visuels, Alba Trapero.
Orchestre de chambre (membres de JONDE).
Avec Rosa Maria Abella, Lucia Beltran, Arantxa Cooper, Albert Diaz, Marina Fita, Yasmin Forastiero, Iago Garcia Rojas, Rosa Gomariz, Iria Goti, Luis Maesso, Alicia Moreno Royo, Alex Parra, Nacho Quiñonero, Adrian Quinones, Andrea Rey, Miguel Angel Roldan, Miriam Silva, Marcelo Solis, Rodrigo Turegano et Nacho Zorrilla.
Photos © del Real fotografía / Teatro de la Zarzuela